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Petites questions gênantes sur les 70 000 morts par an dus à la pollution automobile
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Pollution atmosphérique

La pollution de l'air ne serait pas seulement due aux voitures qui sont devenues les boucs-émissaires des écologistes alors qu'il est pire de respirer les particules fines dans le métro parisien que dans les rues.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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La très grande majorité des Français pensent et disent que la pollution de l’air dans notre pays est en augmentation constante et rapide. Un sondage de l’IPSOS de juin 2018 a posé la question suivante à un échantillon représentatif : A votre avis, la pollution de l’air augmente-t-elle ou diminue-t-elle ? Les réponses sont : pour 63% elle augmente beaucoup ; pour 25% elle augmente un peu ; pour 9%, elle stagne ; pour 2% elle diminue un peu (2%) ; pour 1%, elle diminue beaucoup. Avant de confronter cette opinion à la réalité, on soulignera deux points.

Le premier est que cette opinion est le reflet, l’écho, de la parole publique. Les Français ne se promènent pas avec des pollutionomètres dans leurs poches. Sur la concentration des différents polluants, ils ne savent que ce que leur répètent sur le sujet les politiciens, les responsables d’ONG, et les journalistes. Tous ces porteurs de la parole publique ont intérêt à ce que les citoyens pensent que tout va mal : cela leur rapportera des voix, des contributions, et des achats. De plus, ils sont servis par le fait qu’on ne parle de la pollution que lors des épisodes d’augmentations de courte durée. Lorsque la pollution diminue, elle n’intéresse personne, et personne n’en parle. Dans le discours public, pollution est donc systématiquement associé à augmentation. Beaucoup de bruit pour les augmentations temporaires, le silence pour les diminutions, les marchands de peur n’ont même pas besoin de proférer des mensonges pour donner l’impression d’une forte augmentation de long terme.

Le second est que la pollution est un phénomène complexe qui se prête bien à toutes les manipulations. Primo, il est pluriel. Il ne faut pas parler de « pollution » en général, mais de polluants particuliers. Pour l’air, les six plus importants sont sans doute le dioxyde de soufre (SO2), le plomb, le monoxyde de carbone (CO), le benzène, le dioxyde d’azote (NO2), et les particules. (Le dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2) n’est pas un polluant à proprement parler mais un gaz à effet de serre, coupable, selon la doxa dominante, de causer le réchauffement de la planète). Ces six polluants diffèrent beaucoup, en termes d’origine, d’évolution, de champ d’action, de nocivité. Par exemple, la formule célèbre « la pollution ne connaît pas de frontières » est vraie pour les uns (SO2, NO2, particules) et fausse pour les autres (plomb, CO).

 Secundo, les concentrations varient beaucoup dans l’espace (d’un lieu à un autre, même à l’intérieur d’une même agglomération) et dans le temps (d’une heure à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une année à l’autre). Tertio, La mesure de la concentration peut concerner les valeurs extrêmes enregistrées, ou bien la moyenne des valeurs enregistrées ; la nocivité dépend en effet  tantôt de l’exposition à des pics temporaires, et tantôt de l’exposition de long ou de moyen terme à des concentrations moyennes. Il s’ensuit qu’en choisissant adroitement le polluant, le lieu et le temps, ainsi que la mesure, et en généralisant (souvent sans le préciser) à l’ensemble des polluants, on peut « prouver » à peu près n’importe quoi et son contraire.

Un chercheur sérieux, faisant les distingos nécessaires, peut cependant présenter un tableau crédible. Cela est particulièrement vrai pour apprécier les évolutions dans le temps. La comparaison des données (si elles proviennent de séries homogènes) efface largement les incertitudes qui pèsent sur les données. Comme on l’apprenait autrefois à l’école communale, on peut peser juste avec une balance fausse. Christian Gerondeau (2018) s’est livré à cet exercice sur le cas de l’agglomération parisienne, avec les données d’Airparif, une agence officielle, qui n’a aucun intérêt à minimiser les améliorations. Le tableau II-1 présente les chiffres obtenus.

Ces chiffres ne laissent aucune place au doute. Pour deux des polluants, dont l’un, le dioxyde de soufre fut, dans les années 1970, considéré comme le pire des polluants de l’air, l’évolution est une élimination ; Airparif a d’ailleurs cessé de les mesurer. Pour trois d’entre eux (le CO2, le benzène et les particules fine), la diminution est d’environ 80% (les périodes n’étant pas exactement les mêmes, les chiffres de sont pas strictement comparables, mais les ordres de grandeur le sont). Pour le dioxyde d’azote, les concentrations ont seulement (!) diminué de moitié. Pour l’ensemble, il n’y a pas photo (comme l’on dit de nos jours) : loin de s’aggraver, comme la parole publique le fait croire à 88% des Français, la pollution de l’air a considérablement diminué, et est en voie de disparition dans l’agglomération parisienne.

Ces données jettent une lumière critique sur les évaluations du nombre des décès engendrés par la pollution de l’air qui sont un élément majeur de la parole politique, repris presque quotidiennement par les médias. Une étude de Santé Publique France, une agence officielle, évalue à 48 000 décès le nombre annuel des décès causés en France par les seules particules fines. Une étude européenne propose pour la France un chiffre encore bien plus élevé. On sait que les dommages à la santé d’un polluant sont très généralement une fonction croissante des concentrations, qui est exponentielle : la multiplication par 2 des concentrations entraîne une multiplication des décès par quelque chose comme 3. La division par 5 des concentrations de particules fines entre 1970 et 2016 implique donc une division par beaucoup plus que 5 des décès. Cela voudrait dire qu’en 1970 les particules fines étaient responsables de bien plus de 250 000 décès. Le bon sens suggère que cette conclusion est absurde, et cette absurdité affecte sérieusement la crédibilité de l’estimation de Santé Publique France.

Les voitures en général, et les voitures diésel en particulier, sont des boucs émissaires faciles. Tout d’abord, des normes de plus en plus sévères ont diminué les rejets de la plupart des polluants dans des proportions considérables. Ces diminutions ne résultent pas de la gentillesse naturelle des producteurs d’automobile, mais de décisions prises par l’Union Européenne (pour une fois que la Commission a fait œuvre utile, il faut le souligner). Ensuite, dans les grandes villes,  la circulation automobile a tendance à diminuer, pas à augmenter. C’est en particulier le cas à Paris intra-muros. La plupart des polluants qui existent encore à Paris ne sont pas générés à Paris. La municipalité peut faire du cinéma, mais pas agir. Enfin, les particules émises par le transport ne viennent plus principalement des moteurs, mais du freinage. De ce point de vue, véhicules à essence, diésel ou électriques, rejettent autant de particules. Ils en rejettent toutefois bien moins que le métro, avec ses roues en acier freinant sur des rails en acier. Il y a cinq fois plus de particules dans le métro que dans les rues.  Un conseil: en cas de canicule, évitez de prendre le métro !

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