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Pire dans le public que dans le privé, la Dares mesure la pénibilité au travail. Mais le thermomètre employé est-il le bon…?
©DR / DARES

Etude

La Dares a publié une nouvelle étude sur les risques professionnels dans la fonction publique et le secteur privé. La fonction publique hospitalière est la plus exposée. Le thermomètre utilisé est-il le bon ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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La Dares (direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) - qui dépend du ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social - a publié une radiographie des risques professionnels dans la fonction publique et le secteur privé. Elle permet de cartographier les risques selon plusieurs centaines de critères, auprès d'un large échantillon de population : 1.243 médecins du travail ont pu interroger 26.500 salariés. Sur bien des critères, les employés du public peuvent être exposés à des risques plus importants que ceux du privé. La fonction publique hospitalière s'inscrit comme la branche où la pénibilité est la plus élevée. L'étude de la Dares présente néanmoins des limites, puisqu'elle ne fait pas la distinction entre les différentes professions (comme les enseignants, les policiers et bien d’autres) au sein de chaque sphère de la fonction publique, ni au sein de la sphère privée qui peut recouvrir une grande diversité de situations. En marge du débat sur les retraites, ces données pourraient alimenter les discussions sur la question de la santé au travail. Ce sujet sera en effet défendu par la députée LREM Charlotte Lecocq dans deux rapports sur les risques professionnels.

Atlantico.fr : Quels sont les principaux enseignements de cette étude ? Qu’est-ce que cela nous dit sur l’état actuel des conditions de travail et du marché du travail en France ?

Philippe Crevel :L'étude de la Dares qui est centrée notamment sur les trois fonctions publiques indique que les fonctionnaires comme les salariés sont exposés à différents types de pénibilité que ce soit moral ou physique néanmoins avec une très forte spécificité pour la fonction publique hospitalière par les métiers qu’elle regroupe. Evidemment elle est la plus concernée par la pénibilité à la fois liée au stress des emplois dans le secteur de la santé et également des contraintes physiques et également une exposition à des agents chimiques toujours évidemment en lien avec les process médicaux.

Sur l’autre fonction publique qui est également très concernée par la pénibilité c’est la fonction publique territoriale. Il y a des emplois de catégorie C, liés à tout ce qui est routier, tout ce qui est lié à l’entretien des routes, à l’assainissement, au réseau d’eau, à différentes activités qui peuvent donner lieu à des contraintes physiques.

L’aspect commun aux trois fonctions publiques, c’est un mal-être et un problème de reconnaissance qui est élevé. Plus de la moitié des fonctionnaires considèrent être aujourd’hui mal reconnus et d’avoir un travail qui peut faire l’objet de critiques, qui peut faire l’objet d’une méconnaissance. Il y a un malaise au sein de la fonction publique assez important qui peut être accentué avec le débat sur la réforme des retraites.  

On peut tout à fait imaginer que les enseignants ou le personnel des hôpitaux connaissent une souffrance au travail mais quid des ouvriers du bâtiment, des employés de la restauration, des artisans confrontés à des difficultés de trésorerie ?

Philippe Crevel : L’étude de la Dares est une étude large. La Dares s’intéresse à tous les types d’emplois que ce soit dans le bâtiment ou dans un autre secteur. Là l’étude était plus centrée sur des résultats qui sont plus ceux de la fonction publique. D’autre part, cette étude ne distingue pas les différentes catégories de fonctionnaires au sein de l’Etat. Elle ne distingue pas les enseignants, les policiers, les militaires. C’est un choix opérationnel de la Dares.

Mais par ailleurs, il est évident que d’autres emplois dans le privé sont confrontés à une pénibilité identique ou supérieure. Nul ne peut le contester, que ce soit dans le secteur du bâtiment ou que ce soit également dans le secteur privé de santé, dans les cliniques privées, que ce soit dans les établissements privés d’enseignement. Ce sont les métiers et non pas le statut qui fait la pénibilité en France.

Après on parle de stress moral, de burn out dans la fonction publique. Evidemment que le burn out existe chez l’indépendant, le restaurateur, le petit commerçant, l’infirmière en profession libérale qui doit faire face à des contraintes de déplacement, des contraintes d’activité, également des contraintes physiques. Et cela est indépendant du statut évidemment.   

La méthodologie de la Dares est-elle vraiment sérieuse ? Ou connaît-elle des failles ? Les chercheurs de la Dares connaissent-ils suffisamment les métiers du privé pour faire des questionnaires adaptés ? 

Philippe Crevel : La Dares, qui est le service d’étude de recherche du ministère du Travail, est une direction qui est reconnue en France comme au niveau international. La Dares fait appel à des inspecteurs des affaires sociales, à des spécialistes du droit du travail, qui ont pu avoir dans leur vie des parcours professionnels variés. Ce ne sont pas que des fonctionnaires qui ont tout le temps été en charge d’études. Ils ont pu avoir des fonctions sur le terrain.

La Dares est un organisme sérieux avec des études qui font plutôt en règle générale référence. Evidemment que comme toute étude on peut contester la méthodologie. Celle-ci n’échappe pas à la règle. Elle ne distingue pas les différentes catégories de fonctionnaires au sein de l’Etat, le personnel enseignant, policiers, cela peut être considéré comme un peu trop généraliste, global. Mais c’était un choix. Cette étude a veillé à faire des comparaisons avec l’ensemble des secteurs d’activité du privé. Il y a un benchmark qui a été fait. C’est plutôt une preuve de sérieux, ce sont des indicateurs qui tombent à point nommé dans le cadre du débat sur la réforme des retraites. On sait que le Premier ministre a prévu d’étendre le compte de pénibilité à la fonction publique. Donc on peut dire que la Dares sert de catalyseur. La Dares évidemment épaule le gouvernement dans ce domaine. C’est une direction d’un ministère, c’est logique et normal.     

Par rapport aux membres du personnel hospitalier et au regard de la contestation contre la réforme des retraites, ces sujets ne pourraient-ils pas revenir dans le débat  et être au cœur des futures négociations en janvier par exemple ?

Philippe Crevel : Il y a aujourd’hui une crise majeure des hôpitaux liée à des problèmes financiers, d’investissements, de modernisation mais également liée à des problèmes de personnel avec une tension sociale importante. Tension sociale tant vis-à-vis de l’organisation administrative des hôpitaux que vis-à-vis de la hiérarchie. Les relations entre personnel soignant, aide-soignant, infirmier et les médecins ne sont pas faciles  et puis d’autre part le recours à des contractuels qui sont soumis au droit privé et qui peuvent gagner plus d’argent tout en n’étant pas soumis à la hiérarchie à longueur d’année. On voit bien que là il y a évidemment une cristallisation de tensions qui peut à tout moment exploser. Comme il s’agit de santé, nul ne le souhaite. On a envie d’être bien soigné.

Cette enquête révèle quand même un réel problème dans la fonction publique hospitalière. C’est un signal que l’Etat, que le gouvernement ne pourra certainement pas négliger dans les prochains jours et les prochaines semaines.  

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