Petites leçons des MidTerms américaines pour la vie politique française (et pour la droite en particulier)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des électeurs déposent leur bulletin de vote à l'école élémentaire Robious lors des élections de mi-mandat à Midlothian, en Virginie, le 8 novembre 2022.
Des électeurs déposent leur bulletin de vote à l'école élémentaire Robious lors des élections de mi-mandat à Midlothian, en Virginie, le 8 novembre 2022.
©RYAN M. KELLY / AFP

Elections de mi-mandat

Certains enseignements du scrutin américain devraient retenir l’attention de la classe politique en France.

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Selon les sondages de sortie des urnes, l’inflation était le facteur numéro 1 du vote, l’avortement numéro 2 suivie par la criminalité. Faut-il  en tirer des leçons sur les sujets qui devraient occuper l’attention des politiques en France ?

Bruno Jeanbart : Que l’inflation soit l’enjeu numéro 1, nous devons l’avoir en tête en France et en Europe. Ce sujet va peser sur les scrutins pendant un certain temps. Nous sommes revenus dans une phase où les questions économiques sont redevenues la principale priorité. C’était traditionnellement le chômage, maintenant c’est le coût de la vie. Difficile d’exporter le débat sur l’avortement puisqu’en France, les opposants sont très minoritaires. Sur la criminalité, c’est un sujet qui reste très important. C’était la priorité en 2021 au moment des régionales en France. Aux Etats-Unis ça inclut le port d’armes et les tueries de masse. Mais c’est un sujet qui s’est installé dans le débat depuis une trentaine d'années.

Maxime Tandonnet : L’avortement n’est pas remis en cause en France et dès lors, on ne peut pas dire qu’il y soit un sujet des campagnes électorales à venir. En revanche, pour le reste, on est assez près des préoccupations américaines. Il ne fait guère de doute que les sujets d’inquiétude des électeurs en France vont se recentrer des questions qui touchent à leur vie quotidienne : l’inflation, c’est-à-dire le pouvoir d’achat, le chômage, et le régalien, la sécurité et l’immigration. On peut d’ores et déjà anticiper une situation, en France, où les préoccupations populaires auront tendance à déserter les idéologies ou les grands sujets généraux (par exemple la question de « l’Europe ») pour se recentrer sur des questions directement liées à la vie quotidienne. Les politiques français doivent en ternir le plus grand compte…

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Que ce soit avec les républicains MAGA ou  l’aile la plus radicale du parti démocrate, les résultats n’ont pas été au rendez-vous ? Quelles leçons en tirer ? Pour la droite et l’extrême droite d’un côté et la NUPES de l’autre ?

Bruno Jeanbart : On l’a vu à la présidentielle en France, l’offre politique radicale a ses limites. C’est un moyen efficace pour mobiliser et peser dans l’élection, mais c’est un vrai frein pour l’emporter dans des scrutins majoritaires. On parle beaucoup de la polarisation et de la radicalisation des opinions mais cela nous rappelle que les populations demeurent majoritairement des modérés qui votent pour des modérés. C’est probablement une vision que partage le RN qui mène une stratégie de dédiabolisation, de normalisation. Ils prennent en compte que pour gagner un scrutin, la radicalité finit par être un obstacle. Il y a bien sûr, dans les deux camps des partisans de l’offre radicale mais ils restent minoritaires. Le résultat de la NUPES au second tour des législatives a montré aussi que l’union autour de la frange la plus radicale de la coalition ne marchait pas. En Italie, c’est aussi une normalisation de Fratelli d’Italia qui lui a permis d’être le premier parti du pays aux dernières législatives.

Maxime Tandonnet : Oui, on constate aussi que les candidats les plus soutenus par Donald Trump ont été en difficulté. Sans doute peut on parler d’un recentrage de la politique américaine. Dans une période extrêmement préoccupante sur le plan économique, sécuritaire, international avec la guerre en Ukraine, l’électorat semble avoir tendance à rejeter les excès de part et d’autre et les phénomènes d’esbroufe. Il est davantage en quête de calme, de sérieux et de modération. Certes le parti Républicain est en passe de l’emporter au Sénat comme à la Chambre des représentants. C’est en soi un événement important qui devrait réduire les marges de manœuvre de M. Biden. Mais tous les commentateurs soulignent également l’absence d’une « vague rouge (républicaine)» attendue.   

Les résultats de Floride sont-ils la preuve que faire le lien entre immigrés, descendants d’immigrés et vote à gauche est une erreur intellectuelle et stratégique ?

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Bruno Jeanbart : Il est sûr qu’il n’y a pas de liens entre immigrés, descendants d’immigrés et vote à gauche. La Floride est un cas particulier. C’est le vote hispanique qui permet de l’emporter mais ce sont plutôt des personnes d’origine cubaine ou vénézuélienne, ce qui est un peu différent de la sociologie d’autres États. Mais ce phénomène de décrochage du vote hispanique en faveur des démocrates se confirme un peu partout. Il n’y a pas de vote automatique et ces populations, comme toutes les autres, restent surtout sensibles à l’offre politique qu’on leur propose. Et même en France, le vote a toujours été plus diversifié qu’on ne le croit.

Maxime Tandonnet : Sans doute… La Floride est un Etat où la proportion des populations d’origine hispanisante est très importante. Pourtant elle vient de réélire un gouverneur conservateur, Ron DeSantis, ancien militaire, qui s’est signalé par ses positions fermes, sinon musclée sur l’immigration. Dans le style, c’est l’anti-Trump, un ancien militaire avec une apparence plutôt pondérée. Une sorte de main de fer dans un gant de velours… Il est question de lui pour l’investiture républicaine en 2024. On peut imaginer que, comme aux Etats-Unis, une partie des populations issues de l’immigration en France, qui souffre particulièrement de l’effondrement du système scolaire, de l’insécurité et de l’immigration illégale, pourrait être séduite par un profil de ce type. 

