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Pourquoi la baisse des marchés financiers pourrait bien être une très bonne nouvelle (si vous aviez peur de la stagnation séculaire et de l’ère de la croissance molle, cet article est pour vous)
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La récente chute boursière semble traduire une remise en cause de la "stagnation séculaire."

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Dans quelle mesure la récente chute boursière de ce début février, entre autres raisons, pourrait révéler une perte de "croyance" des marchés financiers concernant le thème de la "stagnation séculaire" - une période de croissance anémique et de faible inflation- qui semblait dominante dans le marché. Quels sont les signes pouvant justifier une telle approche ?  


Rémi Bourgeot : Les marchés boursiers ont été portés par une politique monétaire ultra-expansionniste et des flux de liquidités sans précédent à partir de 2009. Le S&P 500 est plus de quatre fois plus élevé que son point bas de début 2009 et plus de 80% plus élevé que le pic qu’il avait atteint en 2007, à la veille de la crise financière. Cette hausse a eu lieu sur la base de taux d’intérêt très faibles, aussi bien en ce qui concerne les taux directeurs que les taux longs, qui ont été écrasés par les programmes d’achat de la Réserve fédérale en particulier.

Lorsque la Fed a commencé en 2013 à signaler sa sortie progressive des programmes d’achats de titres de dette, les taux longs avaient entamé un rebond important qui, avait mené le taux souverain américain à dix ans autour de 3%, le niveau symbolique dont il se rapproche à nouveau aujourd’hui. Puis, les tendances déflationnistes mondiales avaient eu raison de cette tendance à l’époque. Fin 2014/début 2015, l’inflation américaine était tombée autour de zéro, et même légèrement en-deçà. On observe, depuis, un rebond progressif de l’inflation, qui dépasse maintenant légèrement 2%. Ce changement de tendance de l’inflation a également entraîné à la hausse les taux d’intérêt, le taux souverain à dix ans atteignant désormais environ 2,8%. La remontée des taux pénalise la dynamique boursière, diminuant l’attractivité relative des actions et pénalisant les mécanismes de rachats d’action par les entreprises elles-mêmes, un phénomène qui a joué un rôle significatif dans la hausse continue des bourses.

Plus qu’un changement radical et généralisé de la perception économique, on constate avant tout une réévaluation de la tendance suivie par l’inflation, après l’épisode de très basse inflation des dernières années. Le rebond de l’inflation et la réévaluation de ses tendances futures reposent certes notamment sur les pressions, somme toute modérée, à la hausse des salaires, sur la base d’une forte baisse du taux de chômage américain. Les misères du marché boursier font penser à une réévaluation brutale des conditions macro-financières. En réalité, on constate une très grande sensibilité des marchés à une évolution économique plutôt modérée et assez peu spectaculaire, sous la forme d’un rebond des salaires et de l’inflation mais accompagné de faibles gains de productivité. De plus, l’excès mondial d’épargne continue à peser sur les taux d’intérêt malgré la hausse actuelle qui a lieu sous le coup du rebond de l’inflation.

Cette évolution modérée de l’économie réelle trouve une traduction financière brutale du fait de l’exubérance qui a marqué les marchés boursiers, en particulier aux Etats-Unis, depuis dix ans, sous le coup d’une politique de liquidités massives et d’une inflation dont la faiblesse encourage traditionnellement une hausse importante du rapport entre valorisation boursière et résultats des entreprises.

Les taux d’intérêt ont connu une chute impressionnante depuis le début des années 1980, de niveaux proches de 15% pour les taux longs, pour atteindre un point bas d’environ 1,5% en 2016. On constate un rebond, qui apparaît important, mais à partir de niveaux historiquement extrêmement bas. Les hausses de taux de la Réserve fédérale peuvent difficilement être accusées d’avoir semé le chaos, étant donnée leur extrême prudence. Cependant, il apparait clairement que l’on sort d’un schéma de taux extrêmement bas, pour des raisons liées à la normalisation plus générale de la politique monétaire et à la reprise économique. En plus des hausses de taux, la Fed s’est engagée sur la voie de la réduction de son bilan, de façon à jouir d’une certaine marge de manœuvre pour affronter la prochaine crise, inversant ainsi véritablement le cycle d’injection de liquidités post-crise.

