Podemos ou les édifiantes leçons d'un naufrage politique auto-infligé <!-- --> | Atlantico.fr
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La secrétaire générale du parti de Podemos, Ione Belarra, lors d'une assemblée du parti à Alcorcon, près de Madrid, le 13 juin 2021.
La secrétaire générale du parti de Podemos, Ione Belarra, lors d'une assemblée du parti à Alcorcon, près de Madrid, le 13 juin 2021.
©OSCAR DEL POZO / AFP

Abus de radicalité

Après avoir réussi à capter les préoccupations du cœur de l'électorat, le parti de l'extrême-gauche espagnole s'est abîmé dans ses excès de radicalité.

Christophe Barret

Christophe Barret

Christophe Barret est attaché d’administration aux Archives nationales. Historien de formation, il est en charge de projets éducatifs interculturels, notamment entre la France et l'Espagne, et est l'auteur de Podemos. Pour une autre Europe ? aux éditions du Cerf (2015).

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Atlantico : Pendant longtemps, Podemos a semblé en mesure de s'imposer en Espagne, avant de finalement chuter progressivement jusqu'à sembler, vu de France à tout le moins, pratiquement invisible ou insignifiant aujourd'hui (les élections municipales et régionales en Espagne, ce dimanche 28 mai, ont été douloureuses pour le PSOE, le parti socialiste Espagnol, mais aussi pour les centristes de Ciudadanos et la gauche radicale Podemos). Comment expliquer une telle situation et quelles leçons pourrait-on tirer de cet état de fait, selon vous ? 

Christophe Barret :On peut, en effet, vraiment parler d'une chute de Podemos : aux dernières élections municipales, le parti n’a réuni qu’un peu plus de 3% des voix. Cette situation résulte de plusieurs facteurs.

Au cours des derniers mois, Podemos a profondément déçu une partie de ses électeurs. Le mouvement s'est essentiellement concentré sur les thématiques sociétales et assez peu sur les sujets sociaux, même si certains textes qu'ils ont soutenu au Parlement ont représentés d’importantes avancées : l’augmentation du salaire minimum, une nouvelle la loi sur les retraites, par exemple. N’oublions pas non plus la loi amnistiant de fait le délit de malversation, s’appliquant à la Catalogne et pensée essentiellement pour séduire les indépendantistes régionaux poursuivis en justice, cet important segment de la “majorité Frankenstein” que dénonçait alors la droite. Majorité “Frankenstein” que Pedro Sanchez veut, du reste, mobiliser : en annonçant la dissolution, il appelle à un plébiscite, supposé rassembler toutes celles et tous ceux ne voulant pas voir la droite ou l’extrême droite au pouvoir.

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Une partie de l’électorat, du centre modéré jusqu’aux socialistes, a pu voter Podemos par le passé parce que ces derniers incarnaient la régénération politique du pays, avec une nouvelle génération au pouvoir, la lutte contre la corruption et les politiques d’austérité imposées après la crise de 2008. Aujourd’hui, cela ne suffit plus à la mobiliser : nombre d’entre eux sont refroidis par ces concessions accordées aux indépendantistes. Ce n’est pas seulement vrai pour la Catalogne : cela concerne aussi le Pays-Basque et la Navarre. Les socialistes ont été amenés à conclure plusieurs accords avec des figures indépendantistes parfois très contestées (comme avec EH Bildu, qui a inscrit sur ses listes de candidats d'anciens terroristes de l’ETA). Cela a permis à la droite de brandir la menace de la dislocation du pays, ce qui a aussi davantage mobilisé son électorat que celui de la gauche de la gauche. 

D’une façon générale, Podemos ne s'est pas avéré être un très bon parti de gouvernement. Certaines des lois que la formation a proposé et fait adopter ont été très mal ficelées. L'une d'entre-elles, qui visait à garantir le consentement à l'acte sexuel a abouti, dans les faits, à la remise en liberté de délinquants condamnés pour délit sexuel. Le PSOE a été contraint de s'allier au PP pour rectifier le tir... Dans le domaine sociétal, le féminisme traditionnel a été négligé par rapport aux exigences d'un néo-féminisme qui, comme chez nous, a le vent en poupe et se montre en fait peu enclin à l'autocritique. 

