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Pas de jugement moral, pas d'efficacité de la nouvelle psychologie ?
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En thérapie

Certains patients ont besoin de s’entendre dire des vérités, y compris lorsqu’elles sont délicates ou blessantes.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : À quel point la définition des valeurs est-elle importante lors d’une thérapie ? Qu’est ce que cela peut permettre de délimiter lorsque l’on entame une thérapie avec un patient ?

Pascal Neveu : Je pense que dans un premier temps il faut peut-être distinguer valeur et morale.

En philosophie, une valeur morale est un critère de choix qui guide le jugement moral des individus et des sociétés. Les valeurs morales forment un corps de doctrines, qui prennent la forme d'obligations qui s’imposent à la conscience comme un Idéal.. C’est Idéal est une forme de quête réclamée au nom de l’amour de ses parents qui nous demandent à ce titre des comportements et actes les plus exemplaires possible.

Certains pourraient préférer le terme d’éthique afin de prendre un certain recul face aux valeurs morales déjà décrites dès l’antiquité.

Il est question d’estime de soi, d’amour de l’autre, de mérite, de qualités que nous pouvons montrer à l’autre… afin de rester digne, de ne pas être jugé comme un barbare…

Cette notion est donc très subjective en fonction de son socle éducatif et environnemental afin de rester inscrit dans la société : amour, bienveillance, discipline, bonté, honnêteté, fidélité, loyauté, paix, solidarité, tolérance…

Platon évoque que ces valeurs permettent de conserver des idées pures, Spinoza écrit qu’on ne désire pas une chose parce qu’elle est bonne, mais qu’elle est bonne parce que nous la désirons. Les valeurs seraient donc le simple reflet de nos désirs collectifs.

Les valeurs resteraient donc avant tout un liant social.

Et pour certains les valeurs permettent d’atteindre la fameuse vertu.

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Le patient doit tout pouvoir nous raconter. C’est parfois après quelque séances qu’ils nous disent « avouer » un comportement, se sentant enfin en confiance : pratiques sexuelles, alcoolisme, addictions… finalement les sujets qui sont les plus jugés et condamnés par la société… avec ce sentiment de honte qui les bloquent.

Personnellement dès la première rencontre, fixant le cadre, je précise que tout peut être entendu et sans moindre jugement. Et j’écoute que tout l’intérêt, même si on me ment, je peux le comprendre et que sera un acte important vers la « guérison » d’un soi-même honteux, ne sachant sortir d’une impasse.

L’analyste lors d’une thérapie doit-il suspendre son jugement pour adapter les valeurs à celle de son patient afin de le faire sentir en confiance ? Y a-t-il de bonnes ou de mauvaises valeurs ?

Le thérapeute cliniquement et déontologiquement se doit de rester dans une totale neutralité bienveillante. Aucun jugement n’est accepté, même si certains se l’autorisent, le patient ne revenant pas en séance ou se pliant à des paroles parfois humiliantes. J’ai reçu des patients me disant « Vous, vous me comprenez ! J’avais l’impression d’avoir mes parents me faisant la morale… ».

Le thérapeute n’est qu’un miroir de l’analysant, il ne doit rien renvoyer de ses pensées, de sa morale, de son vécu, de son éducation.

Car la confiance est cruciale. Chaque individu est singulier, avec son parcours de vie, ses souffrances, ses traumatismes, ses questionnements… Nous ne sommes qu’une sorte de guide qui permet de faire émerger l’identité de celle ou celui que nous avons en face de nous.

D’ailleurs, même si Freud à travers la psychanalyse a institutionnalisé une thérapie où le psy est « caché », placé derrière le divan, même s’il le pratiquait parce qu’il ne s’aimait pas physiquement, souffrait de son cancer de la mâchoire, c’est aussi parce que l’analysant ne peut pas imaginer à travers une expression non verbale (position du corps, mimique du visage, sourcils, lèvres…) ce que pense son thérapeute.

