Planification écologique : le grand jeu de dupes <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'un déplacement sur le thème de l'environnement.
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'un déplacement sur le thème de l'environnement.
©STEPHANE MAHE / POOL / AFP

Promesses du chef de l'Etat

Emmanuel Macron présentait ce lundi les grandes lignes de la planification écologique dont il entend faire un marqueur de son second quinquennat. Tout en redoutant de provoquer l’étincelle de nouveaux incendies sociaux.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Le président a dévoilé sa feuille de route et ses mesures de planification écologique. Sa feuille de route a été maintes fois reportée et l’objectif affiché est désormais de parvenir à une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre. Il veut bâtir une écologie “à la français”, “ni du déni ni de la cure”. Parmi les mesures évoquées (sortir du charbon d’ici 2027, reprendre le contrôle des prix de l’électricité, le développement de la filière des pompes à chaleur, le nucléaire comme seule stratégie possible, etc), lesquelles vous paraissent les plus possibles à mettre en oeuvre ? La volonté du chef de l’Etat semble-t-elle réellement atteignable, quand on connaît les difficultés que comporte aujourd’hui ce sujet ?

Jean-Pierre Favennec : Parmi les mesures évoquées par Emmanuel Macron, la sortie du charbon est quasiment chose faite. Il reste en France deux centrales au charbon. Sur le site de Saint Avold il reste une centrale au charbon de 600 MW qui avait été fermée mais qui a été remise en service a cause de l’invasion de l’Ukraine et en raison de l’arrêt pour raisons techniques de la moitié des centrales nucléaires en 2022. Elle pourrait fonctionner encore quelques mois. La centrale de Cordemais en Loire Atlantique qui fonctionne au charbon devait être transformée en utilisant de la biomasse. Pour les mêmes raisons qu’à Saint Avold, l’arrêt de la production d’électricité à partir de charbon est retardé mais devrait intervenir prochainement.

Reprendre le contrôle du prix de l’électricité est plus complexe car la déréglementation du secteur électrique – comme du secteur gazier – en Europe résulte d’une politique ultra libérale de la Commission Européenne mise en place dans les années 1990 sous l’influence des politiques initiées en Angleterre et aux Etats Unis par Margareth Thatcher et Ronald Reagan.

Les industries du gaz et de l’électricité sont appelées « monopoles naturels » car pour alimenter un consommateur il est inutile et non économique de construire deux tuyaux ou deux lignes électriques. Cependant pour développer la concurrence et en principe favoriser une baisse des prix dans l’intérêt des consommateurs la Commission Européenne a mis en place un système complexe qui s’est en fait traduit par une augmentation des prix. En 2022 du fait de la guerre en Ukraine et dev l’arrêt pour raisons techniques de la moitié des centrales nucléaires en France le prix de l’électricité a atteint en Europe et donc en France des niveaux stratosphériques (600 voire 700 Euros par MWh) alors que le coût de production dans une centrale nucléaire est de l’ordre de 60 Euros. Le prix européen en 2022 était en fait égal au coût de production dans une centrale à gaz avec un prix du gaz très élevé car les approvisionnements en gaz étaient très limités.

La réforme du marché européen de l’électricité est indispensable. Il faut sortir de l’indexation du prix sur l’électricité la plus chère à produire – en général l’électricité à partir de gaz – alors que d’autres sources sont beaucoup moins chères. La négociation est difficile mais le gouvernement a la possibilité grâce au bouclier tarifaire de limiter les augmentations. Mais cela coute très cher aux finances publiques aussi longtemps que les prix sur les marchés européens restent très anormalement élevés.

Le gouvernement a lancé un programme de constructions de pompes à chaleur en France. Un million de pompes par an devraient être construites à horizon de deux ou trois ans. Mais les besoins sont très importants si l’on veut remplacer les chaudières au fuel ou au gaz.

Les besoins en électricité vont augmenter de manière considérable avec le développement du parc de voitures électriques et le remplacement des chaudières au fuel ou au gaz par des pompes à chaleur qui consomment de l’électricité. Panneaux solaires et éoliennes ne suffiront pas à faire face aux besoins en électricité. En outre nos centrales nucléaires actuelles sont vieillissantes et devront être remplacées. La construction de nouvelles centrales (EPR2) est sans doute nécessaire.

Le Président a dévoilé sa feuille de route et ses mesures de planification écologique. C’est ce qu’attendent les Français ? 

Eddy Fougier : C’est difficile à dire, les prochains sondages le diront 

Jusque là, les sondages indiquent qu’il y a une préoccupation de la part des français. L’étude éco-anxiété Obseca indique qu’il y aurait 2,5 millions de personnes éco-anxieuses en France. Cette étude montre qu’il y a une préoccupation par rapport au climat et une autre en terme d’anxiété. Elle montre que l’anxiété est un phénomène à prendre très au sérieux et qui concerne une grande partie de la population

En revanche, lorsqu’il s’agit de passer aux mesures concrètes, les enquêtes montrent que si ça n’a pas d’impact sur la vie quotidienne des français, alors c’est acceptable. A condition qu’il n’y ait pas d’incidences sur leurs emplois ou sur les impôts. Dès que ça touche la vie quotidienne et que ça remet en cause leur mode de vie, c’est un peu plus compliqué

C’est pour ça qu’Emmanuel Macron a fait marche arrière sur les chaudières à gaz individuelles ?

