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Pourquoi l’envolée du populisme suédois a bien plus à voir avec l’économie qu’avec la question migratoire
©Reuters

Populisme

Les Suédois s'apprêtent à voter dans un contexte de progression du populisme en Europe. Alors que la Suède a été décrite comme un cas spécial en Europe avec la progression des "Démocrates Suédois" (parti de droite radicale) malgré une situation économique favorable – ce qui permettait de dresser le constat d'un populisme découlant de la crise des migrants de 2015- il semblerait que le sujet économique ait été dominant.

Atlantico : Dans une étude que vous avez publiée en août "Les perdants économiques et les gagnants politiques, la droite radicale en Suède", vous prenez ce contrepied. Comment expliquez-vous un tel résultat ?

Johanna Rickne : Tout d'abord, la droite radicale suédoise est montée en puissance avant que ne survienne la crise migratoire de 2015, c’est-à-dire lors des élections de 2010 et de 2014. Notre étude montre que cette progression coïncide avec deux événements qui ont affecté la situation économique d’un grand nombre d’électeurs.

En 2006, la coalition des partis de centre-droit a pris le pouvoir et a mis en place un programme de réformes visant à réduire les impôts et les dépenses publiques, selon l'objectif d'un slogan qui était «faire que le travail paye ». Puis, en 2008, la crise financière a provoqué une insécurité de l'emploi chez les personnes ayant des emplois stables, mais qui étaient vulnérables à l'automatisation. Notre étude a consisté à explorer la relation entre la montée des Démocrates Suédois et ces deux événements. L'analyse est basée sur les données annuelles du registre suédois pour l'ensemble de la population âgée de plus de 18 ans. Ces données nous ont également permis d'identifier toutes les personnalités politiques du parti des Démocrates Suédois.

Le résultat est que cette politique du "Faire que le travail paye" a entraîné une augmentation des inégalités de revenus dans le pays. Si les personnes ayant un emploi stable ont pu voir leurs revenus augmenter grâce à une politique de crédit d'impôt, les personnes sans emploi stable, bénéficiant de prestations de maladie, de programmes d'aide au chômage ou d'assistance sociale, ont vu leurs revenus stagner. Ainsi, au cours de ces deux périodes de gouvernement de centre-droit, l'écart de revenu disponible moyen entre les "insiders" et les "outsiders" a augmenté de 20%.

Nous montrons également que les groupes qui ont été les perdants économiques au cours de ces deux épisodes économiques sont surreprésentés parmi les personnalités politiques et les électeurs du parti. En tant que tels, nous soutenons qu’ils ont agi en tant qu’éléments déclencheurs (au moins partiellement) de la progression des Démocrates Duédois. Concernant ceux qui affirment que le nombre d'immigrants est la véritable cause de cette progression, on peut au moins dire que cela ne s'applique pas aux taux d'immigration locaux. Une explication qui met l'accent sur le nombre de migrants comme la cause directe de cette situation devrait également expliquer pourquoi nous constatons la mobilisation des électeurs et des politiciens dans ces sous-groupes particuliers du marché du travail. On peut supposer que le sentiment anti-immigration ou l'importance accrue de la question migratoire de ces électeurs pourrait bien avoir été provoquée par une anxiété économique.

Une autre chose à souligner est que la Suède a très peu d'inégalités de revenus, depuis longtemps. Mais au cours de la dernière décennie, La Suède (avec la Finlande) a été l'un des pays qui a le plus creusé ses inégalités de tous les pays de l'OCDE. Cette évolution a été provoquée par des réformes politiques menées par la coalition de centre-droit et n’a en grande partie pas été inversée par la coalition actuelle du parti social-démocrate-vert. (Ces questions sont largement discutées ici: https://norden.diva-portal.org/smash/get/diva2:1198429/FULLTEXT01.pdf )

Qui sont les électeurs typiques du SD ?

Les données d'enquête montrent que les électeurs Démocrates Suédois ont un profil démographique similaire à celui des autres partis d'extrême droite, avec un sur-représentation des hommes, des personnes de la classe ouvrière et un niveau d'éducation plus faible (Sannerstedt 2014, Erlingsson et al. 2012, Oskarson et Demker 2015). , Jylhö, Rydgren et Strimling 2018). Les électeurs du parti font également moins confiance aux politiciens, aux institutions politiques, au système judiciaire et aux médias que les électeurs des autres partis (SCB 2011).

De quelle manière la question économique s'articule-t-elle avec la question migratoire ?

Comme je l'ai écrit ci-dessus, sans panel de données sur les préférences individuelles, il est difficile de répondre. Dans l'article, nous nous appuyons sur la théorie de Shayo (2009) qui soutient que l'anxiété économique rend les gens plus négatifs à l'égard des «groupes externes», que cela soit les élites politiques ou les migrants. Nous montrons également au travers des résultats de sondages concernant les hommes politiques et les électeurs des Démocrates Suédois que cela semble être le cas (voir la figure 14 de notre article). Je peux également signaler une intéressante étude expérimentale récente réalisée par Alberto Alesina et al. (2018): "Migration et redistribution" qui va dans ce sens.

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