Certains clivages prégnants aux Etats-Unis doivent-ils retenir notre attention en France également ?

Bruno Jeanbart : On observe les clivages de beaucoup de démocraties occidentales. D’abord un clivage très marqué géographiquement entre monde rural et grandes agglomérations. Cela renvoie à une réalité sociologique : des populations plus jeunes, plus diplômées, etc. Il y a une attractivité des partis progressistes auprès des plus jeunes, notamment autour des sujets climatiques, même si en France le RN capte une partie du vote jeune. Il y a aussi un  clivage très important sur le niveau de diplômes également dans les deux pays. Sur les clivages sociodémographiques, les Etats-Unis et l’Europe sont très proches, probablement car nous sommes à l’heure de la mondialisation et que les problématiques sont partagées.

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Maxime Tandonnet : Oui, mais en mal… Prenons soin de ne pas copier les Etats-Unis sur tous les points. Human Rights Campaign, association américaine de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bi, transgenres ou queers a salué la victoire électorale « historique » de Maura Healey, devenue mardi la première gouverneure « ouvertement lesbienne » (sic) élue aux Etats-Unis, dans l’Etat du Massachusetts. Franchement, la politique est le service de l’intérêt général. Faire de la préférence sexuelle des personnes un critère de vote n’est pas dans la tradition française de citoyens égaux. Rejetons cette obsession d’une partie de l’opinion publique américaine sur le « genre » ou les goûts sexuels. Ces considérations relèvent de l’intime et ne doivent pas avoir de place en politique.  

Y-a-t-il aussi des leçons à tirer outre atlantique sur le rapport à avoir au conflit ukrainien ?

Bruno Jeanbart : Il y a des critiques et il n’y a pas une unité sur le sujet, notamment sur le soutien de long  terme. Ce qui est notable, c’est que ce n’a pas été vraiment un enjeu dominant dans les élections américaines. Il l’a été de manière indirecte en France à la présidentielle. Mais globalement les sujets internationaux ne passionnent pas. Deuxième chose, contrairement à la sphère politique, l’opinion reste majoritairement derrière l’idée qu’il faut soutenir l’Ukraine face à la Russie.

Maxime Tandonnet : L’opinion américaine n’a aucune intention de se laisser entraîner dans une guerre ouverte avec la Russie. Si Biden n’a pas été plus lourdement sanctionné par une « vague rouge », c’est sans doute en partie du fait de sa position ressentie comme relativement équilibrée dans ce conflit. Il dure depuis presque 10 mois mais les Américains se sont contentés d’aider l’Ukraine par l’envoi d’armes et l’aide économique. Biden n’a pas envisagé d’intervention directe américaine. Et même dans l’hypothèse d’usage de l’arme atomique par Poutine, il est resté prudent ne parlant pas de représailles du même type et d’escalade nucléaire. Malgré sa relative impopularité, cette retenue lui vaut peut-être d’avoir évité un désaveu plus cinglant…

On s’attendait à une vague rouge qui n’a pas eu lieu. Y-a-t-il une leçon politique à tirer ?

Bruno Jeanbart : On est dans la fourchette basse des estimations des sondages pour les résultats à la chambre et au Sénat. Mais les sondages ne se sont pas trompés pour autant. En revanche, la faible popularité de Biden penchait pour une victoire des Républicains et cela n’a pas eu lieu. Le lien entre popularité du président et résultats électoraux n’est peut-être pas si évident que ça. La popularité c’est une donnée absolue, une élection, un phénomène relatif. On peut ne pas aimer quelqu’un mais le préférer à d’autres. Les sondages montrent un mécontentement de Biden, mais la personnalité de Trump en suscite encore plus.

Deuxièmement, il y avait un débat sur le sujet qui devait porter la campagne des démocrates. L’inflation était la préoccupation majeure mais les républicains avaient un avantage. L’avortement semblait leur être favorable. Les résultats semblent montrer qu’ils ont réussi à mieux mobiliser que prévu leur électorat sur ce sujet et d’autres.

Y-a-t-il d’autres enseignements du scrutin américain qu’il pourrait être pertinent d’importer en France ?

Bruno Jeanbart :On peut au moins voir un parallèle puisqu’aux Etats-Unis comme en France, nous avons vu des évolutions marquées des offres politiques et nous sommes encore en cours de déconstruction de ces dernières.

Maxime Tandonnet : On peut aussi ressentir dans ce vote une certaine lassitude face aux questions de personnes (Biden ou Trump) qui divisent et éloignent de la réalité de terrain. Certes Biden est impopulaire, mais l’électorat ne semble pas avoir cherché, ni à lui exprimer un soutien, ni à le sanctionner au point de lui infliger un camouflet. De même, ce scrutin n’a rien eu d’un plébiscite en faveur de Trump – peut-être même le contraire. Ce vote signifie entre autre que les électeurs ont pensé davantage en termes d’enjeux quotidiens que d’allégeance à des leaders.  Là aussi ce pourrait être une leçon pour les politiques français. Ils auraient tout intérêt à répondre aux souffrances et aux angoisses des Français plutôt qu’à se mettre en scène et s’adonner d’une manière ou d’une autre à l’esbroufe narcissique.

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