Par ailleurs, Podemos (qui n’est pas un mouvement unitaire mais n’est qu’une seule des composantes du mouvement Unidas-Podemos) a dû faire face à la tentative de Yolanda Díaz, qui vient du parti communiste et est devenue ministre du Travail, de créer un nouveau rassemblement à la gauche de PSOE. Cela n’a pas réussi, mais cela illustre la grande désunion dont souffrent les formations de gauche espagnoles, empêtrées dans des querelles de personnes et leur pendant : des purges régulières de cadres compétents.

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L’effondrement de Podemos était-il prévisible ?

Oui, il me semble. Plusieurs signes laissaient en effet à penser que Podemos allait s’effondrer et certains remontent aux premiers discours tenus par Pablo Iglesias à l’occasion de son entrée au gouvernement en février 2020. 

Pablo Iglesias n'a jamais poursuivi qu'un seul objectif : porter une certaine gauche au pouvoir. Et pas n’importe quelle gauche : il s’agissait de donner une revanche à la gauche de la gauche, je parle de la gauche du parti communiste espagnol. Celle-ci avait été exclue ou s'est exclue de la transition à la démocratie parce qu’elle n’avait pas reconnu le drapeau espagnol ou la monarchie, qui faisaient partie des bases du nouveau régime. Pablo Iglesias a réussi à porter cette famille politique au gouvernement, alors même qu’elle n’avait pas été au pouvoir depuis l’avant-guerre.

En cela, on peut dire qu'il manquait de maturité. Après l'accession de Podemos au gouvernement, il aurait dû davantage se démarquer de la social-démocratie. Bien sûr, ils ont été force de propositions sur le plan sociétal mais, en matière économique, ils sont restés dans les limites dressées par Bruxelles. De manière significative, le programme économique de Podemos a été recentré plusieurs fois et Pablo Iglesias s'est retrouvé pris de court. Il est vrai que Pedro Sanchez avait flanqué la vice-présidence de Pablo Iglesias d'une autre, celle de Nadia Calviño, ministre socialiste de l'économie très en vue dans les arcanes bruxelloise. Très critique de "l'Europe allemande", Pablo Iglesias devenu vice-président du gouvernement espagnol s'est tu.

D’autres indicateurs auraient pu laisser penser que Podemos allait perdurer : le gouvernement sortant a, un temps au moins, bénéficié de sondages prometteurs. Certaines de leurs mesures, comme la limitation des prix de première nécessité, étaient appréciées par une grande partie de la population. Mais les ministres de Podemos, s’écoutant trop il me semble, n’ont pas vu la contestation monter.

Il ne faut pas oublier que, comme la France Insoumise, Podemos reste un parti très centralisé. Derrière ce qu'on pourrait appeler la mystique des "assemblées citoyennes", de la démocratie interne et du dialogue, reste le vieux "centralisme démocrtique", dont le vrai patron reste Pablo Iglesias. N'oublions pas qu'il est, lui aussi, un ancien du parti communiste espagnol. Bien sûr, il est officiellement en marge du parti… Mais il continue à en tirer les ficelles.

Quelles leçons retenir du naufrage de Podemos ?

Première leçon à garder en tête : avant de se lancer en politique, il faut savoir où l’on veut aller. Ne pas avoir de programme économique clair ou une ligne idéologique précise ne permet pas de durer dans le temps. Cela s’est confirmé avec les questions de l’unité nationale espagnole et de l’indépendantisme catalan, au sujet desquelles  Podemos a avancé un concept, la "plurinationalité", qui manque probablement de clarté (peut-il y avoir des nations dans la nation ?).

En matière économique, les dirigeants de Podemos ont fini par rester sur une ligne austéritaire, telle que souhaitée par Bruxelles, ce qui ne pouvait que tôt au tard à décevoir leur base électorale. 

