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Pourquoi la pollution de l’air fait bien plus que de nous tuer
©Reuters/Charles Platiau

Casse-tête

Plusieurs études tendent à montrer que la pollution de l'air, outre les conséquences physiques, occasionnerait également des troubles cognitifs.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Plusieurs études menées au cours de la décennie par Sefi Roth, chercheur à la London School of Economics, tendent à montrer que la pollution de l'air, en plus d'avoir des conséquences sur la santé corporelle des individus, occasionnerait également des troubles cognitifs ou favoriseraient l'apparition de maladies mentales. Comment expliquer ces résultats?

Stéphane Gayet : La notion de pollution de l’air extérieur ou pollution atmosphérique n’est pas quelque chose de simple à appréhender pour les non-initiés. On entend parler de particules fines, de pics d’ozone, d’oxydes de soufre et d’azote, etc.

L’atmosphère est la couche gazeuse qui entoure le globe terrestre. C’est elle qui avec l’eau permet la vie, car il y a dans l’atmosphère terrestre de l’oxygène à la concentration constante de 21 %. L’atmosphère comprend quatre couches dont les deux premières sont les plus importantes. La troposphère (ce qui signifie : autour de la sphère, du globe) s’étend depuis le sol jusqu’à une hauteur de l’ordre de 12 km. C’est la couche « viable » pour l’homme ; en réalité, au sommet de l’Everest qui culmine à un peu moins de 9 km, la vie est déjà très difficile. Les gros avions de transport volent à une altitude qui avoisine les 10 km, souvent un peu moins (ils sont pressurisés et chauffés). La stratosphère (ce qui signifie : couche étendue et à très haute altitude) s’étend des altitudes 12 km à 50 km. C’est dans la stratosphère et principalement ses 2/3 supérieurs que se trouve la fameuse « couche d’ozone », mais qui n’est pas vraiment une couche, car elle est très étendue en hauteur.

Cette « couche » d’ozone (O3) est produite par les rayons solaires au contact des molécules d’oxygène (O2). La concentration de la stratosphère en O3 est de l’ordre de 10 parties par million (ppm). L’ozone absorbe les rayons ultraviolets (UV) solaires qui nous sont nocifs, en particulier les UV de type B : la « couche » d’ozone nous protège contre l’excès de chaleur et contre les effets dangereux et notamment cancérigènes des UVB. L’O3 stratosphérique est donc bénéfique, à la différence de celui qui est dans la couche basse de la troposphère (c’est un polluant, car il est toxique pour l’homme).

Les gaz à effet de serre sont des gaz de la troposphère interceptant les rayons infrarouges (IR) émis à la surface de la Terre. Ce faisant, ils s’échauffent en captant ces IR et les empêchent de se dissiper. Ils contribuent ainsi au réchauffement de la basse troposphère où nous vivons. Certains gaz à effet de serre sont produits naturellement par la vie (gaz carbonique ou CO2, méthane ou CH4, protoxyde d’azote ou N2O et O3). D’autres gaz à effet de serre le sont industriellement (les mêmes, plus d’autres, principalement les halocarbures, dont les chlorofluorocarbones ou CFC qui ont un autre inconvénient, celui de réduire la « couche » d’ozone). Ces halocarbures industriels à effet de serre absorbent plus les IR que les gaz naturels à effet de serre. Mais ce sont le CO2 et le CH4 qui, en cumulant leurs productions naturelle et industrielle, constituent 80 % des gaz à effet de serre. Ces deux gaz sont en particulier produits par les combustions ; le méthane (CH4) l’est aussi par les élevages, les cultures humides et le pourrissement en décharge de toutes les ordures ménagères.

