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Pic de pollution record : le smog qui noie les grandes villes françaises est-il en train de tuer ?
©AFP

Catastrophe urbaine

Les pics de pollution sont de plus en plus courants, particulièrement en région parisienne. La situation que connait Paris depuis le 30 novembre est historique : de par son intensité et sa durée, ce pic est susceptible de faire de nombreuses victimes.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Bertrand Dautzenberg

Bertrand Dautzenberg

Bertrand Dautzenberg est tabacologue. Il exerce à l'hôpital Marmottan et à la fondation Arthur Vernes. Il a également exercé par le passé à l’Assistance publiques-Hôpitaux de Paris au CHU Pitié-Salpêtrière. Il préside Paris sans tabac. Bertrand Dautzenberg est également vice président du Respadd. 

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Atlantico : Depuis plus d'une semaine désormais, Paris et de nombreuses autres métropoles sont frappées par un pic de pollution historique. Quelles sont les premières observations dont nous disposons ? Combien de victimes, de morts ou de patients hospitalisés peut-on imputer à ce pic de pollution ?

Bertrand Dautzenberg : Le pic de pollution qui traverse actuellement le pays est d'une ampleur bien moins importante que ce que nous avons déjà pu enregistrer dans le passé, et la couverture médiatique est un peu faussée à en juger les journaux qui titrent sur un soit-disant pic de pollution d'une ampleur inédite. 

En revanche, il est vrai que les patients qui viennent me consulter depuis le 1er décembre, soit à partir du début de ce pic de pollution, décrivent une certaine gène. Lorsqu'on leur pose la question de savoir si le pic de pollution a une incidence sur leur respiration par exemple, environ un tiers d'entre eux déclarent qu'effectivement cette pollution leur pique les yeux et aggrave leurs difficultés respiratoires. Il faudra néanmoins attendre quelques jours les statistiques nationales en la matière pour connaître l'impact réel de ce pic de pollution, notamment avec les retours précis des services d'urgence des hôpitaux.

Stéphane Gayet : L’Agence nationale française de santé publique "Santé publique France" effectue une surveillance permanente, en temps réel, des effets de la pollution atmosphérique sur la santé. À ce jour, soit après sept jours de persistance de ce pic de pollution historique, l’agence n’a pas encore détecté d’évolution significative des indicateurs sanitaires globaux en lien avec la pollution de l’air. C’est encore un peu tôt. Toutefois, les médecins généralistes interrogés voient le nombre de leurs consultations augmenter nettement. À Paris comme dans d’autres grandes villes touchées par ce phénomène, les salles d’attente sont en effet pleines. Il s’agit principalement de nourrissons souffrant de bronchiolite aiguë, d’enfants asthmatiques présentant de gêne respiratoire, ainsi que d’adultes asthmatiques ou atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO : bronchite chronique, dilatation des bronches, emphysème pulmonaire) souffrant d’une aggravation de leur insuffisance respiratoire chronique.

On en saura plus quand ce pic historique sera franchi. En revanche, on sait, par l’expérience des précédents pics de pollution atmosphérique dans les grandes villes, que le nombre d’admissions en service d’accueil et d’urgences et celui d’hospitalisations augmentent d’au minimum 10 % lors de chaque pic enregistré. Le pic actuel étant particulièrement intense, il faut s’attendre à plus.

Le programme de surveillance "Air et santé" enregistre dans 17 grandes villes françaises les décès toutes causes réunies (excepté les causes accidentelles) et les hospitalisations pour causes cardiaques, attribuables aux effets à court terme (pics de pollution) des PM10 (particules dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 10 microns ; ce sont les plus grosses des "particules fines" ; elles ne restent en suspension dans l’air que quelques jours, contrairement aux plus fines qui persistent plusieurs semaines). Les résultats sont exprimés en pourcentages de décès et d’hospitalisations en relation avec les PM10. Les dix villes les plus exposées aux pics de pollution sont, par ordre décroissant, Nancy, Lyon, Lille, Strasbourg, Lens-Douai, Le Havre, Rouen, Grenoble, Paris et Nantes. À Nancy, ce pourcentage atteint 15 %, tandis qu’à Paris il est de 7 %. Mais, si les pics de pollution ont un caractère spectaculaire, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Cette étude insiste en effet sur le fait que l’essentiel des dégâts sur la santé résulte plus de la pollution quotidienne, permanente, y compris en dessous des seuils réglementaires, que des pics de pollution dont on parle bien sûr beaucoup.

Les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent qu’en 2012, ce sont 3,7 millions de décès qui ont été provoqués par la pollution de l’air extérieur au niveau mondial. En 2014, l’Agence européenne de l’environnement estime à plus de 400 000 le nombre de décès attribuables chaque année à la pollution aux particules fines PM2,5 en Europe (dont plus de 45 000 en France). En France, la pollution atmosphérique contribue aux premières causes de mortalité : les cancers (29 % des décès) et les maladies cardiovasculaires (25 % des décès).

Outre les seuls décès, quelles sont les conséquences que peuvent impliquer un tel pic de pollution ? Peut-on développer des pathologies suite à une exposition à la pollution, ou voir des maladies déjà présentes s'amplifier ?

