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Pénurie de masques : la justice et l’histoire trancheront
©FRANCK FIFE / AFP

Armes contre le Covid-19

Et pour l’histoire au moins, difficile d’imaginer que le jugement sur l’imprévision des pouvoirs publics français ne soit pas sévère.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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A moins d'être véritablement éloigné des médias, tout le monde a entendu l'inconcevable. La France est en grave pénurie de masques tant ceux de protection simple ( dits chirurgicaux ) que désormais les fameux FFP2 qui sont plus sophistiqués et plus appropriés à la lutte contre la dissémination des gouttelettes  ( postillons ) porteuses du virus Covid-19.

Cette pénurie est un choc opérationnel à résoudre tout autant qu'une énigme qui devra être soumise à la Justice. 

Objectivement, l'imprévision coupable de l'État est avérée.

Songez que le 26 janvier 2020, la ministre Buzyn déclarait : " Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d'épidémie, ce sont des choses qui sont d'ores et déjà programmées. Si un jour, nous devions proposer à telle ou telle population ou personnes à risque de porter des masques, les Autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin. "

Nous nous sentions alors rassurés. Mais, ce discours semble être, avec le recul, un assemblage de mots à valeur de gros bobard.

L'un des premiers à lever le lièvre n'est autre que le dynamique Docteur Hamon qui a hélas développé depuis la maladie.

" Au début de la crise, le ministère nous a dit qu'ils étaient prêts, qu'il y avait des stocks d'État. Or, on a réalisé que c'était faux. Il n'est pas acceptable d'envoyer des soignants au casse-pipe sans aucune protection. "  J-Paul Hamon, président de la FMF ( Fédération des médecins de France ) ".

De fait, nombre d'intervenants hospitaliers sont dépourvus du nombre requis de masques.

En date du 13 mars, le Gouvernement prend alors un décret portant sur la réquisition des stocks et de la production de masques valable jusqu'au 31 mai 2020.

Cette décision révèle le désarroi qui s'empare du sommet de l'État, présidence inclue.

" Pour nous, c'est un véritable scandale d'État. C'est du même ordre que le scandale du sang contaminé. Des centaines de milliers de personnes vont être contaminées, d'autres vont mourir faute de cette impréparation du Gouvernement. " déclare haut et fort Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI ( Syndicat national des personnels infirmiers ).

Les médecins libéraux sont parfois dans l'obligation de travailler en utilisant des masques périmés postérieurs aux méga-stocks Bachelot du temps de la grippe H1N1.

Une Commission parlementaire sera certainement mise en place pour tenter de comprendre ce qui s'est passé et représente effectivement un scandale d'État.

Dès 2013, la gestion hasardeuse de la ministre socialiste Marisol Touraine est relevée par certains professionnels.

Ainsi, un rapport du SGSDN ( Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité intérieure ) en date du 16 mai 2013 porte modification de la " doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire ".

Le rapport du Sénateur ( LR ) Francis Delattre est très clair. Il écrivait en juillet 2015 : " La réservation de capacité de production ne peut constituer une solution unique pour prévenir les situations sanitaires exceptionnelles ".

Autrement dit, telle une belle autruche, la machine étatique a enfoui ses capacités de réflexion dans le sable et s'est reposée sur les vertus de la mondialisation en pensant que toute crise des masques en France serait résolue en 72 heurs par des commandes urgentes formulées auprès de la Chine.

En janvier 2016, une loi essentielle est votée. Elle vise la modernisation du système de santé et ainsi se trouve créé un établissement public : " Santé Publique France qui absorbe les fonctions de l'EPRUS ( créé en 2007 : Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ) et celles de l'INVS ( Institut de veille sanitaire ) et de l'INPS ( Institut national de prévention pour la santé ).

Le Sénateur Delattre et d'autres professionnels du secteur considèrent que cette dilution de l'EPRUS a été une profonde erreur et a nui à la capacité de réaction française.

Concrètement, nous savons depuis l'affaire Benalla qu'une Commission d'enquête est un corps constitué qui, en vertu de l'article 40 du Code de procédure pénale peut saisir le Procureur de la République. Dans le cas présent de cette insoutenable pénurie de masques, il y a une forme de mise en danger de la vie d'Autrui ce qui est clairement un délit sérieux.

Dans la mesure où des hommes et des femmes politiques sont concernées et que la Commission d'enquête parlementaire pourrait être amenée à établir le degré de leurs fautes, cela signifie qu'une saisine de la Cour de justice de la République ( article 68-1 de la Constitution ) n'est pas à exclure, loin s'en faut.

Par ailleurs, il reste la question de la centralisation des pouvoirs sous la Vème République et notamment depuis le quinquennat.

Qui pourrait imaginer que le président Macron n'est pas intervenu directement dans ce dossier ? Qui pourrait croire qu'il ne doit endosser aucune responsabilité ? L'analyse de l'article 68 de la Loi suprême évoque la notion de " manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ".

La question me semble ouverte.

Toutefois, dans la mesure où une majorité des 2/3 du Parlement constitué en Haute Cour est requise, Emmanuel Macron peut continuer à savourer les délices du pouvoir au cœur d'une capitale dont les centres de réanimation des grands hôpitaux comptent les morts.

Le jugement de l'Histoire est parfois pire que celui des hommes. Il se voulait Jupiter, sa complicité d'imprévision soulignée par la désormais célèbre interview d'Agnès Buzyn auprès d'Ariane Chenin pour Le Monde, risque de le transformer en Icare sous les yeux lourdement embués des familles de disparus.

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