Parcoursup : un système d’orientation non sélectif est-il possible ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les élèves de terminale doivent valider leur choix cette semaine sur la plateforme Parcoursup pour valider leurs vœux d’orientation post-bac.
Les élèves de terminale doivent valider leur choix cette semaine sur la plateforme Parcoursup pour valider leurs vœux d’orientation post-bac.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Avenir des élèves

Alors que les lycéens de terminale doivent finaliser leurs choix d’orientation, Parcoursup concentre les critiques et angoisses de nombreuses familles. Pour autant, un système non sélectif est-il souhaitable ?

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

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Sébastien Gavois

Sébastien Gavois

Sébastien Gavois est rédacteur en chef de Next.ink (anciennement Next INpact), un site d'actualité traitant du numérique et des nouvelles technologies.

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David Monniaux

David Monniaux

David Monniaux est chercheur en informatique et directeur de recherche au CNRS. Il travaille à VERIMAG, une unité mixte de recherche du CNRS et de l'Université de Grenoble.

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Atlantico : L’algorithme de Parcoursup repose sur les théories de l'algorithme de Gale-Shapley. Constitué d’une quinzaine de lignes de codes, ce mécanisme permet de recueillir et de gérer les vœux d’affectation des lycéens en fonction de leurs envies. Quelles sont les spécificités de l’algorithme de Parcoursup ? Pourquoi certains pensent que l’algorithme serait biaisé alors qu’il ne s’agit que d’un simple outil ? Comment permet-il de procéder à la sélection et aux choix en fonction des attentes des lycéens ?

Sébastien Gavois : Il n’est pas facile de plonger avec précision dans les méandres de Parcoursup, car le fonctionnement de la procédure n’est pas totalement publié (loin de là), on ne sait donc pas exactement comment il fonctionne. Il est en effet recouvert d’une épaisse chape de plomb. Pourtant, les politiques n’ont de cesse depuis six ans de promettre régulièrement la publication des algorithmes, à commencer par Emmanuel Macron dès mars 2018. Ministres et porte-paroles ont ensuite enchainé les mêmes promesses durant plusieurs années, sans jamais les concrétiser.

Certes une portion de code a été mise en ligne en dès 2018, mais de l’aveu même de la Cour des compotes, cela « représente au plus 1 % du nombre de lignes de code et moins de 2 % des fichiers ». Dernière excuse en date : « la publication en ligne du code source complet de l’application Parcoursup en laisserait apparaître les vulnérabilités et serait, ainsi, susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information de l’administration ». De la sécurité par l’obscurité, que l’on ne peut que regretter, surtout étant donné les enjeux pour l’avenir des lycéens.

Dans la partie du code publiée, on retrouve une implémentation de la procédure de Gale et Shapley pour l’appariement entre les formations et les candidats. Elle était déjà utilisée pour APB ou Admission Post-Bac, le prédécesseur de Parcoursup. Cette procédure permet d’obtenir à coup sûr une solution stable. Stable dans le sens équitable : un étudiant ne devrait pas avoir l’impression d’avoir été laissé pour compte par rapport à d’autres. S’il est correctement implémenté, cet algorithme fait son travail. Sur ce point, il n’y a pas de problème particulier, même si l’ouverture du code permettrait de vérifier la bonne implémentation.

Pour comprendre le fonctionnement de Parcoursup, faisons un petit détour par celui d’APB. L’algorithme pouvait utiliser des critères comme l’académie d’origine, le classement des vœux et un dernier qui a fait couler beaucoup d’encre : le tirage au sort pour départager des candidats trop nombreux dans des formations avec un nombre de places limitées.

Cela ne passait pas pour le grand public. Pas plus chez la CNIL qui s’était penchée sur la question et avait mis en demeure le ministère de l’Enseignement supérieur de « cesser de prendre des décisions concernant des personnes sur le seul fondement d’un algorithme et de faire preuve de plus de transparence ». C’était la fin d’APB et le début de Parcoursup, qui reprend donc une bonne partie du fonctionnement d’APB.

Parcoursup introduit néanmoins deux notions importantes, en plus de ne pas recourir au tirage au sort évidemment. Les formations peuvent classer les candidats sur des critères scolaires et les étudiants ne classent plus leurs vœux par ordre de préférence. La procédure reste ensuite celle de Gale-Shapley, qui permet d’obtenir la solution la plus équitable.