Eddy Fougier : Sans doute. Le Président a été un petit peu échaudé par un certain nombre d’expériences passées, notamment autour des gilets jaunes. C’est pour ça qu’il se montre extrêmement prudent. Sur la question de l’acceptation par la société, notamment par les catégories qui souffrent en ce moment en terme de pouvoir d’achat. Sans doute pour ces raisons de prudence à la fois sociétale et politique, il a renoncé à cette mesure.  

Quelles sont, parmi ces mesures, celles qu’il apparaît le plus souhaitable à mettre en œuvre ? Comment procéder pour y parvenir avec le plus d’efficacité possible, au juste ?

Jean-Pierre Favennec :Les économies d’énergie sont une priorité. La rénovation thermique des bâtiments est sans doute la principale source d’économie. Elle doit être favorisée. On peut aussi s’interroger sur la taille croissante des véhicules individuels dont le poids entraîne de fortes consommations. Des normes pourraient être fixées.  Le transport de marchandises doit également être interrogé et le transport ferroviaire favorisé.

Est-ce que ça paye politiquement l’écologie ? On voit que le Président marche sur des œufs, obligé de rappeler qu’il aime « la bagnole ».

Eddy Fougier : Ça paye sans aucun doute ! pas de parler écologie, mais parler en la matière.

La multiplication des phénomènes climatiques violents, comme ce nouvel épisode de sécheresse cet été, a crée une inquiétude développée chez les français. Pas uniquement chez les jeunes. Cette inquiétude est présente y compris chez les catholiques et les sympathisants de droite. Il y a une attente des français. Que le gouvernement s’en saisisse, c’est normal. Jusqu’où ? parce que cette politique a un impact sur la vie quotidienne des français et un coût financier.

Ce n’est pas la première fois que le président s’engage sur le plan écologique. Certains reprochent au chef de l’Etat d’opter pour une posture, creuse de réelles intentions (ou en tout cas de ne pas être en mesure d’intervenir réellement). Faut-il penser, une fois encore, que les promesses n’engagent que ceux qui les croient ?

Jean-Pierre Favennec :La volonté de réduire les émissions de CO2, de diminuer les consommations d’énergie, de réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles importées est sans doute réelle.  C’est la vitesse à laquelle cette volonté est mise en œuvre qui est en question. Accélérer la transition énergétique nécessite des moyens considérables, supérieurs à ceux qui sont mis en œuvre actuellement. Mais il faut « en même temps » soutenir les services publics (santé, éducation, sécurité …) …

Parlons des mouvement écologistes dont certains rassemblements se transforment parfois en manifestations ultra violentes. L’exemple avec les bassines de sainte-soline en 2022. Est-ce que ces changements impliquent des mouvements qui peuvent remettre en cause la démocratie ? 

Eddy Fougier : Quelque chose est en train de se jouer. Il y a cette idée qu’on n’a pas le temps, qu’on est dans l’urgence. Certains pensent qu’il faut peut-être passer outre l’idée de mobiliser la majorité de la population et que les procédures démocratiques sont vieilles et dépassées.

Chez d’autres comme Andreas Malm, c’est plus violent. On parle de léninisme vert, c’est-à-dire mettre en œuvre des actions violentes pour faire bouger les lignes. C’est une question qui travaille dans certains milieux de l’écologie radicale et l’ultra gauche. L’écologiste moyen ne va pas jusque-là. 

La démocratie et l’écologie sont compatibles ? 

Eddy Fougier : Sur le fond, oui, largement. 

Les écologistes sont d’ailleurs favorables à l’approfondissement de la démocratie. En revanche, le sentiment d’urgence et l’idée qu’on n’a pas le temps de chercher à avoir une majorité vient des radicaux. Les verts rejettent tous régimes autoritaires qui sont souvent des régimes dépendants aux énergies fossiles et à l’extraction de matière première. 

La meilleure façon de favoriser la lutte contre le dérèglement du climat, c’est de favoriser la démocratie. Les deux sont entièrement compatibles. 

Le chef de l'Etat a annoncé la pose d'un million de bornes de recharges pour voiture électrique. Cette proposition n'est pas sans rappeler celle de Ségolène Royal. Cela vous paraît-il crédible ?

Jean-Pierre Favennec :Il semble que cette annonce est crédible. On peut par exemple voire dans les stations d’autoroute qu’elles sont quasiment toutes équipées de bornes. D’importants progrès ont été réalisés récemment

Emmanuel Macron entend accélérer la cadence. Selon vous, les Français peuvent-ils suivre financièrement ?

Jean-Pierre Favennec :Il est complexe d’investir massivement dans la transition énergétique tout en évitant d’augmenter les impôts. L’Etat ne peut sans doute pas tout faire et des efforts individuels sont nécessaires. Ils sont certainement difficiles quand l’inflation est là et quand beaucoup de ménages ont des difficultés à boucler leurs fins de mois

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