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Pourquoi Emmanuel Macron ferait bien de s'opposer à la volonté d’Angela Merkel de remplacer Mario Draghi par le patron de la Bundesbank à la tête de la BCE
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Mangé tout cru

Sans Allemands à la BCE, la chancellerie obtenait déjà tout ce qu'elle voulait. Avec Weidmann, recommandé par l'Allemagne, qu'est que cela sera ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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« TOUS les gouvernements mentent. Mais c’est particulièrement désastreux dans les pays où les dirigeants finissent par croire aux mensonges qu’ils distillent », Isidor Feinstein Stone.

« On » nous dit qu’Angela Merkel, jamais en panne d’une mauvaise idée unilatérale pour défaire l’Europe, pousse une candidature de Jens Weidmann (le chef de la Bundesbank) pour remplacer Mario Draghi vers octobre 2019 à la tête de la BCE ; sous l’angle du « cette fois-ci c’est notre tour », un argument de haute volée et en respect de l’esprit communautaire. On n’en sait pas beaucoup plus, bruits de couloir ( ?), intimidation à la veille d’échéances électorales importantes outre-Rhin ( ?), et/ou communication institutionnelle ordinaire (une bonne communication, c’est comme une mini-jupe : elle doit être assez longue pour couvrir l’essentiel, et assez courte pour susciter l’intérêt).

Plusieurs éléments factuels doivent être rappelés ici, même si les français s’en moquent, persuadés qu’ils sont que la libéralisation des bus entre Albi et Charleville-Mézières est une affaire bien plus importante, et concentrés qu’ils sont sur l’essentiel (une baisse de 2,5 points de charges sociales compensée par une hausse de 1,7 points de CSG : la révolution est en marche) :

1/ la Bundesbank tempête toujours et partout contre le « laxisme monétaire », contre l’inflation « au coin de la rue », contre le Quantitative Easing, contre les « taux bas », etc. Petit problème : l’inflation est un volcan éteint en Allemagne, même avec un euro prétendument « trop bas », même avec des taux négatifs jusqu’à 5 ans, même avec le pseudo « plein emploi », etc. Les jérémiades continuent pourtant, de plus en plus surréalistes, comme la fameuse « paupérisation du prolétariat » brandie dans les années 50 par le Parti Communiste (en plein milieu de la phase d’avancées économiques et sociales la plus extraordinaire de l’histoire) : 

Dit autrement, la nomination de Weidmann consisterait à porter (encore plus) au pouvoir économique européen des gens qui ont eu tout faux depuis au moins 10 ans sur tout (les taux, la macroéconomie nationale et globale, les banques, etc.), systématiquement, et avec des conséquences fâcheuses (la montée des taux BCE en 2011, par exemple…), et sans jamais s’excuser. Je sais que cette tendance est à la mode un peu partout, c’est tout de même affligeant : la technocratie est déjà détestable quand elle conduit à un monopole des gens qui ne disent pas ce qu’ils savent, elle devient ridicule quand elle mène à un monopole des gens qui ne savent pas ce qu’ils disent. 

(petite parenthèse humoristique : selon une étude, wp n°2047, publiée le 19 avril par la Banque centrale européenne, 43,7% des banquiers centraux interrogés disent avoir fait l’objet de critiques. Le taux monte à 62,5% pour les banques centrales des seuls pays développés. Les banquiers centraux ont désormais un pouvoir de vie et de mort sur vos économies, sur vos banques, sur vos emplois, mais si vous les critiquer c’est embêtant pour leur indépendance, le premier pas vers une dangereuse « fiscal dominance » qui pourrait conduire un jour au scénario vénézuélien ; j’exagère à peine).  

