Pas un mot sur l'euro : Hollande veut-il faire oublier le traité budgétaire européen ou se croit-il seul au monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de son passage sur TF1, François Hollande n'a pas évoqué les questions européennes.
Lors de son passage sur TF1, François Hollande n'a pas évoqué les questions européennes.
©Reuters

So lonely

François Hollande était dimanche soir l'invité du 20h de TF1. En 30 minutes d’intervention, le président de la République n'a pas évoqué une seule fois les questions européennes.

Atlantico : Dimanche soir sur TF1, François Hollande a présenté son agenda de redressement de la France sur 2 ans. En 15 minutes d’intervention, le président de la République n’a pourtant pas évoqué une seule fois les questions (pourtant cruciales) européennes. Comment l'expliquez-vous ? 

Henri Labayle : Avant tout par le silence de la journaliste qui l'interviewait... Sans doute aussi parce que la communication du président voulait être une communication à but interne, avant tout. Il avait sans doute aussi à l'esprit que la semaine qui s'entame est peut être la semaine de tous les dangers pour l'Union européenne. A l'instant où notre Conseil constitutionnel se préoccupe de tauromachie, la Cour constitutionnelle allemande rendra demain une décision extraordinairement importante pour l'avenir de la zone euro. A chacun ses distractions me direz-vous mais cet élément de contexte n'est pas neutre...

On peut imaginer que le président a souhaité rester prudent sur une dimension européenne susceptible d'être bouleversée s'il venait à l'esprit aux juges de Karlsruhe d'allumer un feu rouge au traité européen. Par ailleurs, des échéances électorales aux Pays-Bas accentuent l'insécurité de la scène européenne. D'où son choix de demeurer cantonné à la scène intérieure. Par "patriotisme" politique vraisemblablement !!!

Thomas Houdaille : Tout d’abord parce que Claire Chazal ne lui a posé aucune question sur l’Europe ! Plus sérieusement, l’Europe est un sujet compliqué qui divise la majorité présidentielle, encore traumatisée par le référendum de 2005. Et l’Europe actuelle n’est pas porteuse d’espoir pour une majorité de citoyens français, en particulier concernant l’emploi et les salaires, comme le montrent les derniers sondage d’opinion où l’on a vu apparaître une majorité pensant que cela n’était pas en transférant plus de pouvoir à l’Union européenne qu’on améliorerait les choses.

Le président a donc fait un discours « national », assez anachronique au XXI
e siècle, dans un monde globalisé où les toutes les solutions ne peuvent être nationales.

Gérard Bossuat : On peut en effet le regretter car le redressement de la France est conditionné à la fois par l’effort des Français et par la bonne santé de ses partenaires. Le président a, une seule fois, expliqué qu’il procédera en France comme il a conduit ses partenaires européens à procéder pour l’Union.

Il s’agit donc de retrouver l’équilibre des finances publiques (effort de 33 milliards d'euros) et de lutter contre le chômage, donc de relancer l’économie, ce qui semble contradictoire à certains. Il aurait été intéressant de présenter l’effort de relance européen de 120 milliards (juin 2012) pour donner un exemple de la méthode suivie qui n’est pas uniquement l’austérité et le redressement comptable des budgets des Etats. L’objectif de l’interview n’était pas d’expliquer l’Europe. Mais Hollande est suffisamment conscient de la relation directe entre situation économique française et situation de l’Union pour que l’on s’étonne de cette absence.

Le président a notamment soigneusement éludé la question du traité budgétaire européen qu’il avait promis de renégocier. Cela s'explique-t-il par le fait que la véritable politique de croissance en Europe qu’il appelait de ses vœux n'a pas été acquise (au moment où la France frôle la récession) ? 

Henri Labayle :Il n'y a que les gogos qui peuvent imaginer que la croissance se décrète, d'un coup de menton, tout comme il fallait être naïf pour croire aux promesses de renégociation. Non, ici, je pense plus simplement qu'avec beaucoup d'habileté, le président a voulu éviter de servir sur un plateau l'alibi européen à la gauche de sa gauche qui n'attendait que cela. Pour la droite de sa droite, c'est fait. La question de la ratification du traité européen ne va pas être un chemin pavé de roses et le président est un trop fin politique pour ne pas avoir conscience du piège.

Critiquer ce train de mesures obligera à critiquer François Hollande et non Angela Merkel. Cela étant, la subtilité a ses limites. Ne pas dire ou éluder les problèmes ne les fait pas disparaître pour autant, cette attitude constante de la droite et de la gauche à propos de la construction européenne a coûté très cher à celle-ci.

Thomas Houdaille : Le président est assez logiquement gêné par le sujet : après quelques mois d’agitation sur le thème de la croissance pendant la campagne, son gouvernement se bat actuellement pour la ratification du traité budgétaire initié par Nicolas Sarkozy ! Et comme une partie de sa majorité, certains écologistes et membres de l’aile gauche du PS considèrent que voter le traité c’est voter pour l’austérité, on comprend son embarras.

