Plus de souveraineté européenne, moins d’alliance transatlantique : Emmanuel Macron se donne-t-il vraiment les moyens de ses ambitions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président français Emmanuel Macron à la fin de la conférence sur l'avenir de l'Europe au Parlement européen à Strasbourg, le 9 mai 2021.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président français Emmanuel Macron à la fin de la conférence sur l'avenir de l'Europe au Parlement européen à Strasbourg, le 9 mai 2021.
©FRÉDÉRIC FLORIN / AFP

Stratégie du chef de l'Etat

Ce qui est certain, c’est que les positions françaises exprimées ces derniers jours sur des sujets militaires comme commerciaux irritent aussi bien Washington que nombre de capitales européennes.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : A la suite des différents revers liés à la crise des sous-marins australien, Emmanuel Macron semble vouloir pousser un agenda « Europe First » et veut miser sur plus de souveraineté européenne et moins d’alliance transatlantique. Alors que la première réunion du US-EU trade and technology Council se tenait ce mercredi à Pittsburg, la France sous-estime elle trop sa dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis ?

Florent Parmentier : La crise des sous-marins australiens se joue sur différents théâtres, ce qui doit amener à l’analyser de manière précise. Une première dimension de cette crise et sa dimension politique, puisque la question de la confiance des alliés envers les États-Unis est désormais posée. Le fait de négocier entre un petit nombre de personnes à l'insu d'un partenaire méritait le renvoi d'ambassadeurs qui a été orchestré. En diplomatie, il faut répondre à une gifle par une gifle. Sur cette affaire, il faut bien comprendre que la qualité de l’armement français ne peut nullement être remise en question. Dans ce type de contrat, avec les transferts de technologie que supposait la construction de sous-marins en Australie, les retards qui était parfois mentionnés dans la presse australienne ne sont que des épiphénomènes pour un contrat dont les sous-marins devait fonctionner jusque dans les années 2080. Quelques mois ou semaine de retard sur un contrat qui engage pour plus de 60 ans une coopération entre deux pays n'est pas une raison pour rompre un contrat de cette nature !

Il y a donc à la fois une forte pression américaine, qui a probablement commencé sous Donald Trump et que Joe Biden a poursuivi, et une versatilité australienne dont les préférences sont passées d'une approche fondée sur la souveraineté à une approche centrée sur une relation avec un garant de sécurité, les Etats-Unis.

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Très peu d'États européens ont ouvertement affirmé leur solidarité avec la France sur ce dossier, même si beaucoup peuvent désapprouver la méthode utilisée par les Américains. En revanche, les institutions bruxelloises ont très clairement affirmé leur soutien à la France, à la Commission comme au Conseil.

Dans ce cadre, le dilemme français est le suivant : faut-il trouver un cadre multilatéral engageant les États-Unis pour éviter ce genre d'agissement grossier, où doit-on au contraire commencer à envoyer des signaux indiquant la volonté de la France de changer de paradigme, de mettre plus de financement sur le renseignement, y compris économique ? Paradoxalement, la fin du contrat australien agit comme un électrochoc pour ceux qui ont poussé en sa faveur, souvent partisans d’une alliance plus étroite avec les Etats-Unis. Les deux approches ne sont pas si opposées qu’il n’y paraît, puisqu’il faut généralement créer un rapport de force avant de négocier, surtout quand la confiance est rompue. Ce qui est valable avec les Etats-Unis doit également l’être avec l’Allemagne, qui délocalise la production des moteurs Arianespace en Allemagne et tente de créer sa propre base de lancement de fusée en mer du Nord.

Si le gouvernement choisit l’option exigeante de la souveraineté stratégique, il faut savoir qu’elle prendra du temps avant de porter ses fruits, nécessité une cohérence dans le temps et une véritable stratégie industrielle ; à elle d’impulser un mouvement dans lequel chaque Etat européen pourra faire reconnaître ses intérêts. Alors que les Européens voulaient croire que Trump n’était qu’un déraillement populiste et agressif dans l’histoire américaine, il ne faut pas sous-estimer l'impact politique et psychologique lié au retrait américain de l’Afghanistan. L’Europe n’a clairement plus la même valeur stratégique qu’auparavant pour les élites stratégiques américaines qui se concentrent aujourd’hui sur le rival chinois, sans égard particulier pour ses alliés européens.

