Paul Romer (Prix Nobel d’Economie 2018) : « Développez votre esprit critique » <!-- --> | Atlantico.fr
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Mathilde Aubinaud et Philippe Branche publient « Ce que les Nobel ont à nous dire : Dix conseils de prix Nobel » chez VA Editions.
Mathilde Aubinaud et Philippe Branche publient « Ce que les Nobel ont à nous dire : Dix conseils de prix Nobel » chez VA Editions.
©Odd ANDERSEN / AFP

Bonnes feuilles

Mathilde Aubinaud et Philippe Branche publient « Ce que les Nobel ont à nous dire : Dix conseils de Prix Nobel » aux éditions VA Press. Et si votre mentor était l’un des prix Nobel ? Que peut-on en apprendre nous-mêmes pour nous améliorer ? Les auteurs sont partis à la rencontre de prix Nobel pour comprendre les boussoles qui aiguillent leur vie. Extrait 2/2.

Mathilde Aubinaud

Mathilde Aubinaud

Mathilde Aubinaud est diplômée d’ASSAS et du CELSA. Communicante, plume et auteure, elle enseigne la communication des organisations et l’étude des médias. Elle intervient régulièrement dans les médias pour analyser la communication publique. 

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Philippe Branche

Philippe Branche

Philippe Branche est ancien élève de l’Université de Pékin et de l’Université des Langues de Pékin. Il travaille dans le secteur financier et contribue régulièrement pour Forbes France et Asie.

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Développez votre esprit critique

Paul Romer (Économie, 2018)

« La critique peut être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain : elle attire l’attention sur ce qui ne va pas. »

Winston Churchill (Littérature, 1953)

Comment porter de meilleurs jugements et mieux apprendre de mes erreurs ?

Comment repousser mes limites et saisir plus d’opportunités ?

Comment continuer à progresser tout au long de ma vie ?

Forger son esprit plutôt que le meubler. « Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent. » André Gide (Littérature, 1947). Il faut cultiver son soupçon. Faire preuve d’esprit critique consiste en un examen attentif et sans concession avant d’établir un jugement définitif. Professeur en psychologie sociale à Stanford, Carol Dweck a instauré la notion de « growth mindset » et distingue deux formes de mentalités : fixe ou apprenante. Les individus disposant d’un état d’esprit apprenant sont convaincus que tout n’est pas de l’ordre de l’inné, mais que l’on peut progresser et s’améliorer. Ceux-ci ne considèrent pas que tout est figé à l’avance, mais que la marge pour avancer est grande. « C’est un travail difficile, mais les individus et les organisations peuvent gagner beaucoup en approfondissant leur compréhension des concepts de croissance et des processus pour les mettre en pratique. Cela leur donne une idée plus riche de qui ils sont, de ce qu’ils représentent et de la façon dont ils veulent aller de l’avant. » Les deux concepts d’esprit critique et de growth mindset communiquent l’un avec l’autre. L’un pour avoir une croissance saine et dans la bonne direction et le second pour permettre d’évoluer en ne se contentant pas de poser seulement des questions.

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I. Maîtrisez les ressorts de votre prise de décision

« On a dit que l’homme est un animal rationnel. Toute ma vie, j’ai cherché des preuves qui pourraient étayer cela. » Bertrand Russel (Littérature, 1950). Notre rationalité est mise en question par le philosophe britannique. Selon les points de référence que nous adoptons, notre prise de décision varie selon différents biais. Ce problème est d’autant plus complexe que nous reconnaissons tous ces préjugés ou biais cognitifs chez les autres, mais pas en nous-mêmes. C’est ce qu’expliquent Daniel Kahneman (Économie, 2002) et Amos Tversky avec la théorie des perspectives (1979). Daniel Kahneman schématise le fonctionnement du cerveau en deux systèmes de pensée : l’un intuitif, l’autre réfléchi et logique.

1. Le premier système fonctionne en mode automatique, il ne demande aucun effort et on ne peut pas le contrôler.

2. Le second système est réfléchi et logique. C’est lui qui permet de réaliser des opérations complexes, les biais cognitifs ne se limitant pas aux énigmes imaginées par les chercheurs. Ils piègent les professionnels de tous les secteurs d’activité : médecins, juges, ou encore hommes politiques. Les professionnels de la finance ne sont pas épargnés, bien au contraire.

La liste des biais cognitifs est encore longue et nous ne serons pas exhaustifs ici. De ses études sur les biais cognitifs, Daniel Kahneman s’est intéressé à déterminer les limites du fonctionnement de nos prises de décisions.

− Le mécanisme de substitution est fréquent. Il consiste à répondre à une question complexe en répondant à une question différente, plus simple, sans s’en rendre compte. On substitue ainsi un problème à un autre.

