Pourquoi la brouille entre Trump et l'Arabie saoudite affaiblit peu le lobby saoudien à Washington <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi la brouille entre Trump et l'Arabie saoudite affaiblit peu le lobby saoudien à Washington
©HOW HWEE YOUNG / POOL / AFP

Business as usual

De récentes déclarations de Donald Trump ont laissé transparaître de vives tensions entre les États-Unis et l'Arabie saoudite, mais la relation entre les deux pays ne devrait pas se dégrader outre-mesure.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

Voir la bio »

Atlantico : Les récentes déclarations de Donald Trump ont laissé transparaître de vives tensions entre les États-Unis et l'Arabie saoudite. Quelle est la nature réelle des relations entre ces deux pays ?

Pierre Conesa : Je ne crois pas que les fâcheries actuelles préjugent d’une dégradation significative du rapport entre les deux Etats établies depuis le Pacte du Quincy (pétrole contre sécurité) acté en février 1946 par Roosevelt rentrant de la conférence de Yalta. Sans aller chercher des preuves dans l’histoire, rappelons les 15 saoudiens sur 19 terroristes du 11 septembre et Bush qui classifie Secret Défense les 28 pages du rapport du Congrès sur le rôle de l’ambassade saoudienne dans le soutien aux terroristes. Puis en janvier 2002 il désigne l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord. Le dépeçage du journaliste Djamal Khashoggi a été couvert par Trump, amnistiant par avance Mohamed Ben Salman alors que le rapport de la CIA le désignait directement.

Deuxième variable qui rend difficile l’interprétation sérieuse de l’état actuel : Trump est un menteur invétéré qui ne décide et n’agit qu’en vertu de sa popularité et de sa réélection. Il avait vertement critiqué Hillary Clinton pour ses relations avec Riyad pendant la campagne électorale promettant une révision des rapports avec l’Arabie, or il fait son premier voyage officiel non pas en Europe ou en Asie mais à Riyad.

Enfin Mohamed Ben Salman est en difficulté : critiqué pour l‘affaire Khashoggi, fâché avec une grande partie des membres de la famille royale à qui il a extorqué 60 à 100 milliards de dollars lors de la prise d’otages du Ritz-Carlton. Obligé de fermer les Lieux Saints et interdire le petit pèlerinage à cause du Covid 19, il est critiqué en particulier par les plus radicaux contre lesquelles il réagit très brutalement. Aller chercher quelques soutiens en Russie ou en Chine fait partie du jeu diplomatique. Retirer deux à quatre batteries de défense anti-missiles (dont la presse parle depuis septembre 2018) ne prouve pas que Trump va changer de position contre l’Iran.

Comment le lobbyisme saoudien est-il structuré ?

Je publie début 2021 un livre sur le lobby saoudien en France. Mon étude commencée avant l‘affaire Khashoggi s’est poursuivie après, et bizarrement il est devenu très difficile d’obtenir des rendez-vous auprès des défenseurs de l’Arabie en France.

L’objectif paradoxal du lobby saoudien aux Etats Unis comme en France est non pas qu’on fasse obstacle à un texte de loi comme c’est le cas de lobbys organisés, mais qu’on ne parle pas de l’Arabie et de son régime sauf pour en dire du bien. Ce n’est donc pas un lobby avec organisation centrale mais un ensemble d’actions pilotées par les 5 plus grosses sociétés de relations publiques mondiales (3 américaines et 2 françaises : Publicis et Havas). Publicis est aujourd’hui le plus gros bénéficiaire de la manne saoudienne. Riyad s’est rendu compte d’abord que la diplomatie du « carnet de chèque » menée par le Qatar, n’est pas « payante » car les livres de Christian Chesnot et Georges Malbrunot ont démonté le chemin de l’argent et Doha en grande difficulté, a tout stoppé. Ensuite les autorités de Riyad se sont rendus compte qu’elles ne savaient pas faire de l’influence dans les pays avancés et qu’il valait mieux s’adresser à des professionnels. La stratégie de lobbying est axée sur 3 cibles :

  • d’abord les décideurs politiques (chacun revient avec une lettre d’intention quand il rentre d’un voyage officiel : 10 milliards de dollars promis à Valls, 110 à Trump (mais une lettre d’intention n’est pas un contrat).

  • Ensuite les hommes d’affaires à qui chaque nouveau dirigeant saoudien annonce un projet pharaonique destiné à diversifier l’économie pétrolière : MBS fait plus fort que les autres puisqu’il promet un budget de 500 milliards de dollars (la baisse continue des prix du pétrole rend improbable le projet). Il s’est également offert un « Davos du désert » auquel il vaut mieux participer.

  • Enfin les dirigeants des communautés musulmanes à l’étranger et on remarquera que par exemple jamais le CFCM n’a émis la moindre critique sur la sale guerre au Yémen. Pour ces derniers, on a fait croire que critiquer l’Arabie équivalait à critiquer l’Islam (si cela ne marche pas il reste les limitations des visas pour le pèlerinage).

Rien vers l’opinion publique dont les Saoud n’ont que faire. La différence essentielle entre le lobby aux USA et en France est son ancienneté et son importance : chaires dans les grandes universités américaines ; dons à des fondations (présidentielles de préférence) de façon à miser sur tous les présidentiables ; groupes d’amitié ; lobby pétrolier…. Ce qui est amusant c’est des parlementaires français qui allaient souvent à Doha à l’époque de la « diplomatie du carnet de chèques », ont changé de banque et vont plus volontiers à Riyad depuis.

Quel en est l'impact sur les relations qu'entretiennent les Etats Unis avec l'Arabie Saoudite ? Comment cela se répercute-t-il en France ?

« Business as usual ». La France est un fournisseur de second rang sur lequel Riyad peut jouer pour challenger Washington ou Londres. Donc Paris a observé le même mutisme que les autres dans l’affaire Khashoggi. Le marché de l’armement par exemple est réparti depuis longtemps et il est peu probable que cela change : l’aéronautique de combat est américaine ou anglo-saxonne ; le naval et une part des hélicoptères est française… Donc attendons un peu et les affaires reprendront quand l’Arabie aura à nouveau de l’argent. La position de madame Merkel décidant le gel des exportations d’armement lors de l’affaire Khashoggi, est remarquable et qu’on ne me dise pas que les exportations allemandes sont négligeables : 12 Milliards de dollars d’exports annuelles en moyenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !