Plafonnement des bonus, même la Suisse s’y met : tous ces moyens qui restent a la disposition des banques pour contourner les règles<!-- --> | Atlantico.fr
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Les nouvelles règles prévoient l’accord des actionnaires pour tout bonus "bancaire" dépassant le salaire de base.
Les nouvelles règles prévoient l’accord des actionnaires pour tout bonus "bancaire" dépassant le salaire de base.
©Reuters

Ce n'est pas prêt de s'arrêter !

Alors que l'Union européenne est parvenue à un accord visant à limiter les bonus des banquiers, les mesures adoptées pourraient s'avérer inefficaces. Comment les banquiers s'apprêtent à les contourner ?

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmit est membre de l'Advisory Board de l'Institut Thomas More,

Il a également été directeur du service "Opérations Financières" au sein de la Direction Générale "Affaires Économiques et Financières" de la Commission Européenne.

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L’accord européen sur les règles prudentielles bancaires (CRD IV) doit être salué comme une avancée majeure dans le renforcement du cadre réglementaire applicable.

Néanmoins, les dispositions concernant les plafonds imposés aux bonus laissent planer un sentiment d’inconfort à cause de leur caractère discriminatoire et l’apparente facilité avec laquelle elles peuvent être éludées. De plus, elles semblent fondées, du moins en partie, sur un désir de satisfaire les demandes populistes de rétribution à l’encontre des bénéficiaires de rémunérations jugées obscènes ; enfin, certains de ses promoteurs sont accusés de stigmatiser l’attitude "eurosceptique" de la Grande-Bretagne en visant la "City" sur un sujet qui a peu de chances de recueillir beaucoup de sympathie dans l’opinion publique anglaise.

Cependant, le secteur bancaire doit être soumis à une réglementation stricte et son application assurée sans concessions; à cet effet, on se réjouira des progrès accomplis dans l’élaboration de l’Union Bancaire. Les rémunérations ne doivent pas échapper à cette supervision.

Cependant, imposer des limites aux bonus de la façon envisagée est discriminatoire. Dans la mesure du possible, les règles de gouvernance doivent viser à une application aussi large que possible ; leur objectif premier est l’alignement des intérêts des parties prenantes y inclus ceux du personnel, de la direction, des actionnaires, des clients et, dans le cas des banques, du contribuable, en tant que garant en dernier ressort des déposants.

Fixer les rémunérations, au delà d’un seuil prescrit par la loi (mais que les statuts peuvent réduire), devrait demeurer la prérogative exclusive des actionnaires de toute entreprise, comme proposé à la votation en Suisse. Les nouvelles règles prévoient, en effet, l’accord des actionnaires pour tout bonus "bancaire" dépassant le salaire de base, ce qui constitue, certes, une avancée mais qui, en imposant un plafond, limite trop la liberté des actionnaires.

D’autres règles, applicables à toutes les sociétés, comme, par exemple, fixer par la loi/réglementation (mais que les statuts peuvent réduire) le ratio entre le montant global des bonus et le montant de ses bénéfices imposables, seraient beaucoup plus efficaces et socialement plus acceptables :

  • Cette limitation, s’appliquant au montant global, préserve les prérogatives de la direction de récompenser individuellement ses employés.

  • Les droits des actionnaires sont protégés.

  • Toute manipulation visant à réduire le bénéfice taxable impacte négativement le montant disponible pour les bonus (en Belgique utilisation abusive des intérêts notionnels).

Une disposition supplémentaire serait de limiter la partie des bonus servie en numéraire à un pourcentage des dividendes distribués. Le surplus serait réparti sous forme d’actions avec une liquidité restreinte pendant une période de cinq ans.

Il est évident, qu’étant donné sa nature systémique, le secteur bancaire doit être soumis à une surveillance particulière, y compris de sa politique de rémunérations, qui va au-delà des règles générales suggérées ci-dessus. Par exemple les bonus (et les dividendes) devraient faire l’objet de restrictions automatiques si des ratios de solvabilité/liquidité n’étaient pas respectés. De surcroît, le non respect de paramètres couvrant, la pondération des risques des actifs, la concentration des risques, les risques de contrepartie, etc., devrait être sanctionné par la soumission du paiement de bonus/dividendes à une autorisation préalable du régulateur. Ces conditions ne sont nullement discriminatoires.

Examinons le contournement de la nouvelle régulation : une première option est d’augmenter les salaires de base. Ce choix impose au secteur un fardeau de charges fixes plus élevées, ce qui le rendra plus vulnérable aux cycles économiques ; cela nécessitera plus de capitaux propres réduisant la profitabilité, augmentant le coût – et/ ou diminuant le montant – du crédit disponible ; cela soumettra le secteur bancaire européen à un désavantage compétitif.

Un autre moyen de contourner l’obstacle consiste à redéfinir le "salaire". Il suffit de le fixer contractuellement à la somme d’un montant minimum garanti et d’une "commission" basée sur un paramètre lié à la profitabilité (individuelle ou d’une équipe). Le "bonus" intervient alors en sus pour récompenser une performance exceptionnelle. Enfin, surtout dans le cas de firmes opérant internationalement, il est toujours possible de structurer des rémunérations en y incluant des tantièmes d’administrateur ou payements pour autres services rendus à des filiales situées en dehors du périmètre réglementaire.

Pour contrer ce type de dérives, la réglementation devrait imposer aux banques de déclarer à leurs autorités fiscales nationales et à celles de la résidence fiscale des bénéficiaires, les détails complets des sommes versées, si elles dépassent 250 000 euros. (Cette disposition devrait être généralisée à toutes les entreprises). Il va sans dire que cette approche plus équilibrée de la réglementation des bonus bancaires rendrait sa mise en œuvre d’autant plus efficace. Cela rencontrerait aussi le sentiment croissant d’injustice issu de l’écart grandissant entre nantis et démunis ; enfin cela mettrait un terme aux accusations d’un lobby anti "City".

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