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Pour comprendre ce qui se passe vraiment dans la tête de quelqu'un qui se retrouve en position de harceleur sans en être conscient
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Souffre-douleur

Des chercheurs de l’hôpital Mount Sinaï aux Etats-Unis affirment avoir démontré que le harcèlement active chez les brutes un mécanisme cérébral lié à la récompense et au plaisir.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Des chercheurs de l’hôpital Mount Sinaï aux Etats-Unis (voir étude) ont identifié des communications de cellules nerveuses entre des régions spécifiques du cerveau, fournissant des informations pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouvelles informations sur les possibles motivations des brutes. De fait, ils affirment avoir démontré que le harcèlement active chez les brutes un mécanisme cérébral lié à la récompense et au plaisir. Comment a été menée cette étude et que nous apprend-elle exactement ?

André Nieoulon : Une bien belle expérience en vérité ! Mais en ce domaine il faut être prudent quant aux extrapolations de ces résultats très fondamentaux. L’idée est de rechercher non pas les mécanismes neuronaux de l’agressivité mais de mettre en évidence les mécanismes de régulation de ce comportement. De fait, l’agressivité ne constitue pas une émotion en elle-même mais bien un trait de caractère correspondant par exemple à l’expression comportementale de la colère. En ce sens, l’alcoolisme est une bonne illustration. C’est parce qu’il exprime une forme de colère que l’alcoolique va pouvoir être agressif. L’expérience vise donc à préciser les mécanismes de régulation de ce type de comportement considérant que, schématiquement, il se trouve deux grands types de régulation : une régulation hormonale faisant intervenir classiquement la testostérone, et une forme de régulation d’ordre neurobiologique. C’est dans ce registre que s’inscrit l’expérience que vous citez. Le modèle utilisé par les chercheurs est assez classique sur le plan comportemental. Il s’agit de mettre en présence des souris mâles de souches génétiques différentes. Dans ce cas la plupart de ces souris vont instinctivement développer un comportement agressif vis-à-vis des souris "intrus", bien qu’il soit notable que ce comportement n’est pas automatique puisqu’environ 30% d’entre elles ne le développent pas, ce qui pose la question de traits de régulation génétiques, que nous n’aborderons pas ici.

L’approche neurobiologique vise alors à tenter de "moduler" ce comportement agressif en agissant sélectivement au niveau de structures cérébrales bien identifiées. Cette problématique n’est pas nouvelle et de nombreuses expériences ont déjà montré que certaines régions de ce que nous nommons le "système limbique" interviennent effectivement dans la réponse comportementale correspondant à ce type d’agressivité. Ainsi, une structure cérébrale nommée amygdale est connue depuis fort longtemps comme étant l’un des sites de régulation. De même, une autre région avec laquelle elle est connectée, nommée hypothalamus, intervient également ; et encore d’autres régions thalamiques ou du tronc cérébral (aire tegmentale ventrale) et jusqu’aux neurones produisant de la sérotonine dans le cerveau. Ici les chercheurs ont testé l’implication d’un autre circuit lié au système limbique, passant par un autre noyau déjà connu pour participer à la régulation des états affectifs, nommé habénula. C’est la manipulation élégante, grâce à des méthodes électrophysiologiques des plus actuelles (méthodes optogénétiques), d’une connexion anatomique (inhibitrice) élégamment mise en évidence ici et mettant en relation les structures du cerveau antérieur avec l’habénula, qui permet de moduler la réponse comportementale d’agressivité. Tout se passe alors comme si l’augmentation de l’activité des neurones de l’habénula suite à la mise au silence de la voie neuronale inhibitrice provenant du cerveau antérieur, se traduisait par une réduction du comportement agressif. Une information nouvelle, qui permet de démêler un peu plus l’écheveau des réseaux complexes qui régulent l’agressivité !

Le fait de brutaliser quelqu'un est-il synonyme de récompense et de plaisir chez ces personnes ? Comment cela se traduit-il ?