Le retour de la croissance en France comme en Europe ne se décrète pas et sa stratégie de campagne a fait long feu. Une stratégie de croissance crédible pour l’Europe (et donc pour la France) doit reposer sur des leviers ayant des résultats à court terme, notamment la politique monétaire de la BCE qui évolue dans le bon sens en ce moment, mais aussi sur des leviers ayant des résultats à moyen voire long terme comme les réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité. Mais il faut aussi une vision politique européenne commune, facteur indispensable de stabilité et de retour de la confiance au sein de la zone euro en particulier.

Gérard Bossuat : Leprésident estime avoir renégocié le traité budgétaire en ayant fait accepter un pacte de croissance de 120 milliards au niveau européen. Mais quel est son contenu ? Peut-il aider les citoyens à inscrire leur effort dans une perspective de solidarité européenne ? Il est difficile encore de dire si une politique européenne de croissance est réellement mise sur pied.

L’absence de référence à cette question montre que Hollande compte d’abord sur l’effort national. Il a d’ailleurs fait allusion à sa justification, l’indépendance par rapport aux marchés et aux conseilleurs. Une relance européenne soulevèrait beaucoup de questions : quelle politique commerciale vis-à-vis des pays pratiquant le dumping ? Peut-on imposer des règles à la mondialisation ? Etc.

Après en avoir appelé à une politique de relance, François Hollande souhaite économiser 36 milliards en un an (30 milliards + 6 milliards de hausses d'impôts déjà votés dans le collectif budgétaire/plan de finances rectificatif). Le président français souhaitait-il éviter de donner l'impression que les mesures d'austérité annoncées l'était en réalité sous la pression des partenaires européens ?

Henri Labayle :Oui. D'autant que s'il y avait eu une pression européenne en la matière, elle n'aurait pas abouti à ce résultat : sanctuariser la dépense publique (ou quasiment) pour privilégier l'impôt. Il aurait d'ailleurs été désastreux pour le chef de l'Etat d'apparaître comme agissant sous l'influence de ses partenaires et plus précisément du plus puissant d'entre eux, avec lequel la relation n'est pas nécessairement idyllique.

Par ailleurs et sur le fond, l'apparition du thème de la « compétitivité » dans l'agenda présidentiel va vraisemblablement obliger à un moment ou à un autre à abattre les cartes : la flexibilité du travail vantée en Europe aura du mal à convaincre certains des partenaires sociaux... Et les comparaisons flatteuses avec Schröder font sourire : se souvient-on de l'impact de ses mesures en matière d'indemnisation du chômage ou de protection de la santé, sans parler de la précarisation du marché du travail ? On se croirait revenu au débat télévisé de la présidentielle...

Thomas Houdaille : C’est une hypothèse optimiste ! Laissons lui le bénéfice du doute et espérons que c’est en effet le signe d’une volonté de ne pas ajouter de l'huile sur le feu de l’opinion des Français concernant l’Europe.

On sait ce qu’elle est (voir plus haut), et que l’un des enjeux de son mandat sera de la faire évoluer ce qui prendra du temps et du courage.

Gérard Bossuat : On ne peut pas nier les pressions de certains pays européens comme l’Allemagne ou la Finlande. Mais on ne peut pas oublier aussi que les Français ont pris conscience que trainer un déficit énorme nuisait à l’influence de la France en Europe et dans le monde. Un effort de stabilisation budgétaire puis de désendettement est recommandé, sans faire appel au soutien de ses partenaires.

Mais en parallèle et avec le même souci de réussir, une politique de relance de la croissance est indispensable. Une vraie politique pour l’emploi, au niveau européen, suppose que les comptes soient équilibrés, que les efforts soient justement répartis, ce qui sera le cas en France. La France pourra ensuite préparer le terrain pour une action vigoureuse d’expansion économique et de progrès social. L’austérité devra être compensée par des politiques industrielles et économiques hardies au niveau de l’Union, par l’instauration de nouveaux paradigmes de croissance. Elles manquent terriblement encore.

A l'heure où se pose la question de l'avenir de l'entreprise Peugeot, la question du protectionnisme européen qui avait été au cœur de la campagne n’a pas été évoquée non plus... Le président de la République a-t-il les moyens de convaincre ses partenaires (notamment sur la taxation aux importations comme le fait la Chine avec les produits étrangers) ?

Henri Labayle :Très franchement, je ne le pense pas. La France s'est engagée dans un processus très délicat de recentrage politique vers le Sud (en fait surtout vers l'Italie), sans qu'il ne soit démontré les avantages qu'elle en tirera sur le plan de son influence dans l'Union. Je ne suis pas certain que l'opinion publique française ait conscience du décalage de nos discours publics avec la majorité du continent européen et de notre isolement sur ces questions. 

Thomas Houdaille : Cela fait partie des sujets sur lesquels le président français a peu de moyens d’action, un sujet compliqué qui nécessite des négociations à plusieurs niveaux, dont à l’OMC, et qui peut facilement irriter certains de nos partenaires européens ayant une culture plus libre-échangiste ou simplement plus pragmatique. Les Etats européens sont des Etats marchands qui n'ont absolument pas intérêt à ce que le jeu commercial se ferme.

