Pourquoi la participation de la Russie aux “pourparlers historiques” de l’ONU est un premier pas dans la résolution de la crise syrienne<!-- --> | Atlantico.fr
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Des rebelles de l'armée syrienne.
Des rebelles de l'armée syrienne.
©Reuters

Négociation musclée ?

Au lendemain des bombardements menés par l'armée syrienne près de Damas, l'ONU a réagi fermement. D'abord en condamnant les événements, puis en définissant enfin la politique qu'il convient de tenir dans la gestion de cette crise. Pour autant, malgré un accord historique, il reste beaucoup à faire et de nombreux obstacles avant une fin du conflit.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce lundi 17 août 2015, le Conseil de Sécurité de l’ONU s’est enfin mis d’accord concernant la politique à aborder quant à la gestion de la crise Syrienne. D’après Alexis Lamek, représentant permanent adjoint à la France à l’ONU, il s’agit de "pourparlers historiques", notamment en raison de la présence de la Russie. A la sortie de cet accord, à quoi faut-il s’attendre ? Les choses sont-elles vraiment susceptibles d’évoluer ? Quels sont encore les obstacles ?

Alain Rodier :Il convient toujours de se réjouir quand le Conseil de sécurité prend une décision allant dans le sens de la résolution d’une crise. Dans le cas syrien, la quasi-unanimité (en dehors du Venezuela) acquise est un point positif car elle n’avait pas été obtenue depuis bien longtemps. Cela dit, il ne s’agit pas d’une « arrivée » mais d’un « départ » donné pour tenter de résoudre le problème syrien qui engage de nombreux acteurs aux intérêts souvent divergents.

Pour ce faire, quatre groupes de travail vont être formés en septembre pour examiner les problèmes de sécurité et de protection, de contre-terrorisme, des questions politiques et de légalité et enfin de reconstruction. Cela va prendre beaucoup de temps et pendant ce temps-là, la guerre civile va se poursuivre avec son cortège d’abominations. Mais en dehors d’une intervention directe au sol de forces étrangères (et les volontaires ne se bousculent pas beaucoup au portillon), on ne voit pas bien ce que la communauté internationale pourrait bien faire d’autre.

Côtés obstacles il est important de savoir tout d’abord, les acteurs internationaux se sont mis d’accord pour analyser les problèmes et tenter de trouver des solutions. Il va falloir que cela ne reste pas au niveau du verbe mais se traduise ensuite en actions sur le terrain. Les intervenants sont nombreux dans ce jeu de billards à plusieurs bandes. Comme je le disais plus avant, les intérêts des uns et des autres ne sont pas les mêmes.

Pour la première fois depuis deux ans, la Russie signe enfin un accord de la sorte, sans s’opposer à la gestion de crise. Faut-il y voir les signes d’un désamour soudain entre Bachar Al Assad et Vladimir Poutine ? Quelles sont les raisons susceptibles de pousser le Président Russe à jouer contre Al Assad ?

Ce n’est pas un désamour entre le président Poutine et Bachar el-Assad. Les personnes importent peu pour Poutine. S’il constate que Bachar el-Assad doit être « sacrifié » pour pouvoir débloquer la situation tout en préservant les intérêts de la Russie au Proche-Orient, il n’hésitera pas une seconde. Je suis sûr qu’une datcha confortable est prête à accueillir à tout moment le dirigeant syrien avec sa famille.

De toute façon, ce n’est pas un « homme » qui dirige le régime syrien mais un clan. La Russie a certainement des idées sur la relève possible d’autant que les responsables sont bien connus à Moscou qui en a formé un certain nombre. De plus, les Russes ne veulent pas faire comme les Américains avec le Shah d’Iran en 1979 ou avec le président Moubarak en 2011. Depuis, plus aucun dirigeant du monde arabo-musulman ne leur fait confiance. Moscou souhaite certainement que cela se passe en souplesse, le président Assad pouvant se retirer plus ou moins volontairement au profit d’un homme qui ne fait pas l’unanimité contre lui (même si ce n’est pas non plus une adhésion large et massive).

