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Pourquoi il vaut mieux arrêter de vouloir décrocher un CDI à tout prix que de mourir d'ennui
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Bonnes feuilles

En s’appuyant sur son expérience personnelle et de nombreux témoignages, l’auteur analyse ici les rapports de force au sein des entreprises. Extrait de "Cette comédie qu’on appelle le travail", de Corinne Berthaud, publié chez Calmann Levy (1/2).

Corinne Berthaud

Corinne Berthaud

Corinne Berthaud, 42 ans, s’est spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux en entreprise par le spectacle. Elle a écrit son livre avec Gaëlle Rolin, journaliste, par ailleurs coauteur de La Revanche des nuls en orthographe (Calmann-Lévy, 2012).

 

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Pourtant, l’angoisse générée par la crise pousse parfois les parents à orienter leurs enfants vers les emplois « sûrs » : « Dans la fonction publique, on est sûrs d’avoir un emploi à vie ! » entend-on fréquemment. Mais qu’est-ce qu’une vie avec un emploi dans lequel on s’ennuie à longueur de journée ? Un sursis avant la mort ?

J’ai toujours privilégié l’intérêt d’un poste au confort qu’il m’apporterait. Après ma mission dans cette administration dont je parlais plus haut, j’ai eu deux propositions, grâce à l’épouse de l’un de mes anciens collègues : un poste en CDD et l’autre en CDI. J’ai passé les deux entretiens. Dans l’entreprise qui me promettait un CDI, j’aurais eu un bon salaire, des avantages. Mais j’avais visité les locaux et tout le monde me paraissait triste. J’avais le sentiment que si j’y entrais, j’allais crever d’ennui. Alors j’ai opté sans regrets pour le CDD, qui consistait à décrocher des annonceurs pour un magazine sportif. Et faire ce choix m’a permis, ensuite, de rencontrer Marc, qui m’a donné les clés d’Idemsign, l’entreprise d’automates en redressement judiciaire que j’ai relancée à vingt-quatre ans.

Monique, ma supérieure, avait bien essayé de me faire rester en augmentant mon salaire, mais c’était trop tard, ma curiosité était piquée au vif. La mission dans laquelle j’avais suivi Monique m’avait passionnée, mais sauver des emplois, un capital, c’était un challenge trop alléchant pour que je refuse. J’avais quitté cette entreprise comme j’y étais arrivée : en privilégiant le sens du travail. Si, au départ, j’avais privilégié le confort du CDI, je n’aurais rien connu de tout cela.

Trop souvent, j’entends les gens, les jeunes surtout, parler de plan de carrière, viser la place du supérieur pour prendre ensuite celle du supérieur du supérieur. Sans se demander si c’est ce qu’ils souhaitent vraiment. On leur a appris à viser haut pour donner une direction à leur vie. La verticalité comme seule échappatoire. Ne pas s’arrêter, toujours grimper, en ne reprenant parfois son souffle que lorsqu’il est trop tard pour revenir en arrière ou prendre une autre route. Dans notre société, il y a ceux qui ont sauté le gué, se retrouvent, sains et saufs, de l’autre côté, au royaume du CDI et du prêt sur trente ans. Et il y a les autres, ceux qu’on regarde du coin de l’oeil avec condescendance.

Personne, par exemple, ne chante les louanges de l’intérim. Dans un dîner, si vous rencontrez quelqu’un qui enchaîne les missions en intérim, beaucoup le plaindront, se diront que c’est une situation subie, faute de mieux. Mais pourquoi ? Comme l’apprentissage, l’intérim souffre en France d’un déficit énorme d’image. Moi, je le plébiscite : l’actif n’est pas lié à une entreprise de façon contraignante, il n’est pas sommé de rentrer dans un système et il peut vraiment privilégier l’intérêt de la mission. L’intérim, aujourd’hui, a évolué, il n’est plus réservé aux métiers manuels. Le nombre d’intérimaires bac+3 a augmenté de 14 % entre janvier 2013 et janvier 2014, selon Prism’emploi, près de 72 % des salariés français jugent le travail temporaire positif ou très positif. Mais il y a un hic : les intérimaires français qualifiés sont plus nombreux qu’ailleurs à être préoccupés par la location d’un logement. Les banquiers n’aiment pas les intérimaires, même quand ils gagnent bien leur vie. Pourtant, il y a de nombreux postes à pourvoir, dans l’immobilier, les nouvelles technologies ou l’aéronautique.

Malgré cela, l’intérim ne représentait en 2013 que 2,2 % de la population active dans l’Hexagone. Des Français ont la possibilité de s’investir dans des missions qu’ils choisissent, rémunérées correctement, des entreprises cherchent des candidats qui, eux, préfèrent attendre le Graal du CDI plutôt que de foncer. Pourquoi ? Parce que les banques ne prêtent pas à ces gens-là.

Certains sont prêts à tout et à n’importe quoi, y compris à se laisser humilier, en échange de cette sécurité apparente. Pierre, vingt-sept ans, a travaillé deux mois dans une entreprise de logistique, dans des conditions déplorables. « Nous devions avancer nos frais d’essence, nous roulions sans GPS, sans téléphone portable de société », explique-t-il.Leurs heures supplémentaires étaient allègrement revues à la baisse, et il fallait s’armer de patience et être coriace pour obtenir leur paiement. La plupart des salariés ne tenaient pas plus de quelques mois, et ils étaient payés au Smic. S’ils enduraient ces conditions, c’était pour une seule raison, selon Pierre. Parce que l’entreprise proposait directement des contrats à durée indéterminée, et que tous voyaient là un sésame pour construire le reste de leur vie. Ils étaient prêts, pour cela, à serrer les dents pendant les deux mois de période d’essai – une durée, soit dit en passant, abusive pour la convention du secteur – pour obtenir leur fameux CDI. « L’employé qui m’a formé était vraiment au bout du rouleau, il ne supportait plus la désorganisation, le mépris de la hiérarchie. Mais il restait parce que la banque examinait sa demande de prêt immobilier, il devait tenir bon jusqu’à l’autorisation. » Doit-on entrer dans un processus de servitude volontaire, simplement pour pouvoir avoir le plaisir de dire que l’on est propriétaire ?

Extrait de "Cette comédie qu’on appelle le travail", de Corinne Berthaud, publié chez Calmann Levy, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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