La réponse à cette question est complexe et l’on voit là toute la difficulté d’extrapoler les résultats de cette expérience, aussi élégante soit-elle, au comportement humain. Ce qui est implicite dans l’expérience précédente est que si maintenant on s’intéresse aux mécanismes neuronaux de la réponse comportementale et non plus seulement à sa régulation, alors il est clair que d’autres éléments neuronaux interviennent. Schématiquement, là encore, nous savons qu’au-delà de l’amygdale et de l’habénula, l’une des "voies d’expression" de cette réponse comportementale est conditionnée par la mise en jeu de ce que nous nommons par ailleurs les "systèmes de récompense" du cerveau. Plus précisément, il s’agit de neurones bien connus participant généralement à ce que l’on peut désigner de façon quelque peu réductrice comme "la quête du plaisir". Explicitement, il s’agit d’une population de neurones de l’encéphale médian, que l’on désigne par "aire tegmentale ventrale" et qui contient des neurones sécrétant un neurotransmetteur phare du cerveau, la dopamine. Ainsi la lésion de ces neurones chez l’animal est connue pour réduire les comportements agressifs, au même titre que l’activation de l’habénula illustrée ici, ou que la destruction de l’amygdale ou de certaines régions précises de l’hypothalamus. Bien entendu cette vision est schématique et les neurones dopaminergiques sont impliqués dans bien d’autres processus. Mais il est intéressant de voir que de nombreux stimuli qui relaient une sensation de plaisir activent ces neurones dopaminergiques. Quant à franchir le pas pour dire que l’agression est synonyme de récompense et de plaisir comme vous le formulez, je n’irai pas jusque-là considérant que, fondamentalement, comme je l’ai rappelé plus haut l’agressivité n’est pas une émotion en soi et représente plutôt une réponse à un état émotionnel, en l’occurrence la colère. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur ce point.

Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer pourquoi une brute éprouve du plaisir de la violence et de l'humiliation qu'elle cause ?

Ici nous quittons le domaine de la neurobiologie pour celui de la psychologie voire de la psychiatrie, et je suis beaucoup moins compétent pour tenter de répondre à vos interrogations. Néanmoins, le déterminisme des comportements agressifs est certainement l’une des questions les plus difficiles à traiter. On l’a évoqué plus haut, la régulation des états affectifs et des réponses comportementales associées, dont l’agressivité, relève de facteurs multiples, y compris hormonaux et d’ordre génétique, vraisemblablement, et jusqu’à l’action de substances psychotropes dont l’alcool est une bonne illustration. Mais la question des "valeurs" pour l’individu est certainement un élément majeur des contrôles de ces comportements violents. Dans ce contexte, il est important de ne pas "forcer le tout biologique" dans le déterminisme de ces comportements, au risque de voir la responsabilité de l’individu vis-à-vis de la société se confondre. C’est une thématique très actuelle de ce que l’on désigne très abusivement selon moi par "neurojustice" où la recherche de "biomarqueurs", notamment par l’imagerie cérébrale, vise à dépénaliser les individus. Responsable mais pas coupable ? Un débat sans fin.

Enfin, ces recherches permettent-elles de dresser un bilan permettant, à terme, de mieux comprendre et de mieux traiter ces personnes éprouvant du plaisir dans la violence physique et morale ?

L’un des mérites de cette étude est effectivement de mettre l’accent sur l’identification dans le cerveau de cibles thérapeutiques potentiellement nouvelles pour traiter les personnes violentes, bien que ce type d’assertion doive être accompagné de sévères réserves quant aux considérations éthiques liées à ces "traitements" de l’agressivité. De fait, chacun se souvient des épouvantables effets des lobotomies frontales des années 1950 remis à jour récemment par les révélations de celle subie par l’une des sœurs du Président Kennedy… Mais d’autres stratégies ont été mises en œuvre, au moins expérimentalement chez l’homme. Ainsi des lésions de l’amygdale semblent avoir donné de meilleurs résultats, au moins dans quelques cas. Mais plus récemment d’autres méthodes expérimentales se sont fait jour utilisant la méthode de stimulation cérébrale profonde mise au point à Grenoble avec un énorme succès par le Professeur Alim-Louis Benabid à la fin des années 1980 pour le traitement du tremblement et de la maladie de Parkinson. Cette méthode a été proposée depuis dans le traitement de certains syndromes d’ordre psychiatrique, notamment certaines formes de dépression résistant aux traitements antidépresseurs, semble-t-il avec un certain succès. Dès lors pourquoi ne pas imaginer qu’une telle méthode de neurochirurgie fonctionnelle, moins radicale que la psychochirurgie, puisse également participer à l’atténuation de certains comportements violents par l’implantation d’électrodes de stimulation à demeure dans l’amygdale, le cerveau antérieur ou l’habénula ? Une direction de recherche qui nécessite encore de longs développements expérimentaux. A suivre.

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