2/ Il doit y avoir un truc caché, comme souvent avec nos amis de la Bundesbank qui ont toujours tendance à mettre les vérités qui dérangent sous un épais tapis (les relations incestueuses avec les banques régionales, par exemple). D’abord, cette agitation médiatique sur Weidmann vient deux ans avant le départ de Mario, et deux ans c’est long : on peut se demander si le but de la manœuvre n’est pas aussi et surtout une bonne vieille dissuasion, un totem préventif, du genre : « n’en rajoutez pas sur le QE ou sur les taux ou sur le Whatever it takes, car nous, allemands, avions mis de l’eau dans notre vin entre 2012 et 2016 pour que l’euro survive, mais il faudra bien revenir aux choses déflationnistes sérieuses d’ici peu, le cycle de japonisation n’attend pas ». L’Allemagne, en agitant un vélociraptor au lieu d’un faucon, va obtenir ce qu’elle obtient souvent de la BCE : le minimum syndical en matière de détente monétaire, un QE mou et au fil de l’eau qui réussit à éviter le pire mais qui n’est pas calibré pour « reflater » vraiment le continent, une cible d’inflation de 2% non-atteinte pour la 6e année de suite et pour encore longtemps, etc. Cela peut aussi être une variante de la technique du bon et du méchant flic. Plus c’est gros, mieux ça marche. Ne riez pas : il était question il y a quelques années d’une nomination d’Axel Weber à la tête de la BCE ; on se souvient aussi des provocations de Jürgen Starck ; eh bien, il a fallu attendre 6 ans pour un QE en zone euro, comme quoi les épouvantails ça fonctionne aussi avec les moutons en zone euro.  

J’ai écrit tout un livre sur les techniques de maskirovka de la Bundesbank depuis ses débuts en 1948. Tout le monde s’en fout et c’est bien dommage : quitte à se faire avoir dans la vie, autant savoir par qui, et comment, au lieu de ressasser sur des boucs émissaires faciles dont les pouvoirs sont démonétisés depuis bientôt 20 ans (Bruxelles par exemple, qui regarde passer les trains pilotés à Francfort).  

3/ Que veut l’Allemagne, au fond ? 

L’Allemagne (CSU et SPD, sur ce point c’est strictement la même chose !) ne veut pas que son système monétaire éclate, elle est le cœur et l’ancre nominale de ce système. L’Allemagne (mamie Merkel ou papa Schultz, peu importe) ne veut pas revoir des dévaluations aléatoires sur le vieux continent, car alors on s’apercevrait que la « compétitivité allemande » vaut surtout en régime de changes fixes, et que la modération salariale est un jeu de dupes. L’Allemagne ne veut pas d’une dislocation de l’euro, qui mettrait à mal la seule domination qu’elle peut s’offrir depuis qu’elle est un nain géopolitique, et elle ne veut pas mettre en danger les 800 milliards de créances qu’elle a sur l’Espagne et sur l’Italie. Enfin elle ne veut surtout pas du fédéralisme au-delà des mots (ni les euro-bonds ni d’autres formes de mise en commun des finances publiques), car dès qu’il s’agit des choses sérieuses (des choses monétaires, donc) l’Allemagne est plus gaulliste que nous. 

L’Allemagne veut sa souveraineté monétaire dans l’équivalent fonctionnel d’un étalon or new age, les privilèges du pays ancre sans les servitudes du pays ancre, le magistère monétaire mais sans la fonction de prêteur en dernier ressort et sans les déficits pour que les autres soient en excédents, elle veut pouvoir donner des leçons de réformes structurelles (alors qu’elle n’a rien fait dans ce sens depuis une décennie), des leçons de rigueur budgétaire (alors que sa croissance depuis 2008 est due à un tiers à la contribution des dépenses publiques !!), et des leçons de fédéralisme mais avec une Grèce qui coule à pic (pas de QE pour la Grèce ! pas de structures de défaisance ad hoc à la façon des landensbanken pour la Grèce !) ; et l’Allemagne veut tout cela parce qu’elle sait pouvoir l’obtenir, du moins tant qu’elle contrôlera la monnaie (et qu’on ne me raconte pas que son vote ne pèse pas plus lourd que les 17 autres à la BCE : à la BCE, ils ne votent pas !!). Et, quitte à contrôler, autant le faire avec des hommes sûrs, si c’est possible, et il se trouve qu’un Weidmann vaut mieux pour l’Allemagne que deux Draghi tu l’auras.  