Par ailleurs, la volatilité extrême qui a marqué les séances boursières depuis le début du mois semble indiquer plus qu’une simple réévaluation d’ordre macroéconomique. On voit l’impact, indirect dans un certain nombre de cas, de produits financiers, de fonds indexés sur à peu près n’importe quoi, comme sur la variable volatilité elle-même. C’est souvent sur ce type de produits qu’apparait une réévaluation brutale lorsque le consensus de marché commence à douter de leur valeur et de leur sens même, après qu’ils ont été présentés un temps comme le nec plus ultra de l’innovation financière.

Alexandre Delaigue Il est toujours délicat d'interpréter les mouvements des marchés financiers. Après tout ils agrègent plusieurs récits concurrents et sont sujets à des mouvements de foule, des mouvements mimétiques, etc. Pour les mouvements récents il faut noter qu'ils se produisent partout, donc chercher une explication locale (par exemple, la politique fiscale aux USA) n'a pas de sens, il faut chercher une explication globale. La stagnation séculaire en est une. Il s'agit de l'idée que la croissance future va rester faible dans les pays riches, pour des raisons démographiques (vieillissement) et techniques (les nouvelles technologies ont un effet décevant et l'investissement des entreprises reste très faible). Dans ces conditions - faible investissement, forte épargne - les taux d'intérêt devraient rester très bas. Cette logique permet de comprendre pourquoi les politiques monétaires très expansionnistes des banques centrales n'ont pas généré d'inflation : dans cette optique, les banques centrales se sont adaptées au contexte et il leur est impossible d'augmenter les taux d'intérêt. 

Or il y a quelques raisons de penser que cette perspective change. Beaucoup d'avancées techniques prometteuses qui pourraient relancer l'investissement : et pour la première fois depuis la crise de 2008 la conjoncture semble s'améliorer partout, le chômage diminue et on observe un peu de pression à la hausse sur les salaires. Cela offre la perspective de taux d'intérêt plus hauts et implique, sur les marchés, un changement de régime pour s'adapter à ces taux d'intérêt plus élevés.

De quelle manière la croyance en la "stagnation séculaire" a-t-elle pu conduire à une hausse apparemment trop importante des marchés financiers au cours de ces derniers mois et de ces dernières années ? En quoi les anticipations de faible croissance ont-ils pu alimenter anticipations de taux faibles pour une longue durée, et comment celles-ci ont-elles pu "propulser" les marchés à des niveaux élevés ? 

Rémi Bourgeot : Le thème de la stagnation séculaire a alimenté, selon une lecture quelque peu littérale, la vision d’une inflation qui serait durablement proche de zéro. Le rebond actuel de l’inflation apparaît à cet égard spectaculaire, sans l’être véritablement, surtout d’un point de vue historique. Les anticipations de faible croissance, au contraire de leur équivalent sur l’inflation, ne sont pas censées favoriser les marchés boursiers, mais elles ont alimenté l’idée d’une politique monétaire qui resterait ultra-accommodante et éloigné l’idée d’une réduction des bilans des banques centrales. Les marchés ont été portés par cette situation monétaire, et l’idée qu’elle devait perdurer, ainsi que par la croissance appréciable des profits, plus forte que la croissance économique. Malgré la faiblesse, et quelque part de façon paradoxale à cause de ce même facteur, nous nous sommes retrouvés dans une situation très propice aux marchés boursiers. Il convient d’insister par ailleurs sur le fait que la faiblesse des taux d’intérêts au cours des dernières années a été le résultat certes de la politique monétaire des grandes banques centrales dans les pays développés, mais aussi des montagnes d’épargne mondiale qui peinent à s’investir dans l’économie réelle au niveau domestique et ont créé un effet de surabondance qui a comprimé les taux. Ce facteur était déjà visible avant la crise et a été un facteur de la bulle immobilière des années 2000 qui s’est développée sur la base du crédit facile.