Le phénomène appelé pollution atmosphérique est la présence, au sein de l'air, d'un mélange de gaz nocifs et de particules délétères (néfastes pour la santé) qui sont principalement émis par les véhicules, les industries et le chauffage domestique, ou qui résultent de réactions chimiques, comme l'ozone. Il faut leur ajouter les pesticides et les dioxines. Les gaz polluants sont nombreux, parmi lesquels les oxydes de carbone (CO2, CO), les oxydes d'azote (dont NO2) et les oxydes de soufre (dont SO2). On désigne par le terme « particules » un ensemble d'éléments microscopiques, dont le diamètre moyen est de l'ordre du micromètre (micron, millième de millimètre), solides ou liquides, et qui restent en suspension. Elles sont désignées en anglais par l'expression particulate matter (PM, matières particulaires). On distingue trois tailles de PM : les PM 1, particules ultrafines dont le diamètre moyen est inférieur ou égal au micron ; les PM 2,5, particules fines, dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 2,5 microns (essentiellement produites par les phénomènes de combustion) ; les PM 10, dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 10 microns. Plus elles sont petites, plus elles sont dangereuses. La durée de persistance dans l'air de ces particules varie de quelques jours, pour les PM 10 et les PM 2,5, à quelques semaines pour les PM 1. Elles finissent par retomber au sol, notamment du fait des précipitations. Les plus légères peuvent parcourir des milliers de kilomètres. Cette pollution de l’air a des effets néfastes sur la santé, même à des concentrations assez faibles. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dit que la pollution de l’air constitue un risque environnemental de premier plan pour la santé et qu'elle est en cause dans deux millions de décès prématurés par an dans le Monde. De nombreuses études scientifiques l’attestent.

C'est en 2011 que Sefi Roth, chercheur à la London School of Economics, s'est intéressé aux nombreux effets de la pollution atmosphérique. Pour commencer, il a mené une étude visant à déterminer si la pollution atmosphérique avait un effet sur les fonctions cognitives, c’est-à-dire les fonctions supérieures du cerveau (raisonnement, conceptualisation, mémoire…).

Sefi Roth et son équipe se sont penchés sur les élèves qui passent des examens à différents jours et ont également mesuré la quantité de pollution dans l'air ces jours-là. Les autres variables avaient la même valeur : les examens ont été passés par des élèves de niveaux d'éducation similaires, au même endroit, mais sur des jours différents.

Or, ils ont constaté que les résultats moyens étaient étonnamment différents. Les jours les plus pollués étaient corrélés aux plus mauvais résultats aux tests. Les jours où la qualité de l'air était la meilleure, les élèves ont eu de meilleurs résultats.

Qui plus est, même quelques jours avant et quelques jours après les pics de pollution, ils n’ont trouvé aucun effet négatif : c’est vraiment seulement le jour du pic de pollution que le score au test a diminué de manière significative.

Pour étudier les effets à long terme de cela, Sefi Roth et son équipe ont réalisé une surveillance pour voir quel impact cela avait huit à dix ans plus tard. Ceux qui avaient obtenu les pires résultats (jours les plus pollués) étaient plus susceptibles de se retrouver dans une université moins bien classée et d’avoir ensuite de plus faibles revenus, parce que l'examen exploré était décisif pour la poursuite des études. Ainsi, même s'il s'agit d'un effet à court terme de la pollution atmosphérique, s'il survient à un moment critique de la vie, il peut finalement avoir un effet à long terme. Une autre étude réalisée en 2016 a confirmé les conclusions de Sefi Roth : une pollution importante peut entraîner une baisse de productivité.

Plusieurs mécanismes peuvent expliquer comment la pollution atmosphérique perturbe notre fonctionnement cérébral.

Le simple fait de penser à une forte pollution peut influencer de façon négative notre état psychologique, en augmentant notre anxiété et en nous incitant à nous replier sur nous-mêmes. C’est source d’insomnie et donc de baisse d’énergie.

Sur le plan fonctionnel, un pic de pollution provoque une diminution de la quantité d’oxygène disponible pour les alvéoles pulmonaires, et par voie de conséquence une baisse de la saturation du sang en oxygène qui nuit au bon fonctionnement du cerveau, gros consommateur d’oxygène. La pollution irrite en outre les voies respiratoires supérieures ou sphère ORL (nez, pharynx ou gorge), irritation qui peut provoquer des maux de tête ou céphalées, à l’origine d’une diminution de la concentration mentale.

Par ailleurs, divers polluants aériens peuvent gagner le cerveau par voie vasculaire et y causer une inflammation, soit de façon directe, soit plus souvent de façon indirecte par l’activation de cellules immunitaires qui secrètent des substances favorisant l’inflammation. On sait en effet maintenant que le cerveau est très sensible à l’inflammation qui peut altérer les connexions neuronales, et plus généralement le fonctionnement cérébral dans son ensemble.

Le travail du chercheur et de son équipe tend à montrer une corrélation entre pollution de l'air et taux de criminalité dans un secteur donné (en l'occurrence Londres). De la même manière, comment expliquer cette corrélation?

