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Pourquoi l’accord conclu par les Européens sur un budget de la zone euro est surtout un renoncement à en construire un
©FREDERICK FLORIN / AFP

Poudre aux yeux

Un accord de principe a été trouvé à Bruxelles sur l'adoption d'un budget européen. Mais sous ce principe, c'est le néant: gouvernance, montant, financement, tous ces points restent inconnus et l'idée même de budget fâche une partie des pays du nord. 

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : L'adoption difficile d'un budget de la zone euro et le flou artistique qui règne autour de sa mise en place ne montrent-ils pas que l'Union européenne est au point mort et minée par ses divisions persistantes ? Pour Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, est-ce une si grande victoire ?

Rémi Bourgeot : Il devient difficile de faire le décompte des annonces solennelles quand à l'instauration d'un budget de la zone euro, d'autant que la situation n'a en réalité guère évolué au cours des deux dernières années. Les conservateurs allemands sont, depuis l'émergence de ce débat, formellement opposés à la mise en place d'un budget substantiel, mais sont prêts, pour ménager Paris, à accepter un budget d'un montant strictement symbolique, c'est a dire de l'ordre d'une dizaine (votre quelques dizaines) de milliards d'euros, là où l'Elysée espérait plutôt plusieurs pourcent du PIB de l'Union monétaire, c'est à dire plusieurs centaines de milliards d'euros.
La crise politique qui avait suivi l'élection fédérale de septembre 2017 en Allemagne et l'envolée de l'AfD avait amené l'entourage d'Angela Merkel à reculer sur l'idée même d'une concession symbolique, ce qui avait conduit à un nouveau bras de fer au cours duquel Paris était parvenu a imposer de nouveau le principe de cette concession.
Il est difficile de voir de la nouveauté dans l'annonce qui a été faite, et la modestie du montant final pourrait causer un certain embarras. Naturellement, on peut imaginer qu'un rapport de force aboutisse a un montant supérieur aux 17 milliards dont on parle parfois, pourquoi pas le double. Mais il convient de garder a l'esprit que ces montants n'ont pas de signification macroéconomique a l'échelle de la zone euro.

La question du rôle du MES pour soutenir directement les banques en temps de crise systémique est déjà plus substantielle, et laisse une plus grande marge de manœuvre, étant donné que ce dossier plus technique, reposant sur des engagements implicites, est moins présent sur le radar des conservateurs allemands, et peut être moins marquant sur le plan des symboles. On peut ainsi s'étonner de la focalisation dont relèvent les annonces à répétition sur l'établissement du budget. Cette faille spatio-temporelle, qui commence en tant que telle à prendre un tour plus fascinant que le modeste fond du dossier, résulte peut-être d'un excès de zèle de certains commentateurs journalistiques peu au fait des réalités franco-allemandes.

D'un côté on adopte un budget de la zone euro, de l'autre l'Italie indique qu'elle envisage d'émettre des bons du trésor pour chuinter le système de financement de l'Union européenne: un pas en avant, deux pas en arrière ? Assiste-t-on à un dialogue de sourds ? 

L'idée de la mise en place des Mini-BOTs par le gouvernement italien s'inscrit également dans ce rapport de force. L'inquiétude exprimée par la BCE en témoigne. Le projet en tant que tel est modeste, puisqu'il consiste à fournir aux entreprises qui souffrent des retards de paiement de la part de l’Etat des titres de dette, qui peuvent en retour être utilisés par les entreprises pour payer une partie de leurs impôts. Il s'agit d'une astuce comptable, mais qui touche a la définition de la monnaie...

La monnaie moderne s’apparente à une dette éternelle. Et symétriquement, la dette joue un rôle monétaire, au travers de la notion de liquidités. Il restera a voir quel rôle exacte l'Etat italien donnera a ces titres de dette, et surtout quelle sera la réception de la part des entreprises en ce qui concerne l'éventuelle circulation. Ces mini-BOT tels qu’ils sont évoqués restent éloignés d’une alternative à l’euro, ou d’une monnaie parallèle, mais la frontière qui sépare les diverses notions monétaires sont poreuses. La pression, bien que très indirecte à ce stade, en est tout de même réelle.

Il y a quelques années, un plan censé réagir à la sortie de la Grèce de l'Union européenne avait été préparé en cas de catastrophe. Que nous apprend ce plan drastique sur l'état des relations entre pays européens et sur le fonctionnement financier et économique de l'UE ? 

On avait en 2015 eu vent de travaux réalisés au sein de la Commission européenne par des économistes et juristes, pour préparer une éventuelle expulsion de la Grèce de la zone euro. Un livre récent en a dévoilé les détails. En lisant les comptes rendus dans la presse financière, on voit confirmées un certain nombre de déclarations de l'époque, mais un certain nombre de points créent un malaise supplémentaire.

Les travaux insistent sur l’exposition des États européens à la dette grecque, mais suivant un amalgame courant chez un certain nombre d’économistes en Allemagne, entre les dettes dues indirectement aux Etats européens via les dispositifs européens de sauvetage et les dettes dues à la BCE. Cela suppose que, en cas de défaut auprès de la BCE, Les Etats auraient dès lors du compenser ces pertes en la recapitalisant, suivant une interprétation littéraliste des textes européens, qui me prend pas en compte les possibilités offertes aux banques centrales contemporaines, qui ne sont pas des entreprises commerciales soumises au concept de faillite. Alors que Milton Friedman et ses disciples étaient capable d’avancer l’idée de « helicopter money » (financement de l’Etat par la banque centrale) en période d’inflation basse (ainsi que la notion de revenu universel dans un autre contexte), on mesure à quel point la variante européenne de cette idéologie est plus stricte, allant jusqu’à imaginer un renflouement de la banque centrale par les Etats-membres…

Par ailleurs, il semble qu’une des principales hypothèses de travail reposait sur l’idée que, une fois le retour à la Drachme effectué, l’Etat grec serait susceptible de tout de même conserver en euros l’intégralité de ses dettes dues aux créditeurs européens. La dévaluation attendue de la drachme se serait traduit par une explosion du ratio de dette publique du même ordre. Alors que la Grèce aurait, dès lors, cherché à tout prix à convertir ses dettes en euros en drachmes et fait défaut sur une large partie du reste (notamment les dettes de droit international), les travaux de la commission envisageait que la Grèce se verrait contrainte d’honorer l’intégralité de ses dettes, en euros, et aurait à cette fin besoin de nouveaux plans d’aide européens… L’enchaînement qui semble avoir guidé une partie au moins de ces travaux peut être vue comme un source d’inquiétude supplémentaire, dans le sens où beaucoup de commentateurs pensaient à l’époque que les plans secrets élaborés au sein de la Commission revêtait un certain niveau de réalisme pratique. Et l’on passe sur les détails quant aux inspections prévus pour empêcher la Grèce d’imprimer des billets d’euros en cachette et ainsi s’assurer du caractère totale de l’expulsion… On s’étonnerait presque de ne pas trouver des modalités d’évacuation des émissaires de la Troïka par hélicoptère depuis des toits d’immeubles… Si la mention d’un programme humanitaire pour limiter les conséquences de cette expulsion monétaire a du mérite, on note que les éléments présentés dans la presse financière tendent à dépeindre un plan très orienté politiquement et parfois même fantaisiste à certains égards.

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