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Les médias se font l’écho d’une certaine irritation des autres pays européens face aux initiatives françaises. La France néglige-t-elle l’avis de ses partenaires, notamment en Europe de l’Est, et leur méfiance à l’égard de la France, pour avoir réellement la capacité de mener à bien ses projets ?

Il faut regarder de plus près quels sont les médias qui relaient quelles informations : que des médias américains voient un intérêt à mentionner des critiques vis-à-vis d’une position française semble évident. L’affaire Snowden a pourtant montré aux Européens, en plus d’autres affaires espionnage (on pense au téléphone d’Angela Merkel avec la complicité du Danemark), que l’agacement peut se diriger vers la France mais que l’espionnage vient d’ailleurs.

Toutefois, les partenaires de la France peuvent-être agacés à juste titre de Paris, et ce à différents niveaux : un positionnement français parfois cassant et mal assuré, des élites politiques qui ne s’intéressent pas suffisamment au jeu bruxellois et aux perceptions des partenaires.

La France dispose-t-elle de suffisamment d’influence à Bruxelles pour pouvoir espérer mener son agenda à bien ?

Il est notable que la France pense en termes de puissance mais très peu en termes d'influence. Autrement dit, elle met en avant son statut de membres fondateurs de l'Union européenne en se disant qu'il faut rechercher un compromis avec l'Allemagne dans le cadre d'une négociation intergouvernementale. Elle néglige les autres dimensions de la prise de décision européenne, à tort.

En effet, on peut avancer sans crainte que la France néglige d'autres acteurs du processus de décision européen dont elle a pourtant besoin pour faire valoir ses vues ; ainsi, il suffit de voir la position aujourd'hui dominante qu'occupent les Allemands dans tous les cabinets des commissaires européens. A cela, il faudrait ajouter une complète incompréhension des politiques français pour le rôle du Parlement européen, dont le poids dans la prise de décision et dans la capacité d'influence du processus politique est aujourd'hui plus important que jamais en Europe. Cette incompréhension se manifeste par le fait que la France dispose de députés moins expérimenté que dans beaucoup d’autres pays, où le fait d'être député européen est plus une promotion qu'un lot de consolation. Au Parlement européen, les dirigeants ont pour première ambition de renforcer leur poids dans la prise de décision européenne ; cela contraste avec le rôle de l’Assemblée nationale et du Sénat en France, dont le poids dans le processus de prise de décision apparaît comme relativement limité au vu de la pratique des institutions de la Ve République. 

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Il faudrait aussi mentionner l’influence insuffisante à la fois des partis politiques français, des fondations qui leur sont liées ainsi que des grands médias. Si Jean Quatremer est un journaliste largement reconnu à Bruxelles, et souvent considéré comme l’un des meilleurs, il n’y a pas de rédaction française qui ressemble de près ou de loin à Politico ou aux journaux anglo-saxons. Nous manquons ici de nombreux relais d’influence, et ce de manière structurelle.

En outre, la France devrait constituer son propre groupe de coopération renforcée au sein de l'Union européenne. Le partenariat franco-allemand doit se comprendre et s'articuler, comme le font les Allemands, avec des réunions plus régulières avec d'autres partenaires. En réalité, ce groupe existe déjà : c'est le Med 7, ce groupe d'États regroupant la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce, Chypre et Malte. Mais contrairement au groupe de Visegrad, au Benelux ou à d'autres groupes de coopération intra-européenne, il n'y a pas de réelle investissement des Etats concernés dans ce groupe d’influence potentiel. Toutes ces pistes mériteraient d’être approfondies.

Dans ce cadre, on peut se réjouir de l’accord avec la Grèce, qui va dans le sens d’un approfondissement des relations bilatérales, et qui doit être mis de côté avec un rapprochement avec l’Italie dans le cadre du Traité du Quirinal.  

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