En 2018, Sefi Roth et son équipe se sont penchés sur des données de deux années de criminalité, provenant de plus de 600 circonscriptions électorales de Londres ; ils ont constaté que davantage de délits mineurs se produisaient les jours les plus pollués, tant dans les zones riches que pauvres. Il y avait un lien incontestable de corrélation, ce qui ne permet cependant pas d’en déduire une relation de cause à effet.

Ils ont ainsi suivi quotidiennement des « nuages » de pollution qui se déplaçaient dans la ville, en fonction de la direction dans laquelle le vent soufflait : cela provoque une pollution locale dans différentes parties de la ville, au hasard, dans les quartiers riches et dans les quartiers pauvres. Ils ont constaté qu’un « nuage » de pollution, où qu’il aille, s’associait à une augmentation nette de la criminalité. C’était vrai même en cas de pollution modérée, mais significative. Cette étude n’a cependant pas trouvé de corrélation pour les crimes les plus graves : uniquement la petite délinquance (vols…).

En revanche, une autre étude conduite en 2018 par Jackson Lu du Mit a porté sur neuf années de données et a couvert la quasi-totalité des États-Unis avec plus de 9 000 villes. Cette autre étude a constaté que la pollution de l'air pouvait prédire six grandes catégories de crimes, dont l'homicide involontaire coupable, le viol, le vol de voitures et le vol dit qualifié. Les villes les plus polluées affichaient les taux de criminalité les plus élevés.

Une autre étude a porté sur le « comportement délinquant » (comprenant en particulier la tricherie, l'absentéisme scolaire, le vol, le vandalisme et la consommation de substances psychoactives) chez plus de 682 adolescents. C’est Diana Younan de l'Université de Californie du Sud et ses collègues qui se sont penchés spécifiquement sur les PM 2,5 : ils ont étudié l'effet cumulé d'une exposition à ce type de polluant sur une période de 12 ans. Or, le mauvais comportement était beaucoup plus probable dans les zones où la pollution était la plus importante. Pour vérifier que le lien ne pouvait pas s'expliquer par le statut socioéconomique, l'équipe de Diana Younan a également tenu compte de l'éducation des parents, de la pauvreté, de la qualité de leur quartier et de plusieurs autres facteurs, de façon à bien isoler l'effet des microparticules.

Or, les personnes délinquantes sont plus susceptibles d'avoir de moins bons résultats à l'école, d'être plus tard au chômage et d'être tentées par les substances psychoactives. Cela signifie qu'une intervention précoce doit être entreprise.

Sur le plan des explications, on évoque encore l’anxiété et le repli sur soi favorisés par la pollution aérienne intense. Ces deux attitudes morbides peuvent favoriser les comportements agressifs et irresponsables. D’autres expériences ont abouti à la conclusion qu’une forte pollution favorisait le comportement tricheur : c’est comme si une pollution importante de l’air entraînait un sentiment d’insécurité, source d’écarts de comportement dans une démarche de lutte pour la survie.

En Californie, la réglementation a permis de réduire la pollution et, fait intéressant, la criminalité. Mais Diana Younan dit que nous ne savons pas encore si c'est une coïncidence ou non.

On ne peut pas se contenter d’une explication purement psychologique. Diana Youna considère que les polluants de l’air pourraient endommager le lobe préfrontal, partie du cerveau déterminante dans les comportements : il contrôle en effet nos impulsions, notre fonction exécutive et notre maîtrise de soi. En plus d'augmenter la criminalité, cette détérioration pourrait entraîner une grave altération de la santé mentale. De fait, une étude en mars 2019 a montré que les adolescents exposés à de l'air très pollué étaient plus à risque d'avoir des épisodes psychotiques, tels que des hallucinations auditives (entendre des voix) ou être paranoïaques (susceptibilité exacerbée, autosatisfaction, psychorigidité, isolement relationnel). Joanne Newbury, chercheuse au King's College London, affirme que l’on ne peut pas encore affirmer qu’il existe un lien de cause à effet, mais que d’assez nombreuses études suggèrent une relation entre la pollution de l’air et la santé mentale.

Dès lors, il est possible qu’il y ait un lien entre la pollution de l'air et la maladie d'Alzheimer ainsi que les autres démences apparentées, voire d’autres maladies neurodégénératives. C’est une piste de plus.

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