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Plan de relance européen : Macron et Merkel face au défi de l’approbation des autres Européens
©Francois Mori / POOL / AFP

Miracle en vue

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont dévoilé un plan de relance à 500 milliards d’euros à l’échelle européenne. Cette décision pourrait être un tournant dans l’histoire de cette crise. Si ce plan aboutit, la dette levée sur les marchés financiers sera répartie au sein de l'Union européenne, comme le voulait la France.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Hier, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ont présenté une "initiative franco-allemande" pour relancer l'activité de l'Union européenne après la crise sanitaire du coronavirus : un plan de relance de 500 milliards d'euros financé par des emprunts sur les marchés "au nom de l'UE".

Cette initiative commune peut-elle permettre à l'Union européenne de se reconstruire politiquement? Peut-elle concrètement se réaliser ?

Edouard Husson : Tout d’abord, il faut rester prudent. Il ne s’agit que d’une initiative franco-allemande. La dernière fois que les deux pays s’étaient mis d’accord sur un bout de budget européen, à Meseberg, en juin 2018, les autres Etats de l’UE n’avaient pas donné suite. Il faut dire qu’à l’époque le gouvernement allemand trainait les pieds. Il semble que la Chancelière, cette fois, soit plus allante. Cependant le débat est loin d’être fini dans son propre pays sur le transfert de moyens vers d’autres pays de l’Union Européenne. D’autre part, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont d’ores et déjà fait part de leurs réserves. Le chancelier Kurz a fait part de ces échanges sur son compte twitter et des réserves vis-à-vis d’un système qui ne soit pas à 100% constitué de prêts. Enfin, on peut d’ores et déjà anticiper qu’il y aura des résistances devant l’accroissement des pouvoirs de la Commission européenne. Et à juste titre. Va-t-on rajouter une couche bureaucratique? Pourquoi confier à la Commission Européenne une mission d’emprunt? Certains en Allemagne vont demander pourquoi à peine le Tribunal Constitutionnel a-t-il exprimé un souhait de limitation de la création monétaire par la BCE, le gouvernement cherche un autre moyen d’augmenter les dépenses européennes.

Que symbolise cette initiative sur le plan de l'économie européen ? 

Jean-Paul Betbeze : Elle symbolise, ou plutôt elle démontre, que nous n’avons pas le choix des moyens face à la pandémie, si nous voulons éviter notre effondrement. Il nous faut agir plus, agir ensemble et partager les risques. L’histoire politique s’accélère en effet, en même temps que la crise économique, financière et sociale s’approfondit partout, en zone euro et ailleurs. Il faut donc réagir, ici, au moins autant qu’ « ailleurs ». Les chiffres publiés « ailleurs » aident ainsi, paradoxalement, en montrant la profondeur de ce qui s’y passe et des moyens avancés pour aider, « ailleurs », à en sortir. 

C’est ainsi que Jay Powell (le Président de la Banque centrale américaine) parle d’une baisse de 10% du PIB américain au deuxième trimestre, après 1,5% au premier (les prémisses de l’effet COVID-19), tandis que 3 000 milliards de dollars de déficit budgétaire supplémentaires sont prévus (en attendant plus). La comparaison des crises et des moyens force, ici, à agir et plus encore à franchir les « anciennes » limites. Sinon, la zone euro souffrira d’un double effet virus : celui de le subir d’autant plus qu’elle aura réagi moins que d’autres. La croissance et l’emploi en souffriront d’autant plus, les marchés financiers et les agences de rating le diront assez tôt.

Cette « initiative » commune était indispensable, et ce n’est évidemment pas fini. Surtout, l’architecture de ces 500 milliards est une nouveauté. C’est l’Union européenne qui s’endette et devra rembourser, en fonction du « poids » de ses membres, sachant qu’elle décidera ensuite de distribuer ces milliards en dotations budgétaires aux différents états membres selon qu’ils auront été touchés, par régions ou secteurs, par la crise sanitaire. C’est donc un système à deux niveaux, où l’on voit tout de suite que l’Italie (prise bien sûr au hasard) percevra plus de ces 500 milliards que son poids dans l’Union. Donc ce seront les autres pays, moins affectés, qui devront cotiser plus pour rembourser le tout. C’est ce que l’on appelle « transfert », mot autrefois tabou. Cette « initiative » devra donc ensuite passer à la Commission, où elle sera retravaillée, puis devant les chefs d’état et de gouvernement, puis les Parlements. Un processus qu’on pourra juger lent, mais qui est démocratique, autrement dit : solide. On aura compris qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron, l’Allemagne et la France, jouent ici leur crédibilité.

Ces 500 milliards sont-ils le fruit d'un nouveau tour de passe-passe budgétaire européen ? Comment doivent-ils être répartis pour être réellement efficace ?