Enfin, à force de purges, ils n’ont pas recruté les meilleurs talents pour porter leur formation.

En somme, Podemos a souffert d’incohérences idéologiques. Le bricolage initial autour du populisme de gauche, importé d'Amérique latine, n'est visiblement pas viable sur le Vieux continent.

En France aussi, certaines figures et certains mouvements à gauche peuvent faire penser à la trajectoire (initiale, au moins) empruntée par Podemos. Faut-il croire qu'ils seront promis au même destin ? Peut-on penser, par exemple, que la NUPES ou la FI ont vocation à disparaître dans un futur relativement proche ?

L’Espagne va être un bon terrain d’observation. Si Sanchez réussit, avec le PS et ses alliés, cela pourrait être de bon augure pour la NUPES. On a beaucoup comparé Mélenchon et Iglesias, LFI et Podemos, mais on peut émettre des bémols sur cette comparaison. Podemos a réussi dans un premier temps, en gagnant la centralité, c'est-à-dire en étant au cœur des préoccupations des gens. Les cadres de Podemos restent d'excellents analystes politiques. Le "combat culturel" reste leur terrain de jeu préféré. Mais c’est la droite qui occupe aujourd'hui la "centralité" cette position. Podemos est devenu ce que LFI est, un mouvement très à gauche, ce qu’il ne faut probablement pas être pour mobiliser une majorité d'électeurs.

Podemos a souffert de nombreuses fractures en interne, dont certaines ont pu résulter d'une incompatibilité entre la ligne affichée et la réalité des actes (notamment en matière de lutte contre les agressions et les violences sexuelles). L'affaire Quatennens, à la FI, n'est pas sans faire penser à ce genre de situation. Y a-t-il d'autres parallèles que l'on pourrait observer ?

A la LFI, on observe des mouvements très centralisés, très caporalisés, avec une direction qui, de fait, peut exclure certains de ses membres. Il s’est passé exactement la même chose avec Podemos qui garde, par certains aspects, la structure d'un petit mouvement : si vous ne faites pas partie du cercle des fondateurs, on ne vous fera jamais complètement confiance. C'est la tare d 'un mouvement qui a grandi très vite. Podemos est passé en quelques mois de 0 à 15% des voix. Il a fallu créer et pourvoir des postes clés rapidement. Cela, on le fait avec des proches, des gens en qui on peut avoir confiance absolue. La direction a ensuite peiné à se renouveler. Le fait que Podemos n'ait aujourd'hui plus d'élus au parlement de la région de Madrid est un vrai coup dur, car on parle de son berceau. Les dirigeants de Podemos ont échoué dans leur propre fief. Il y a un vrai manque de démocratie interne et, comme à la LFI, il faut distinguer l’organigramme officiel de ceux qui dirigent vraiment. Je pense que Pablo Iglesias a su offrir une revanche historique à sa tradition politique, mais qu'il n'a pas su créer un parti de gouvernement. Par manque de maturité politique, et peut-être de maturité personnelle.

Vous disiez de Podemos qu’il a perdu sa connexion à son électorat. Est-ce que la droite, peut-être parce qu’elle davantage capable d’accepter des compromis susceptibles de parler à sa propre base, a su s’imposer ? Comment expliquer aujourd’hui la capacité de celle-ci à reprendre la main ?

La droite espagnole et son chef Alberto Núñez Feijóo utilisent aujourd’hui les mots d'ordres qui étaient ceux de Podemos il y a quelques années : « centralité contre extrémisme », « l'intérêt général face aux particuliers », « faire autrement de la politique », « modestie ». Le Parti populaire n’est pas forcément plus ouvert aux compromis que la gauche, mais il a fini de siphonner l'électorat de Ciudadanos, qui n’a pas, lui non plus su saisir une opportunité historique. Donc il n’y a plus de centre en Espagne. Ou plutôt, il a réintégré un PP qui redevient hégémonique à droite. L’Espagne semble donc renouer avec le bipartisme. Même si, désormais, Vox – scission néo-franquiste du PP - a réussi à s'implanter solidement.

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