− L’heuristique d’affect a un fonctionnement qui est proche. Elle consiste à prendre une décision en utilisant davantage ses émotions qu’un raisonnement. C’est une façon de procéder très intuitive : le système 1 est aux manettes. Par exemple, nous avons tendance à donner raison aux personnes qu’on aime, même lorsqu’elles ont tort.

− L’ancrage psychologique désigne la difficulté de se défaire d’une première impression ou d’une première idée. Ce biais cognitif est bien connu des négociateurs. Lors d’une négociation, ils insistent sur un premier montant volontairement élevé afin de l’ancrer et de l’imposer comme référence psychologique à la partie adverse.

− Le biais rétrospectif est la tendance à surestimer le fait que les événements ont une justification et qu’ils auraient pu être anticipés moyennant plus de prévoyance. Cela vient d’un besoin de donner un sens à tout, même aux événements aléatoires, qui n’ont que des explications triviales. Notre système 1 est friand d’histoires. Le risque du biais rétrospectif est de penser que, puisque le passé peut s’expliquer, le futur peut se prédire.

− L’effet Dunning-Kruger, aussi appelé effet de surconfiance : Richard Thaler (Économie, 2017) explique ce biais cognitif par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence. Par exemple, le Nobel explique « 90 % de tous les conducteurs pensent qu’ils sont au-dessus de la moyenne au volant. »

− Le coup d’une perte est plus fort que les bénéfices d’un gain. Richard Thaler (Économie, 2017) : « Grosso modo, perdre quelque chose vous rend deux fois plus malheureux que gagner la même chose vous rend heureux. Dans un langage plus technique, les gens sont “opposés à la perte”.

La solution pour prendre de meilleures décisions. Dans les environnements aléatoires, Kahneman recommande de fixer des règles de décision et de s’y tenir. Cela permet d’éviter d’être victime de biais cognitifs. Autrement dit, un algorithme est plus efficace lorsqu’il s’agit de prendre des décisions d’investissement. Et comme le souligne avec ironie l’écrivain allemand Elfriede Jelinek : “La première chose qu’un propriétaire apprend, et douloureusement, est que la confiance, c’est bien, mais le contrôle, c’est mieux.” (Littérature, 2004). Ainsi, ne faites plus seulement confiance à votre processus de décision, mais maitrisez-le le plus possible.

Devrions-nous écouter un prix Nobel ? Question très sérieuse pour les auteurs de ce livre. Nous avons décidé de la poser à un prix Nobel, Paul Romer. Mener l’enquête pour comprendre quels sont les rouages d’acceptation quasi immédiate en lien avec nos croyances instaurées, bien souvent, par facilité. Quelle est l’idée véhiculée ? D’où vient-elle ? Quelle est son origine ? Celle-ci a-t-elle été confrontée à d’autres sources que vous considérez comme légitimes ? Paul Romer est un bel exemple d’un économiste qui a mis en lumière combien importe l’esprit critique.

II. Ce que le Nobel Paul Romer a à nous dire

La connaissance comme moteur de croissance pour Paul Romer

Paul Romer naît à Denver en 1955 et étudie au MIT et à la Queen’s University de Kingston. En 1983, il obtient son doctorat puis travaille dans plusieurs universités comme Berkeley et Stanford. Celui qui a été chef économique de la Banque Mondiale, est, depuis 2011, associé à la New York University. En 2018, il obtient le prix Nobel d’économie pour avoir permis l’intégration des innovations technologiques dans l’analyse macroéconomique à long terme.

Paul Romer a démontré comment la connaissance peut fonctionner comme un moteur de croissance économique à long terme. Il s’est attaché à montrer comment les forces économiques régissent la volonté des entreprises de produire de nouvelles idées. Sa théorie centrale, publiée en 1990, explique en quoi les idées sont différentes des autres biens et nécessitent des conditions spécifiques pour prospérer sur un marché.

Devrions-nous écouter les prix Nobel ? Et même vous écouter ?

« Il ne faut jamais écouter quelqu’un qui dit “je sais ce qui est juste” ou prétend savoir à quoi devrait ressembler la société. Un économiste ni personne d’autre n’a la réponse à ces questions. Les économistes ne devraient jamais utiliser l’autorité des sciences économiques pour étayer une politique particulière. Je m’attache actuellement à réduire l’influence des économistes sur la sphère politique. De nombreux économistes ont, en effet, guidé les politiciens et les décideurs publics conduisant à des décisions préjudiciables. Les pouvoirs et le respect accordés aux économistes ces dernières années ont fait beaucoup de tort. À mon avis, cette crédibilité n’était pas fondée. »

Comment cultiver son esprit critique à tout niveau ?