Jean-Paul Betbeze : Evidemment, il ne peut s’agir d’un tour de passe-passe, où l’on demanderait à l’Europe d’aider à financer des programmes nationaux, un peu comme ce qui s’était passé avec le Plan Juncker qui avait (bien) aidé à mener à bien des programmes nationaux (notamment français). Deux raisons peuvent être avancées ici : 

• d’abord, le COVID-19 crée des chocs spécifiques, régionaux et/ou sectoriels qui devront être documentés. Rien à voir avec des rattrapages antérieurs,
• ensuite et surtout, comme il s’agit d’un système de transfert, on peut penser que les pays qui savent qu’ils auront à cotiser plus, regarderont davantage que lors du Plan Juncker, où les risques étaient plus répartis.
Ce système à deux niveaux avec transferts implique donc des sûretés par rapport à des projets trop mal calibrés ou fondés. En revanche, il ne faut pas qu’il induise des lenteurs et des surcoûts de gestion et de vérification. Décider donc, au lancement même du projet, de ses modalités de gestion est le garant de son succès, puisqu’il y a urgence. Mais on peut penser au-delà : si l’Union ne peut se développer qu’en réduisant ses écarts de situation entre membres, elle ne peut que voir se développer sa dimension d’union de transfert, mais de transfert sérieux. Réussir ici est donc la condition du succès pour la suite. 

Plus encore, ces 500 milliards s’ajoutent aux autres programmes de soutien, pour lutter contre les effets du virus (aides aux régions, aux PME et au chômage à temps partiel – programmes sans transferts pour 750 milliards) et vont « fonctionner » avec le budget de 1 000 milliards de l’Union : le Green Deal. Le Recovery Plan de cette « initiative » s’articule en effet avec lui, et la Chancelière et le Président ont parlé de secteurs stratégiques et de champions mondiaux en Europe.

Ces 500 milliards entrent ainsi dans un programme de 2 250 milliards au moins (500 + 750 + 1000), et on voit bien que nous sommes dans un nouveau monde : celui de la mésentente durable entre Chine et États-Unis et des faiblesses européennes, dont les deux ont profité. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a noté que les contraintes imposées à tel ou tel pays membre pour l’aider, ont forcé l’une à vendre son port (on aura reconnu le quai du Pirée vendu à la Chine où elle débarque ses produits) et l’autre son réseau électrique (on aura reconnu le Portugal et la Chine). Etre efficace, au-delà de cette « initiative franco-allemande », c’est se rendre compte que l’on n’existe plus dans ce monde sans systèmes de protections, de soin, d’innovation pour l’industrie et les services… donc sans stratégie, avec ses moyens et ses risques. A partager.

Quel avenir peut-on imaginer pour l'Union Européene après cette initiative franço-allemande ?

Edouard Husson : Encore une fois, le temps où la France et l’Allemagne pouvaient, à elles deux, donner le la d’un débat européen, est révolu. Une fois l’effet de surprise d’une annonce franco-allemande passé, il va y avoir un débat à 27. Il faut l’unanimité pour décider vu que les fonds concerner vont alimenter le budget européens de 2021-2027. On peut donc penser qu’il y aura des coups de canif dans le schéma proposé hier. Ensuite, il s’agit bien entendu d’un test pour l’autorité de Madame Merkel. A-t-elle retrouvé de l’influence? Sera-t-elle suivie dans son propre pays? Et puis, paradoxalement, il peut y avoir des objections de la part de l’Italie: elle est contributrice nette; elle a le troisième PIB de l’UE depuis le départ de la Grande-Bretagne. Elle bénéficiera certes des nouveaux fonds européens mais elle devra aussi porter une part non négligeable du remboursement. J’ajouterai, pour finir, que la conférence de presse du 18 mai n’a pas donné l’impression, au moins dans la bouche du président français, que les leçons de la crise ont été tirées. Pourquoi charger d’idéologie la question de la fermeture des frontières pendant la crise? Quand il y a un incendie, la question des portes pare-feu au sein d’un même immeuble ne sont pas une question idéologique mais une question de sécurité-incendie. Il était normal, pour freiner l’épidémie, de fermer provisoirement les frontières. De même, pourquoi ramener la perspective d’une « politique européenne de santé » quand on voit clairement que certains systèmes de santé nationaux sont bien gérés et d’autres, comme le nôtre, le sont très mal? La leçon de la crise du COVID 19 est qu’il faut beaucoup plus de subsidiarité dans l’UE, qu’il y a beaucoup trop de questions qui sont mal traitées au niveau de l’Union et qui le seraient mieux au niveau national ou infranational. Ce 18 mai, nous avions en face de nous deux dirigeants qui n’ont pas brillé, ces dernières années, par leur capacité à comprendre le nouveau monde (conservateur) vers lequel nous allons. Au-delà de la satisfaction de voir que plus va être fait pour des régions touchées durement par la pandémie, il reste encore plus de problèmes non résolus. Par exemple, va-t-on assister à un changement d’attitude de l’UE vis-à-vis de la Chine? 

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