La réponse à cet enjeu repose davantage sur le développement de nouvelles filières industrielles compétitives. Cela dit,  le sujet dit de la « réciprocité » avance au niveau européen pour faire pression sur les pays tiers, comme la Chine, qui n’ouvrent pas ou très peu leurs marchés publics aux entreprises européennes. Et c’est bien entendu au niveau européen que doivent se poursuivre ces avancées.

Gérard Bossuat : L’ouverture d’une enquête de la Commission concernant le dumping supposé des fabricants chinois de cellules photovoltaïques, à la demande d’industriels allemands du secteur est une bonne nouvelle. Toutefois comment prouver le dumping ? Grâce à des questionnaires remplis par les Chinois ?

Les Américains ont pris des mesures de taxation des importations chinoises de panneaux solaires, tout en instruisant le dossier. Ils ont donc pris des mesures conservatoires classiques que la Commission n’a pas prises. Sur le fond de la question, il serait impossible de taxer les exportations  chinoises et de substituer unilatéralement aux règles de l’OMC dont la Chine fait partie. Les rétorsions ne manqueraient pas.

En revanche l’Union européenne n’a pas réfléchi assez aux conditions de la libéralisation des échanges, présentée comme un absolu par les théories libérales toujours en vogue au sein des institutions de l’Union alors que le tissu industriel français, italien espagnol, grec, belge, néerlandais, irlandais, britannique se déchire chaque jour provoquant des drames humains. L’urgence est de donner du travail aux Européens en distinguant ce qui relève de l’urgence absolue, le chômage, et de l’urgence à moyen terme, la ré-industrialisation de l’Europe et l’invention d’un nouveau mode de production, innovant, respectueux des équilibres humains, financiers et environnementaux.

En définitive, le président de la République souhaitait-il d'abord éviter d'aborder son bilan européen ? (pacte budgétaire de seulement 1% du PIB, 120 milliards dont 90 déjà prévus, la supervision des banques obtenues par l'Allemagne, Rajoy obtient l'aide aux banques espagnoles, la BCE qui décide unilatéralement de racheter la dette des Etats sur le marché secondaire...)

Henri Labayle :De bilan du président de la République, il n'y a pas encore et c'est parfaitement normal au bout de trois mois, dont deux d'été. Il y a des inflexions, la relation franco-allemande par exemple, et des silences, comme à propos de la relance de l'intégration évoquée par Angela Merkel. On peut les expliquer par des raisons de politique intérieure. On peut aussi ne pas aimer que l'avenir de notre continent soit abordé par le petit bout politicien de la lorgnette des courants du PS et du Front de gauche, mais la politique c'est ainsi.

En engageant son parti dans le débat référendaire de 2004, François Hollande avait une attitude responsable, d'homme d'Etat, que j'avais personnellement beaucoup appréciée. A-t-il été vacciné par l'échec ? On peut le craindre et en tous cas la conduite de sa diplomatie, confiée à Laurent Fabius le laisse à penser même si les convictions de Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici font contrepoids.  

Thomas Houdaille : Je crois qu’il est tout simplement trop tôt pour parler d’un bilan européen. Il a été très avisé de mettre le paquet sur la croissance pendant la campagne présidentielle, ce qui lui a donné une image plus constructive et protectrice que son prédécesseur et a sans doute permis de faire légèrement bouger les lignes. Il n’est pas complètement étranger non plus à l’accord entre la BCE et les Etats de l’Union pour faire baisser les taux d’intérêt sur les marchés, ce qui est salutaire.

Pour autant, le principal reste à faire, c’est-à-dire proposer à ses partenaires européens un projet à long terme pour l’Europe. Sur ce sujet de l’Europe politique, il est resté très timide, laissant la main à l’Allemagne où le débat sur le sujet est bien lancé. C’est l’un des enjeux majeurs des prochains mois, il ne faudrait pas qu’il l’oublie.

Gérard Bossuat : Ces questions européennes sont au cœur du redressement de la France. Le bilan européen du président n’est pas mauvais : pressions enfin satisfaites sur la BCE pour qu’elle achète de la dette souveraine avec des conditions dures, pacte de relance, d’un montant trop faible il est vrai ; maintien dans la zone euro des pays de difficultés : Grèce, Italie et Espagne ; espoir d’aller vers une Union bancaire européenne.

Hollande voulait dire aux Français qu’il était en guerre contre les déficits et le chômage. Il n’était pas là pour faire un exposé de politique européenne. Il n’était pas là pour commenter éventuellement les opinions exprimées en Europe sur la situation française. Il a parlé de solidarité nationale, pas de solidarité européenne, sans doute parce que les formes de la solidarité européenne ne sont pas très claires après les errements antérieurs et parce que la France doit se relever dans un effort national que l’Union ne peut pas faire à sa place. Tout ne se décide pas à Bruxelles.

Propos recueillis par Franck Michel et Jean-Benoît Raynaud

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