Les effets à court terme sont ceux qui apparaissent dans les trois jours qui suivent un pic de pollution. Ils concernent surtout l'appareil respiratoire, car il est en contact direct avec les polluants. Les effets banals se traduisent par des maux de tête, une irritation du nez ou de la gorge. Ils deviennent plus conséquents lorsqu'il s'agit de symptômes comme la toux, une gêne respiratoire ou une aggravation de symptômes déjà présents chez les personnes atteintes de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). D'autres organes sont également concernés : il s'agit de l'appareil cardiovasculaire (tachycardie, hypertension) et de l'œil (irritation conjonctivale, larmoiement). Une enquête chez des enfants asthmatiques suivis individuellement a montré l'existence d'un lien entre les niveaux moyens de pollution hivernale observés en agglomération parisienne et l'apparition et la durée de leurs symptômes respiratoires. On observe une augmentation de 30% des crises d'asthme caractérisées, de 35 à 70% des simples sifflements, de 35 à 60 % des épisodes de toux nocturne et de 33 à 50% des épisodes de gêne respiratoire, cela pour des augmentations de 50 microgrammes par m3 des concentrations de dioxyde de soufre ou de particules fines.

En somme, cette pollution atmosphérique, d'une part favorise la survenue de certaines maladies, d'autre part aggrave des maladies déjà en cours. Il s'agit surtout du cancer du poumon (cancer bronchique), de maladies pulmonaires non cancéreuses (bronchite chronique, emphysème, asthme, dilatation des bronches) ainsi que de maladies cardiaques (angine de poitrine ou angor, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque) et vasculaires (athérome : formation de plaques qui durcissent et rétrécissent les artères avec de multiples conséquences). Lors des pics de pollution, il survient une augmentation significative du nombre d'hospitalisations pour affection cardiaque ou pulmonaire. Mais on a aussi montré une répercussion sur la grossesse avec un risque plus élevé de faible poids. Qui plus est, la pollution atmosphérique pendant la grossesse semble favoriser l’asthme infantile. C’est dire que toutes ces données sont effectivement bien alarmantes et à prendre très au sérieux.

Ce phénomène est parfois comparé dans la presse au Big Smoke qu'a connu Londres au XXème siècle. Cette comparaison vous semble-t-elle pertinente ? Quels sont effectivement les points de ressemblance ?

Le pic de pollution durable et historique que nous connaissons aujourd’hui est lié à la vague de froid (chauffage au fuel et surtout au bois), ainsi qu’à un phénomène météorologique surajouté qui plaque la pollution au sol. Nous subissons l’effet d’un anticyclone ; l’atmosphère est stable, sans vent, depuis plus d’une semaine. Londres et Berlin sont également très touchées par ce phénomène. En effet, le contexte du Bigsmoke londonien se trouve en quelque sorte reconstitué à Paris. L’effet de cuvette affecte la plupart des grandes villes, notamment Londres et Paris, et l’addition du trafic urbain aux moteurs diesel, du chauffage au fuel et surtout au bois ainsi que de l’absence de vent, crée bel et bien les conditions de cette pollution urbaine, beaucoup plus habituelle à Londres qu’à Paris.

Comment se protéger d'un tel phénomène ? D'un point de vue très pratique, pour les gens fragiles comme pour les plus résistants, quelles sont les attitudes à adopter dès à présent ?

On distingue les populations vulnérables (femmes enceintes, nourrissons et jeunes enfants, personnes de plus de 65 ans, personnes souffrant de maladies cardio-vasculaires, insuffisants cardiaques ou respiratoires, personnes asthmatiques) et les populations sensibles (personnes se reconnaissant comme sensibles lors des pics de pollution ou dont les symptômes apparaissent ou sont amplifiés lors des pics, par exemple les personnes diabétiques, personnes immunodéprimées, personnes souffrant d’affections neurologiques ou à risque cardiaque, respiratoire ou encore infectieux).

Pour les populations vulnérables et sensibles, on recommande d’éviter les activités physiques et sportives intenses, en plein air ou à l’intérieur ; en cas de gêne respiratoire ou cardiaque inhabituelle, de consulter son médecin ou pharmacien ; de prendre conseil auprès de son médecin pour savoir si son traitement doit être adapté ; de rester à l’intérieur et de privilégier des sorties plus brèves que d’habitude, du moins si l’on sent que ses symptômes sont moins gênants quand on le fait ; d’éviter de sortir en début de matinée et en fin de journée et aux abords des grands axes routiers ; de reporter les activités qui demandent le plus d’effort.

Pour la population générale, on recommande de réduire et reporter les activités physiques et sportives intenses, en plein air ou en intérieur, jusqu'à la fin de l’épisode et surtout si des symptômes sont ressentis (fatigue inhabituelle, mal de gorge, nez bouché, toux, essoufflement, sifflements, palpitations) ; en cas de gêne inhabituelle (par exemple : toux, mal de gorge, nez bouché, essoufflement, sifflements), de prendre conseil auprès de son médecin ou pharmacien.

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