Mais là où APB donnait les résultats en une fois, Parcoursup oblige à des allers-retours entre les formations qui donnent leur réponse – positif, négatif, sur liste d’attente – et les lycéens qui valident ou non les propositions. Une fois qu’un tour est terminé, des places sont prises et d’autres se libèrent. On relance la machine avec les étudiants et les places restantes, et ainsi de suite.

Parcoursup prend ainsi des semaines. Les premiers résultats des vœux arriveront fin mai et les étudiants devront alors y répondre en respectant des délais, avant qu’un nouveau tour ne se lance et ainsi de suite. La procédure occupe et inquiète tellement certains étudiants que la plateforme fermera ses portes entre les 16 et 23 juin « pour permettre aux lycéens de se concentrer sur les épreuves du baccalauréat ».

La phase d’admission principale se terminera le 12 juillet, la phase secondaire le 12 septembre, soit trois mois et demi après les premiers résultats. La situation est donc stressante pendant des semaines ou des mois pour les enfants et leurs parents. Il y a d’ailleurs fort à parier que certains finiront par craquer et accepter une formation pour « en finir » avec Parcoursup.

Comme l’explique le mathématicien et vulgarisateur David Louapre (de la chaine YouTube Science étonnante), avec la procédure de Parcoursup, « les formations proposent, et les élèves disposent » Or, avec l’algorithme de Gale-Shapley, « la procédure converge vers la meilleure solution possible pour ceux qui proposent, donc ici les formations ». « Bref, on favorise les formations au détriment des élèves », explique-t-il en guise de conclusion. Mais « ce n’est peut-être pas si grave car, en pratique, il n’y a pas tant de différence que ça ».

Le problème de Parcoursup vient donc principalement du manque de transparence sur les critères utilisés par les formations pour trier les élèves. Certains ont donc parfois l’impression d’un résultat biaisé : ils peuvent être refusés dans une formation, tandis qu’un camarade a été accepté alors qu’il semblait « moins bon » en classe, que ces moyennes étaient plus basses, son engagement moins important… Ce ne sont pas les critères qui manquent. Mais sans connaitre l’importante et le poids de chacun d’entre eux, c’est impossible de dire ce qu’il en est vraiment.

Étudiants, parents, professeurs et presse ne sont pas les seuls à s’en inquiéter. Dans un rapport d’information, le Sénat himself liste trois principaux « obstacles » à la bonne acceptation de la procédure Parcoursup : « les lacunes et l’hétérogénéité de l’information délivrée », « la longueur de la procédure » et « le caractère encore trop opaque des modalités de classement ». Ce n’est pas l’algorithme en lui-même, mais tout ce qui l’entoure

Les formations ont souvent des pratiques différentes avec l’emploi ou non d’une formule mathématique pour établir un pré-classement, la prise en compte ou non du lycée d’origine, etc. Et elles ne sont pas expliquées aux principaux concernés qui naviguent donc à vue. C’est un peu comme jouer à un jeu sans connaitre toutes les règles.

« Dans le débat public, c’est en effet une anxiété croissante et un sentiment de manque de clarté, de rapidité, d’équité et de transparence qui prédominent », affirme à juste titre le rapport du Sénat. Ouvrir le code ne permettra pas de résoudre tous les problèmes ni de dissiper toutes les inquiétudes, mais ce serait déjà un pas dans le bon sens. Il faudrait ensuite que les petites tambouilles internes de toutes les formations soient connues. 

Jean-Paul Brighelli : L’algorithme de Gale-Shapley — qui à l’origine est pensé pour combiner des mariages stables, rien à voir avec l’enseignement supérieur — est utilisé pour évaluer les chances de stabilité entre ces deux « partenaires » que sont le futur étudiant et la formation qu’il demande. Mais ce n’est pas le seul algorithme utilisé : nombre de formations supérieures ont développé leur propre algorithme, visant à redonner une chance aux élèves qui n’ont pas été pris d’abord ou qui ont été mis sur liste d’attente, en fonction des refus de propositions d’admission des élèves qui, eux, ont été pris dans plusieurs formations.

Ce qui a engendré diverses rumeurs-, c’est le fait que l’encombrement est parfois considérable et nécessite un assez long temps pour se résoudre — comme un embouteillage met du temps s’écouler. C’est au fond une mécanique ds fluides. Evidemment, on s’énerve toujours, coincé longtemps dans un embouteillage…

Et cela n’existait pas il y a cinquante ans, parce que le nombre de bacheliers était 5 à 6 fois inférieur à celui qui résulte aujourd’hui de la « massification » des années 1980. Les élèves étaient orientés pour la plupart bien avant le Bac.