D’ailleurs un patient a décrit, à travers un article, ses expériences en hôpital psychiatrique et a raconté cette notion de valeurs qu’un thérapeute a présenté un jour lors d’une thérapie de groupe.

Comment nommer et qualifier ses propres valeurs ? C’était ce qui était demandé.

Cette séance leur a permis d’évoluer, de se rencentrer sur ce qu’ils sont.

Car en fonction de sa psychopathologie, un dépression, un maniaco-dépressif, une personne victime de viol va pouvoir récupérer les valeurs sociales mais aussi les siennes.

Autant la psychanalyse que les thérapies comportementales mais aussi de groupe aident ce parcours d’un essentiel imposé par la société.

Quelle est la place des notions de bien et de mal dans la thérapie ? A-t-elle évolué ?  

Question intéressante.

On a souvent reproché aux psys d’avoir remplacé les curés… quand on allait à confesse.

La grosse différence est que nous ne sommes pas là pour sermonner ni octroyer la miséricorde.

Chaque individu porte en lui sa propre notion de bien et de mal, même si nous nous devons d’effectuer un signalement dans le cas d’un délit criminel et notamment sur le plan sexuel et pédocriminel.

Mais depuis Michel Foucault et d’autres philosophes ou psy, nous savons qu’il n’est pas possible de définir totalement le normal et le pathologique.

Il faut relire « l’éloge de la folie » par exemple. Le champ de la folie concerne 2-3% de la population, dont 2% de personnes très dangereuses placées dans des centres très sécurisés.

C’est par exemple l’énorme débat judiciaire concernant l’abolition et l’altération du discernement… quand on reproche aux experts et aux magistrats de ne pas juger aux assises une personne ayant commis un crime abominable. Faut-il avoir en face de soi un patient capable de discerner le bien et le mal et mieux comprendre la déconnexion face à la réalité.

Or, dans la structuration psychique les valeurs morales (qu’on nomme le Surmoi) n’apparaissent que vers 5 ans lors de la période oedipienne. Freud déjà décrivait auparavant que l’enfant en bas âge est un pervers polymorphe capable de jouir à travers toutes ses pulsions qu’il veut assouvir.

L’autorité parentale, culturelle, éducative, religieuse font que nous aurons une notion du bien et du mal totalement différente d’un individu à l’autre… même si la rencontre avec l’autre peut faire varier ce socle qui varie de la haute morale à la transgression absolue, allant de la délinquance au crime mais aussi pour certains l’ascèse d’une vie.

N’oublions pas dans la culture chrétienne le jugement dernier et le poids de nos péchés !

Je le répète, un psy doit rester sans jugement, même s’il reste un être humain, mais ne devant pas laisser exprimer ses émotions.

La découverte et l’actualisation de ses valeurs permet-elle de se guérir de certaines névroses ? Le travail du thérapeute est-il d’aider le patient à trouver des valeurs qui lui seraient bénéfiques ?

 Nous sommes majoritairement tous névrosés.

Notre Moi (notre personnalité) est compressée entre un Cà (notre inconscient pulsionnel si je puis le résumer ainsi, qui préexiste dès notre naissance) et notre Surmoi (les valeurs morales).

Ces notions (ce qu’on appelle la 2ème topique freudienne) est incontestée.

Le névrosé vit avec ce conflit.

Le travail du thérapeute, en dehors travailler sur des cas plus traumatiques, est justement de desserrer l’étau qui comprime ce Moi

 A travers ce qui est dit, élaboré et abréagi en séance, le patient s’approprie les valeurs fondamentales, sociétales, avec des degrés variables qui font la richesse de nos différences.

 Le bénéfice reste que notre patient sente un soulagement et ne vive plus des tourments différents en fonction de sa problématique.

 Ne jamais juger son patient, ne jamais juger qui que ce soit.

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