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Pour un nouveau paradigme monétaire et budgétaire au niveau européen
©DANIEL ROLAND / AFP

Tribune du Millénaire

L’institut Eurostat a récemment indiqué que l’inflation au sein de l’euro zone a continué sa chute continue depuis fin 2018, en tombant à 0.8%. Un véritable changement paradigmatique en terme de politique monétaire est nécessaire.

William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Clément Perrin

Clément Perrin

Clément Perrin est directeur adjoint du Millénaire. 

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Florian Gerard-Mercier

Florian Gerard-Mercier

Florian Gerard-Mercier est directeur des études du Millénaire, think-tank spécialisé sur les politiques publiques et travaillant à la refondation de la droite.

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Le 16 Octobre dernier, l’institut Eurostat a confirmé que l’inflation au sein de l’euro zone a continué en Septembre sa chute continue depuis fin 2018, en tombant à 0.8%. Ce chiffre est loin, très loin, de l’objectif de la Banque Centrale Européenne (BCE) d’une inflation légèrement inférieure mais proche de 2%. Cette sous-inflation n’est pas un phénomène transitoire, dû à des effets conjoncturels.Au contraire, l’inflation de la zone euro a seulement été de 1.3% en moyennesur les dix dernières années, prouvant l’échec de la BCE sur son principal indicateur de performance. Plus généralement, depuis le début du XXIème siècle, avec la mondialisation de la finance, et la crise de 2008, la théorie macroéconomique « classique » utilisée pour piloter la politique monétaire a démontré son inefficacité chronique.

C’est de ce fait que de nombreuses interventions « non-conventionnelles » (taux directeurs négatifs, assouplissement quantitatif, etc.) ont dues être mises en œuvre par les banques centrales des grands pays développés. La Federal Reserve (Fed) américaine ainsi que la Banque du Japon (BoJ) ont été bien plus promptes et déterminées que la BCE à mettre en œuvre ces outils pour sauver leurs économies lors de la crise de 2008, et ont ainsi pu conserver le plein emploi et une bonne croissance dans les dix dernières années, contrairement à la zone euro. Ce changement de politique aux USA et au Japon s’est fait sous l’impulsion de la pressiondes gouvernements américains et japonais, qui ont poussé leurs Banques Centrales à répondre à l’urgence sociale du niveau d’emploi et de revenu, plutôt que de se focaliser sur la seule inflation, qui de toute manière est restée basse de manière persistante.

A l’inverse, la BCE, dont le mandat anti-inflationniste estgravé dans le marbre des traités européens (Article 123 du traité de Lisbonne), mandat dont les membres nordiques de la BCE veillent scrupuleusement au respect, a longtemps rechigné à changer de politique, et ne l’a fait que sous la menace d’un éclatement pur et simple de la zone euro. C’est en effet au plus fort de la crise de l’euro, le 26 Juillet 2012, que Mario Draghi, Président de la BCE, annonce finalement qu’il fera « tout ce qui sera nécessaire » pour le sauvetage de la zone euro, c’est-à-dire y compris des mesures non-conventionnelles jusque-là refusées par l’Allemagne et les autres pays nordiques.

Impulser un vrai changement de paradigme

Néanmoins, force est de constater que le changement nécessaire de paradigme n’a pas encore eu lieu, comme en atteste la rechute de l’inflation sur l’année passée. Ainsi, alors même que la prochaine crise ne s’est pas encore déclarée, Mario Draghi a annoncé le 12 Septembre dernier que la BCE continuait à baisser son taux directeur, le faisant passer de -0,4% à -0,5%, et qu’un nouveau plan d’assouplissement quantitatif serait mis en place, sans date de fin prévue à ce stade. Cet état de fait est d’autant plus inquiétant que ces outils « non-conventionnels » ont commencé à montrer leurs limites (vu qu’ils ne nous ont pas permis de sortir des pressions déflationnistes même dans un contexte favorable), et qu’un cycle économique moins favorable s’annonce (avec une croissance de la zone euro prévue à seulement 1.2% pour cette année).

Un véritable changement paradigmatique en terme de politique monétaire est donc nécessaire. Or, avec l’arrivée de Christine Lagarde à la tête de la BCE, et le changement politique lié à la fin de règne de la Chancelière Merkel, les européens disposent d’une occasion unique d’opérer ce changement et de faire évoluer leur politique monétaire aux impératifs du XXIème siècle.Alors, quelles alternatives seraient possibles ? A minima, le mandat de la BCE doit correspondreà ceux de la Fed ou de la BoJ, afin de lui permettre de se focaliser non seulement sur l’inflation mais aussi et surtout sur les niveaux d’emploi et de croissance (qui demeurent obstinément plus bas dans la zone euro que dans les autres économies avancées). Cependant, l’Europe pourrait prendre le leadership mondial en s’inspirant d’une nouvelle théorie monétaire qui gagne actuellement en traction aux USA, la Modern Monetary Theory.