David Monniaux : Le processus ParcourSup est basé sur une idée très simple : des formations (licence, classe préparatoire, IUT…) classent des candidatures, selon des critères qui leur appartiennent. Ces candidatures sont appelées par ordre de ce classement. Si un(e) candidat(e) reçoit une proposition meilleure (selon ses critères) que celles précédemment reçues, il ou elle se désiste de celles-ci, ce qui libère des places pour d'autres.

Sur cette idée de base, deux variantes. La première consiste à demander aux candidat(e)s une liste ordonnée de leurs préférences, ce qui permet de répondre automatiquement aux appels ci-dessus et lancer automatiquement les désistements. On obtient alors l'algorithme de Gale & Shapley (1962), dit aussi des « mariages stables », car l'exemple pédagogique utilisé dans leur article était celui d'une agence matrimoniale fictive. L'introduction de l'article de Gale & Shapley mentionnait cependant que leur objectif réel était la gestion des admissions dans les universités. On peut aussi bien dire que ParcourSup est une variante de Gale & Shapley où les préférences des candidat(e)s sont interrogées en les mettant dans la boucle, ce qui d'ailleurs est la raison de la lenteur du processus.

La variante utilisée dans ParcourSup diverge de l'idée très simple ci-dessus sur deux points. Les ordres d'appel fournis par les formations sont modifiés afin de garantir des quotas minima de candidatures locales et de boursier(e)s, quotas fixés par les recteurs de régions académiques. Il y a par ailleurs un système tenant compte des limites de places disponibles en internat pour les formations en disposant (classes préparatoires en lycées).

Les critères de classement par les formations, que l'on nomme parfois assez pompeusement, voire improprement, « algorithmes locaux », sont au choix de celles-ci. Il peut s'agir d'une moyenne pondérée des notes de lycées dans les disciplines jugées pertinentes pour la formation. Les courriers de motivation peuvent être pris en compte, mais il faut souligner que, vu la masse de dossiers reçus, il n'y a tout simplement pas en général le personnel nécessaire à les lire tous. À noter que même si chaque formation est libre de fixer ses critères, un processus informatique national peut leur envoyer des messages d'avertissement si leurs classements divergent trop de ceux des formations similaires, ceci afin de limiter les erreurs humaines et techniques.

La question du caractère « algorithmique » de ParcourSup détourne commodément l'attention du fait que l'enseignement supérieur public est actuellement bien délabré et que ParcourSup, pour partie, gère la pénurie. Le gel des rémunérations (le fameux « point d'indice ») et des conditions de travail dégradées obèrent les recrutements d'enseignants, certes pas encore au point de l'enseignement secondaire. Les enseignants-chercheurs sont accablés de tâches administratives et d'heures complémentaires d'enseignement. Les réformes kafkaïennes qui se sont succédé n'ont pas amélioré la situation, bien au contraire. Le problème politique est finalement assez simple : un enseignement de masse, de qualité et adossé à une recherche visible internationalement, a un prix. Somme-nous prêts à le payer collectivement ?

Les élèves de terminale avaient jusqu'à mercredi soir minuit pour finaliser leurs dossiers sur Parcoursup et confirmer leurs différents vœux. Après des pannes informatiques mercredi, l’heure limite de validation des vœux a été reportée à jeudi 22 heures. Pourquoi un système non-sélectif, qui irait à l'encontre de Parcoursup, n'est pas souhaitable dans le cadre de la sélection pour les universités ?

Jean-Paul Brighelli : Votre question pose et résout le problème : s’il y a une sélection par les universités, il faut bien un instrument ou une méthode de sélection.

Quant à savoir si Parcoursup est le meilleur instrument… Tout tient à la volonté, en amont, de pousser le plus grand nombre d’élèves du second cycle vers le haut, au mépris d leurs capacités réelles. On se retrouve au Bac avec une masse énorme de futurs étudiants dépourvus de savoirs et de méthodes — et même d’envie de travailler, toutes notions non apprises durant les quinze années précédentes. 

Ce que Parcoursup évalue, ce sont les moins nuls de ceux qui arrivent au Bac — dans quel état… 

Pourquoi est-il vain de chercher un système sans sélection dans le cadre des études supérieures et pour l'accès aux universités ? L’exigence des études supérieures ne nécessite-t-elle pas un modèle solide basé sur le dispositif sans biais de Parcoursup ?