C’est ce que le Conseil de sécurité nomme : « l’établissement d’un corps dirigeant de transition inclusif avec les pleins pouvoirs, qui devrait être formé sur la base d’un consentement mutuel tout en assurant la continuité des institutions gouvernementales ». Cette phrase, très politique, peut être comprise de différentes manières mais elle sous-entend que des hommes issus du pouvoir en place à Damas vont faire partie de ce « corps dirigeant de transition ». Les questions qui vont se poser sont : qui, combien, à quels postes et pour combien de temps ? Chaque puissance va présenter ses « candidats » et d’ardues négociations vont débuter. Une lueur d’espoir tout de même : Moscou a su régler le problème des armes chimiques syriennes dans des délais inespérés. Peut-être que le cas va se reproduire au plan politique -mais c'est beaucoup plus compliqué.

De nombreux autres acteurs ont des intérêts en Syrie, comme l’Iran. Dans quelle mesure ceux-ci ont-ils "voix au chapitre" ? Qui sont-ils, quels sont les moyens de pression éventuels dont ils disposent ?

L’Iran est incontournable parce que Téhéran considère que la Syrie doit rester -même si ce n’est pas dans son intégralité- sous l’influence du « croissant chiite ». Pour Téhéran, la Syrie comme l’Irak, le Liban, le Yémen et le Bahreïn, font partie de l’« espace stratégique » iranien face aux gouvernements sunnites emmenés par Riyad**. De plus, la Syrie est un pont indispensable vers le Liban où les Hezbollah exerce des responsabilités politiques (et militaires). D’ailleurs, si des activistes du Hezbollah et des pasdaran combattent au sol aux côtés des forces régulières syriennes, ce n’est pas pour leurs beaux yeux mais parce que des intérêts vitaux sont engagés. L’Iran pourra faire entendre sa voix via son allié russe mais l’accord conclu sur le nucléaire avec les 5+1 (les membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) a démontré que Téhéran pouvait communiquer sans intermédiaires.

La Turquie a un rôle fondamental car elle bénéficie d’un atout majeur : sa frontière avec la Syrie. Si Ankara décide de la fermer effectivement, les salafistes-djihadistes pourraient être en partie asphyxiés. Si c’est envisageable pour Daesh, cela l’est moins pour le Front al-Nosra qui constitue la colonne vertébrale de l’« Armée de la conquête » qui regroupe plusieurs mouvements islamistes radicaux. En effet, Ankara, pour une fois d’accord avec l’Arabie saoudite et le Qatar, soutient cette formation qui a conquis la province d’Idlib et qui menace directement Alep. L’établissement par la Turquie d’une « zone tampon » de 90X40 kilomètres au nord-est de cette province va être âprement discuté. Enfin, l’objectif numéro un du président Erdogan et d’empêcher la création d’un Kurdistan syrien (Rojava) le long de la frontière turque. Comme par hasard, la « zone tampon » coupe cet embryon d’Etat en deux.

La crise syrienne n’est pas à la veille d’être réglée (comme d’ailleurs celle qui secoue le Proche-Orient). Aucun responsable politique ne veut le dire publiquement, mais on se dirige tout droit vers une partition de la Syrie, de l’Irak et du Yémen. La solution politique intermédiaire présentable destinée à sauver les apparences sera la constitution d’Etats fédéraux. Le gros problème est que, pour l’instant en Syrie et en Irak, à quelques exceptions près, il n’y a pas de représentants fréquentables des forces sunnites.

** Sans oublier Israël qui se fait politiquement discret dans la recomposition qui a lieu actuellement au Proche-Orient. Pour rappeler qu’il est bien là, l’Etat hébreu se contente de taper sur ce qui lui semble inacceptable ici ou là (comme sur les convois d’armes destinés au Hezbollah). Sur le fond, Israël est normalement inquiet de l’évolution de la situation mais ne va pas jusqu’à regretter le « bon vieux temps ». En effet, ses ennemis directs ont quasi disparu, l’Iran a d’autres soucis (Irak, Syrie, Yémen) et personne ne semble se soucier outre mesure des Palestiniens.

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