Un des problèmes centraux de la politique monétaire est la gestion de la masse monétaire totale de l’économie. Jusqu’à présent, la théorie classique et monétariste suppose que la Banque Centrale peut contrôler cette masse en incitant les banques (qui sont les responsables de l’écrasante majorité de la création monétaire) à prêter plus ou moins, par le biais du taux d’intérêt directeur de la Banque Centrale. Or, la dernière décennie a prouvé que même dans le cas où la BCE paye les banques pour prêter (taux directeurs négatifs), les banques n’ont malgré tout pas prêté aux particuliers et entreprises comme prévu. Même les achats directs de dette d’Etat sur les marchés n’ont pas conduit à l’augmentation escomptée de masse monétaire : ces opérations non-conventionnelles ont certes permis aux banques de disposer de plus de liquidités, mais les banques n’ont pas utilisé ces liquidités comme collatéral pour prêter davantage. Toutes ces liquidités, et la facilité et le coût faible des emprunts qui en résultent, ont conduit les opérateurs financiers à acheter des actifs (actions, obligations, etc.), qui ont augmenté massivement de prix,de manière complètement décorrélée des fondamentaux de l’économie. Ainsi, les injections de liquidités de la BCE sont restées dans un circuit fermé et n’ont pas permis d’affecter efficacement le fonctionnement de l’économie réelle.

Une nouvelle théorie monétaire

La Modern Monetary Theory (MMT)dispose que dans un système de monnaie papier (« fiat » currency créée par la seule volonté de l’Etat, et adossée à aucun actif fixe comme l’or), c’est l’Etat, par sa politique budgétaire, qui est le plus à même de réguler la taille de la masse monétaire. Ainsi, selon cette théorie, tant que l’inflation reste faible, l’Etat devrait maintenir de forts déficits budgétaires (c’est-à-dire, un transfert de masse monétaire de la sphère public au secteur privé des particuliers et entreprises), financés non par la dette (qui est de l’argent provenant du secteur privé, décroissant ainsi la masse monétaire), mais directement par de la création monétaire auprès de la banque Centrale. En effet, l’Etat augmente la masse monétaire en ayant un déficit budgétaire (en déposant plus ou en baissant les impôts), et réduit la masse monétaire (privée) en émettant de la dette ou en augmentant les impôts.

Cette manière de gérer la taille de la masse monétaire dans l’économie d’un pays a l’avantage de s’affranchir de la courroie de transmission aujourd’hui plus que distendue que représentait l’industrie financière jusqu’à la crise de 2008, et d’agir directement sur les acteurs de l’économie réelle que sont les entreprises et les particuliers. De ce fait, cela permettrait d’être plus réactif et plus efficace face aux urgences économiques ou aux problèmes aujourd’hui structurels comme le chômage de masse et les pressions déflationnistes.Cette politique monétaire aurait l’avantage supplémentaire de permettre de rétablir un contrôle démocratique de la politique monétaire d’un pays, plutôt que de rester comme aujourd’hui dans une technocratie soumise à des contraintes légalesqui ne sont plus adaptées au double impératif du fonctionnement de l’économie au XXIème siècle et d’une demande poussée de démocratie.

Enfin, dans le cas de la zone euro, cette approche a également un avantage décisif, qui pourrait permettre de sauver durablement la zone euro :cette approche permet d’adapter la politique monétaire à l’intérieur de chaque pays de la zone monétaire. En effet,aujourd’hui les pays de la zone euro souffrent du « one size fits all » du taux directeur unique de la BCE, qui ne permet pas d’ajuster la politique monétaire aux circonstances de chacun des pays de la zone euro, ne faisant de ce fait que des mécontents. A l’inverse, la gestion de la masse monétaire directement par chacun des Etats de la zone via les déficits publics financés par la BCE, les impôts et l’émission de dette (réservée aux résidents et entreprises du pays) permettrait d’avoir une politique monétaire accommodante dans les pays où l’inflation est faible voire négative (comme la Grèce à -0,07%, le Portugal à -0 ,11 ou l’Espagne à 0.08 en Septembre 2019), et restrictive dans ceux où l’inflation est élevée (comme les Pays-Bas à 2,65%, la Slovaquie à 2,83 ou la Lettonie à 2,55 en Septembre 2019).

Les européens ont désormais une opportunité unique d’opter pour une politique monétaire adaptée au XXIème siècle, tant pour se préparer à la prochaine crise, que pour résoudre durablement le problème fondamental de l’inadéquation d’un taux directeur unique pour une zone monétaire aux économies diverses et divergentes, pour enfin être novateur dans la politique économique. Le départ de Mario Draghi le 31 octobre prochain, doit permettre à la fois de continuer sa politique monétaire mais également de la développer et de l’ancrer pour ne pas être tributaire des jeux d’influences à Frankfort. 

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