Jean-Paul Brighelli :Imaginons qu’on laisse tous les bacheliers entrer dans les filières qu’ils convoitent. On aurait des goulets d’étranglement dans certaines matières qui paraissent chatoyantes à de pauvres mômes qui n’y connaissent rien — Socio ou Psycho, par exemple. Voire STAPS, alors qu’on serait très loin des niveaux physiques requis : on aurait une collection invraisemblable de bras cassés et de bedonnants amateurs de foot. Et une désaffection des filières les plus complexes — Maths ou Physique. Il est bon que chaque filière sélectionne — je trouve même qu’on sélectionne très peu, et très mal. Faute souvent d’implication des enseignants du Supérieur (à ce titre, la sélection en classes prépas est un modèle qui devrait être généralisé). 

Autre solution plus équitable, un concours d’entrée à l’Université. La Chine admet dans le Supérieur à peine plus de 50% des étudiants qui ont passé le Gaokao, faussement présenté comme l’équivalent du Bac, mais qui est en fait un examen d’entrée dans le Supérieur. Ça leur paraît suffisant — et en tout cas, réaliste. Je suis depuis longtemps partisan de transformer le Bac en Certificat de fin d’études, donné à tout ceux qui ont achevé la Terminale, et d’organiser un vrai concours d’accès au Supérieur, qui évitera les ratages de Parcoursup — qui sont réels — et les déceptions des uns et des autres, qui ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas pris dans telle spécialité avec une excellente moyenne au Bac.

La sélection n’existait-elle pas avant Parcoursup ? Le fait qu’une classe préparatoire favorise ses élèves de terminale n’a-t-il pas aucun rapport avec l’algorithme de Parcoursup ? La discrimination par le lycée d’origine n’existait-elle pas déjà avec le système APB ? Et les prépas publiques très sélectives ne retiennent-elles pas aussi un quota d’élèves internes en émettant des avis favorables ?

Jean-Paul Brighelli : Dans les CPGE, qui sont élitistes par définition, on a toujours sélectionné sur dossier en fonction de divers paramètres — dont le lycée d’origine. Un 18 obtenu dans un lycée-poubelle ne vaut pas un 14 obtenu dans un « bon » lycée. Aucune surprise si aucun des élèves de ZEP (ou équivalent) n’entre dans des sections élitistes — CPGE, IUT, voire BTS. Et c’est normal : ils ne suivraient pas.

Les « bons » établissements favorisent donc leurs propres élèves, puisqu’ils savent que les notes obtenues étaient méritées. Aucun scandale là-dedans.

Et ces « bons » établissements (privés ou public, aucune différence) sont connus — ils forment un réseau entre eux. Ils se co-optent.

Sur le plan idéologique, n’est-il pas absurde d’imaginer qu’il puisse y avoir une société sans sélection au regard du fait que la sélection prédomine toujours au sein de l’Education nationale et pour accéder aux études supérieures ?

Jean-Paul Brighelli : Un discours pédagogico-démagogue insinue que tous les élèves sont égaux, donc également méritants (il insinue aussi que tous les enseignants se valent…). Bien sûr c’est une supercherie idéologique.

Il est frappant de constater que la sélection que tout le monde accepte en sport est contestée dans l’ordre de l’intellect. Mais de la même façon que certains sont plus musclés ou plus véloces que d’autres, certains sont plus aptes aux études supérieures que d’autres.

Le problème est que l’on fait croire pendant 15 ans aux élèves qu’ils sont tous égaux. Le choc du Supérieur est d’autant plus rude : on y est sélectionné en fonction de la vérité des prix (et ceux qui sont sélectionnés dans des sections élitistes ont un autre choc nerveux, lorsqu’ils passent de 18 de moyenne à 5).

Plus on retarde la sélection, plus le choc du réel est terrible — parce que la vie professionnelle fonctionne sur des critères darwiniens. À vouloir faire croire à tous les étudiants qu’ils sont égaux, on fabrique de terribles frustrations, des jalousies profondes. Les classements qui intervenaient autrefois tous les trimestres pendant 15 ans habituaient les élèves à l’idée d’une hiérarchie des capacités. Ce n’est plus le cas. Parcoursup tente de faire intervenir des critères qualitatifs dans un système qui de la Maternelle à l’Université est quantitatif. Mais le vrai mérite est une qualité, pas une quantité.

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