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Post-Covid 19 : il faudra réinventer la culture
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Déconfinement

Pour demain il nous faut une autre culture : le civisme et l'inventivité. Il est établi désormais que le "déconfinement" sera progressif, modulé en fonction des populations, des régions et des activités. L'idée d'une libération soudaine et festive est vaine et dangereuse. Soulagement oui, libération non.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Malgré des infléchissements récents, le discours présidentiel et gouvernemental est resté privé de chaleur civique. On continue s'adresser à la nation sur un mode de défiance en annonçant des choses assez vagues pour pouvoir se défausser le moment venu. Depuis le début de cette crise qui n'est pas une guerre, mais un séisme grave et profond, le pouvoir s'est adressé aux citoyens comme s'ils étaient irresponsables, inintelligents et mineurs, avec comme corrélat menaces et répression à la Lallement. On n'a toujours pas de masques mais les stocks de grenades de désencerclement sont là et bientôt il y aura des drones partout.

Or, dans une situation qui va rester « anormale »  pendant longtemps, probablement jusqu'à la mise au point d'un vaccin anti Covid, en raison aussi de l'indispensable reprise de l'activité économique, deux choses seront indispensables : l'appel au civisme et l'inventivité.

L'appel au civisme n'est rien de ridicule ni d'idéaliste quand on voit le dévouement et le sens du sacrifice dont ont su faire preuve nombre d'acteurs sociaux depuis le début de la crise et pas seulement dans le monde médical. 

Sauf qu'un tel appel ne se fait pas en lisant un prompteur ni en organisant des visites spectacle pour la « com » : il faut répéter encore et encore et avec des mots simples et sentis à quel point nous sommes tous dans le même bateau (pour une fois le principe responsabilité de Hans Jonas a sa place dans le discours politique!), à quel point chacun doit peser ses comportements en pensant à leurs conséquences pour autrui, à quel point aussi chacun peut faire preuve d'imagination au lieu de chercher la débrouille. Au lieu de cela, on nous a servi tous les télé-quelque chose de la création, la livraison à domicile, le sport sur horaires administratifs, une définition policière de la « première nécessité » avec ses « attestations imprimées » sur le mode « imprimés Cerfa ». Les êtres humains savent raisonner et se conduire intelligemment  – à condition qu'on le leur demande, qu'on le leur répète et qu'on leur dise à quel point chacun doit pouvoir compter sur tous.

Du civisme, il va effectivement en falloir, et pendant de longs mois, pour refuser les comportements de ticket gratuit (pourquoi obéirais-je si tous les autres obéissent à ma place?), pour ne pas commettre d'imprudences, pour ne pas rechercher les passe-droits et les combines.

Il va falloir aussi beaucoup d'inventivité.

De très nombreux comportements vont devoir être « réinventés ». Nous serons dans un monde où les restaurants devront diviser par trois le nombre de leurs tables, où les compagnies de transport devront laisser un siège sur trois inoccupé – c'est l'annonce d'Easyjet hier et elle devrait valoir pour les wagons à bestiaux de la SNCF ou ceux de la ligne 13 de la RATP, où il faudra savoir faire la queue et patienter. Certains prix vont considérablement et naturellement monter – fini le « low cost » !

Ce sera aussi un monde où il faudra au moins faire semblant de payer ses dettes. Pour amortir le choc, on a rassuré : « l’État paiera ». Avec quoi ? On entend déjà évoquer un impôt de crise. Fabuleuse idée d'utiliser un système fiscal déjà aberrant et injuste. ! Pourtant, là aussi on pourrait inventer - par exemple en imaginant un emprunt  universel forcé avec une durée longue d'amortissement et un rendement raisonnable, qui transformerait le prétendu « impôt » en une rente que les citoyens se serviraient à eux-mêmes parce qu'ils se seraient emprunté à eux-mêmes. 

Pour donner un autre exemple encore plus simple, j'ai été étonné que pendant le confinement, alors que les librairies n'étaient pas considérées comme de première nécessité (de même que les magasins de bricolage!), alors que Amazon ne livrait plus de livres pour se concentrer justement sur les produits de première nécessité, personne n'ait eu l'idée de réclamer une baisse énorme et provisoire du prix des livres numériques. Je comprends à la rigueur que les éditeurs maintiennent anormalement élevé le prix des livres numériques pour défendre les librairies mais qu'est-ce qu'il y aurait eu de mal à baisser ce prix quand les librairies étaient par la force des choses fermées ? Apparemment, il était plus intelligent d'enrichir Netflix.

La suspension des cours aura permis à chacun de mesurer à quel point les programmes scolaires sont ineptes, à quels points les profs font un boulot de chien sous le double flicage des « parents d'élèves » et des inspecteurs généraux. Ah si l'expérience du confinement pouvait faire réfléchir à tout ce qu'il faut inventer dans l'école !

Il faudra réinventer aussi un environnement moins encombré,  pollué aujourd'hui par tout et n'importe quoi – depuis les véhicules jusqu'au mobilier urbain, depuis les promène-couillons touristiques jusqu'aux panneaux en tous genres -, des villes plus vides et vivables, des  circulations plus lentes, des horaires élargis pour éviter les bouchons et les surcharges. 

La sociabilité, qui a été au cœur de cette autre crise durable, celle des Gilets jaunes, s'en verra elle aussi changée. Il y a tellement à faire  pour qu'elle ne se limite pas à la consommation de mojitos sortis du baril pendant la happy hour sur des terrasses enfumées !

Ce ne sont là que des exemples mais chacun peut penser à quelque chose dans son coin.  Toute crise suscite non seulement de la destruction mais de l'innovation et celle-ci n'est pas forcement anti-économique – sauf que certains feront peut-être moins de fric moins rapidement. Est-ce si grave ?

Et si on faisait appel à l'imagination de chacun, pas pour faire des start-up revendues dès qu'on a trouvé un gogo banquier qui pense que l'aventure est « bankable » ?

Il va falloir changer de registre : au lieu de faire trembler la nation au nom des procédures et règlements à respecter sous peine d'amende, rendons-la à ses citoyens responsables et inventifs. Tel est l'effet de la confiance.

Une question pour finir : est-ce que Macron qui sait tout et a réponse à tout sera le mieux à même de promouvoir cette nouvelle culture ? Tout ce qu'il a présenté comme programme et tout ce qu'il a essayé de réaliser jusqu'ici en étaient la négation même. Nous avons déjà entendu plusieurs fois l'air du « j'ai changé ». Ne serait-ce pas mieux de changer ceux qui de toute manière ne savent pas changer ?

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