Alexandre Delaigue : Dans un régime de faibles taux d'intérêts, et de faibles opportunités d'investissements, acheter des actions d'entreprises devient un placement très attractif. Si les besoins d'investissements sont faibles, cela signifie que l'essentiel des profits peut directement être reversé aux actionnaires plutôt que de financer de nouvelles capacités de production. Cela signifie aussi que les positions concurrentielles des entreprises vont peu changer dans un régime de stagnation, que leur profitabilité va donc être élevée. Les faibles taux d'intérêt dans cette logique pousseraient aussi les investisseurs à aller vers d'autres placements comme les oeuvres d'art, l'immobilier, ou les monnaies virtuelles.

Il y a une autre manière de voir les choses qui va dans le même sens. L'essentiel de la croissance mondiale depuis 10 ans s'est faite dans les pays émergents. Mais les riches dans ces pays disposent de peu de moyens sûrs pour déposer leur argent; les riches russes, chinois, et autres ne disposent pas de marchés nationaux suffisamment développés pour placer leur argent, et craignent à juste titre d'être expropriés à tout moment. Résultat ils ont placé leur argent de manière démesurée dans les actifs les plus sûrs des pays avancés, entraînant une hausse continue des bourses, des obligations (donc taux bas) de l'immobilier dans les grandes villes, et d'actifs qui permettent de transférer sa richesse. 
Mais supposons dans ce contexte que les perspectives s'améliorent : de nombreux actifs auparavant jugés "trop risqués" deviennent alors attractifs. Cela conduit les investisseurs à rééquilibrer leurs portefeuilles, ce qui conduit à une correction sur les actifs qui étaient auparavant achetés et avaient fortement monté. 

Pourrait-on en conclure que cette chute de marché pourrait ainsi révéler une "bonne nouvelle" en ce qu'un retour à la normale, pouvant se traduire par une distribution plus "équitable" des revenus entre taux de profits et salaires ? La chute relativement moins importante du marché boursier français, les taux d'intérêts plus faible que ceux constatés aux Etats-Unis, tendraient-ils à signifier que la France n'est pas encore sortie de cette situation ? 

Rémi Bourgeot : La croissance des salaires est une nouvelle positive. Il ne faudrait toutefois pas en tirer des conclusions hâtives quant à la réalité du marché du travail, qui reste plus préoccupante que ce qu’indique le simple taux de chômage. La réduction importante du chômage aux Etats-Unis rend possible cette évolution des salaires, mais il reste à voir dans quelle mesure cette hausse peut véritablement s’inscrire dans le temps, dans un contexte de gains de productivité plutôt modeste notamment. Comme souvent en économie, les évolutions de très court terme ont tendance à être interprétées comme relevant d’un changement majeur, car c’est l’essence même du fonctionnement des marchés financiers que de chercher sans cesse des points d’inflexion. En 2013, la quasi-totalité des observateurs étaient persuadés que ce n’était plus qu’une question de mois avant que le taux souverain à dix ans américain n’atteigne 4%. En 2018, le fait que ce même taux soit simplement revenu de niveaux bien plus bas vers des niveaux proches de 3% est interprété comme le signe d’une rupture historique. La reprise mondiale est tout à fait réelle et présente une certaine force. Il convient toutefois de garder à l’esprit les failles qui la caractérisent également. C’est particulièrement vrai dans le cas français naturellement, où la réalité du marché du travail reste particulièrement détériorée si l’on s’intéresse aux conditions réelles d’emploi et notamment à la durée des emplois créés. Les éléments de fond de ce qui caractérise le thème de la stagnation séculaire sont toujours présents, dans la durée, malgré la force manifestée par la conjoncture actuellement à l’échelle mondiale.

Alexandre Delaigue : Peut-être. Il est encore trop tôt pour le dire, mais c'est possible. Si la croissance économique augmente dans les pays avancés, cela ne peut qu'arranger les choses pour les salariés. De même des taux d'intérêt d'équilibre plus élevés lèveraient le risque actuel posé par des banques centrales qui manquent de munitions pour soutenir l'économie en cas de problème. Pour le cas français il est lié au contexte européen, dans lequel si effectivement la situation s'améliore il reste des risques significatifs. On peut se demander aussi si nos grandes entreprises cotées, qui sont souvent dans "l'ancienne économie" sont bien à même de profiter de perspectives de croissance fortes dans l'avenir.

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