« Je vais commencer par donner un exemple : Alain Greenspan, le président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, de 1987 à janvier 2006. Il n’était pas économiste, mais membre d’une secte. C’était une énorme erreur de suivre ses avis. Son culte d’un marché totalement libre n’était aucunement justifié. Je me souviens qu’il prononçait régulièrement des discours sur la façon dont le secteur financier ne pouvait pas être réglementé. Dans ce cas, il vaut mieux que les politiciens ignorent les économistes. Personne ne devrait jamais plus obtenir l’influence qu’Alain Greenspan a atteinte. À titre d’information, je ne le connais pas personnellement, mais il est un parfait exemple de la raison pour laquelle les systèmes financiers ont fait tant de mal depuis quelques années. »

La métaphore du Nobel pour les prédictions – L’avion de Paul Romer

Lorsqu’il s’agit de faire des prévisions, j’aime utiliser l’image suivante : un pilote aux commandes d’un avion. Le pilote ne peut pas savoir s’il va avoir un accident, mais il peut toujours avoir un plan si le moteur tombe en panne. De même, nous devons avoir un plan pour faire face aux chocs exogènes. La France a besoin aujourd’hui d’un programme pour stimuler la consommation et encourager les échanges commerciaux à l’intérieur de l’Union Européenne. La France, par sa taille, ne peut seulement dépendre de son marché intérieur et est de plus en plus tributaire des échanges commerciaux européens – près de 59 % des exportations françaises en 2019 étaient avec l’Union Européenne. Autrement dit, l’économie française et celle de l’Union Européenne ont un destin commun.

Le « growth mindset » infini de Paul Romer

« Le progrès pourrait être infini. Nous devons prendre les décisions adéquates pour que cela soit possible. Je crois profondément que nous n’épuiserons jamais toutes les découvertes possibles. Le principal problème est que tout le monde veut une croissance sans changement ! L’économiste Schumpeter est resté célèbre pour le concept de destruction créatrice. Je ne suis pas un grand admirateur de ce concept, car je le vois souvent utilisé aujourd’hui pour justifier l’inefficacité d’une politique publique. Les politiciens se cachent derrière le concept de Schumpeter pour s’acquitter de leurs erreurs. Je reste pourtant un fervent partisan de la croissance par l’innovation. La vraie question sous-jacente est de savoir quel type de croissance cette innovation va apporter. »

Comment favoriser l’innovation – ce n’est pas en faisant plus de l’ancien que la croissance se produit 

« Le gouvernement devrait avoir la charge de la stimulation de l’innovation. Et ils détiennent un outil efficace qui est la réglementation. Aujourd’hui, la réglementation connaît souvent une connotation négative alors qu’il s’agit souvent de la solution : c’est en réglementant que l’on protège l’environnement. Pour le dire le plus simplement possible : l’investissement dans le capital humain, l’innovation et la connaissance sont des contributeurs essentiels à la croissance économique. Cette expansion n’est pas seulement un phénomène quantitatif, mais aussi qualitatif, car ce n’est pas en faisant plus de l’ancien que la croissance se produit ! “Vous pouvez additionner autant de diligences que vous voudrez, vous n’obtiendrez jamais un chemin de fer.” Schumpeter, comme Paul Romer, soulignait déjà que la croissance – ou évolution comme il préférait la désigner – n’est pas seulement un phénomène quantitatif, mais aussi qualitatif. »

Le conseil du Nobel Paul Romer

Il ne faut jamais écouter quelqu’un, et surtout un économiste, qui dit « je sais ce qui est juste » ou prétend savoir à quoi devrait ressembler la société.

À RETENIR

Ce que nous avons aimé et retenu de l’entretien :

Nous avons aimé l’exemple des couvercles du Starbucks Coffee. L’entreprise avait auparavant trois tailles de couvercles de gobelets Venti/Grande/Tall. Mais un jour, le management a décidé d’harmoniser la taille des couvercles pour tous les gobelets. L’application de cette simple idée a permis de réduire la quantité de stock, mais aussi le coût unitaire des couvercles.

« Trois choses que vous ignorez peut-être sur Paul Romer :

− Fils de l’ancien gouverneur du Colorado, Roy Romer

− Il a assisté au Burning Man en 2019

− Surnommé le « quitter » en série (quelqu’un qui démissionne souvent), il a dit : « J’ai compris comment me faire virer de la Banque mondiale ».

A lire aussi : Didier Queloz (Prix Nobel de Physique 2019) : « Soyez responsable de votre vie »

Extrait du livre de Mathilde Aubinaud et Philippe Branche, « Ce que les Nobel ont à nous dire : Dix conseils de prix Nobel », publié chez VA Editions

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