Petite parenthèse. Pendant ce temps, l’euro perd des « parts de marché », quelle que soit la mesure utilisée (ici, la part de l’euro dans les réserves de changes mondiales). Cette part vaut à peine aujourd’hui la somme des parts de marché des anciennes monnaies nationales, et c’est un signe parmi d’autres de l’échec du projet (avec le blocage des flux financiers intra-zone depuis 2011, par exemple). Signe que le conservatisme buté de la BCE conserve peut-être la valeur, mais ne permet pas bien de remplir la fonction première de la monnaie, la circulation, les transactions, la fluidification des échanges… 

Je l’ai déjà dit dans ces colonnes il y a quelques années, Weidmann aime à se présenter comme francophile depuis ses études à Aix, et il cite souvent le groupe hexagonal Téléphone dans ses goûts musicaux : mais le tube de référence de ce groupe n’est-il pas « Argent trop cher » ? Voilà le programme véritable de ces gens, quand on décortique le message enrobé par les agences de communication : un ordre monétaire dur (enfin, dur aux faibles), japonisant, et à la limite de l’absurde depuis que l’inflation se traine en dessous de leurs propres cibles, un ordre fait pour les vieux, fait pour la survie des banques les moins productives, un ordre monétaire au service d’une stratégie commerciale néo-mercantiliste, hypocrite, non-coopérative, un ordre fort peu transparent au passage où les CV voyagent en circuit fermé entre Francfort, Bâle (BRI), Berlin, Luxembourg, sans trop de concurrence (Axel Weber replacé chez UBS, etc.), et sans trop de liens effectifs avec la recherche académique (pour ne prendre qu’un exemple, j’ai tout un stock d’études qui montrent que l’inflation est nettement surestimée dans nos mesures officielles : les 250 économistes aux ordres de la BCE préfèrent ne pas en parler, trop occupés qu’ils sont à se tromper sur leurs prévisions d’inflation depuis 9 ans, et toujours dans le même sens). Un ordre anti-biblique, soit dit en passant, pour ceux qui s’intéressent un peu au message sur la liberté et la remise des dettes (eh oui, la monnaie est aussi un mécanisme d’apurement des dettes et d’oxydation des passifs, de temps en temps, sinon l’ordre social n’aurait pas beaucoup bougé depuis le roi Salomon) ; je dis ça parce que les gens en pointe dans le combat de la Bundesbank se disent souvent chrétiens-démocrates et continuateurs d’Adenauer (quelle blague). Et, last but not least, un ordre diamétralement opposé à l’ordo-libéralisme qu’ils célèbrent tant, les fondateurs (morts) de ce courant ayant toujours été foncièrement hostiles au centralisme monétaire, aux conflits d’intérêt et aux taux de changes fixes. Bref.  

Si le tout-puissant ToutanMacron (nous ne sommes pas dignes, et que sa lumière nous protège, et que la pyramide du Louvre soit agrandie pour faire passer sa noble tête) veut bien un jour redescendre au niveau des affaires terrestres, concrètes et mesquines (la croissance et l’emploi, tout ça), il découvrira que taper un peu dans le cocotier de la Bundesbank et tripatouiller dans les affaires louches des nominations monétaires ne serait pas illégitime, ou inutile ; non pas que Benoit Coeuré soit très préférable à Weidmann, mais tout de même. S’il ne le fait pas, en bon continuateur des 4 ou 5 précédents pharaons-sur-seine, son règne ne servira pas à grand-chose, et se limitera à la poursuite de deux dérives déjà bien connues à Paris (syncrétisme et synarchisme, pour résumer). A quoi bon se lancer dans des réformes de l’offre risquées et ardues, et dans un serrage de vis budgétaire généralisé, si la BCE arrête son QE dès 2018, et monte même ses taux dès 2019, pour balayer le terrain avant l’intronisation du nouveau leader maximo (comme Bernanke l’avait un peu fait pour Yellen) ? Depuis quand est-il raisonnable de faire du marteau piqueur en plein tremblement de terre ?

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