Paradoxe économique : quand l'innovation détruit les emplois sans en recréer<!-- --> | Atlantico.fr
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Le système d'innovation que nous connaissons arrive à bout de souffle selon Clayton Christensen, spécialiste mondial de l'innovation.
Le système d'innovation que nous connaissons arrive à bout de souffle selon Clayton Christensen, spécialiste mondial de l'innovation.
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Faux semblant

Le système d'innovation que nous connaissons arrive à bout de souffle. Voici les solutions imaginées par l'économiste américain Clayton Christensen pour nous sortir de cette spirale négative.

Dans un éditorial publié sur le site Internet du New York Times le 3 novembre dernier, Clayton Christensen, spécialiste mondial de l’innovation et professeur à Harvard, explique pourquoi le système d’innovation américain ne marche plus et contribue au ralentissement de l'économie.

L'auteur du "Dilemme de l'innovateur" (Harper, 1997) distingue trois types différents d'innovation qui guident l'économie et les choix des entrepreneurs :

  • Les innovations transformationnelles (empowering innovations), qui transforment des produits compliqués, coûteux et accessibles à peu de gens en produits simples, abordables et disponibles au plus grand nombre (comme le modèle T de Ford ou le poste radio de Sony). Les innovations transformationnelles créent de l'emploi car elles nécessitent de plus en plus de personnes pour assembler, distribuer et vendre ces produits.

  • Les innovations de continuité (sustaining innovations), dans lesquelles des produits vieillissants sont remplacés par de nouveaux modèles (comme la Prius hybride de Toyota qui remplace le vieux modèle Camry). Ce type d'innovation crée peu d'emplois et possède un effet plutôt neutre sur l'activité économique.
  • Les innovations d’efficience (efficiency innovations), qui réduisent le coût de la production et de la distribution des produits et services existants (les "minimills" dans la production d'acier et les assurances en ligne Geico).

Traditionnellement, les industries ont toujours alterné entre ces trois différents types d'innovation. Les innovations transformationnelles (ou révolutionnaires) sont essentielles pour la croissance car elles créent une nouvelle forme de consommation. Tant que les innovations transformationnelles créent plus d'emplois que n'en détruisent les innovations de continuité, et tant que le capital que les innovations d’efficience libèrent est réinvesti dans les innovations transformationnelles, nous évitons la récession.

Pour Clayton Christensen, le problème de l'économie américaine réside dans le fait qu’au lieu de passer successivement par ces trois phases, les entreprises restent bloquées sur les innovations d’efficience. Si ces dernières libèrent des capitaux, il n’y a cependant pas suffisamment d’énergie et de ressources réservées aux innovations transformationnelles, qui ont la capacité de générer de nouvelles richesses et opportunités sur les segments mal desservis ou non desservis des marchés.

Les responsables et dirigeants d’entreprise sont trop focalisés sur la quête d’efficience et d’économies, et passent à côté de formidables opportunités d’accroître leurs richesses en créant de nouveaux marchés.

Les conséquences de ce phénomène se ressentent dans la faible croissance économique. "Les innovations d’efficience poussent souvent les travailleurs dotés de compétences devenues obsolètes à grossir les rangs des chômeurs", précise le professeur de management. "Les innovations transformationnelles, quant à elles, changent souvent la nature des emplois, créant des postes qui ne peuvent pas être pourvus", ajoute-t-il.

Clayton Christensen désigne deux responsables : les dirigeants qui décident des politiques fiscales et monétaires et le système éducatif qui privilégie l’innovation d’efficience à l’innovation transformationnelle.

Il énonce trois moyens de développer davantage l’innovation transformationnelle au profit des deux autres :

Changement des systèmes de mesures : nous pouvons utiliser notre capital maintenant car il est important et peu coûteux. Mais nous ne pouvons plus gaspiller l'éducation en la dirigeant vers des secteurs qui offrent que très peu d'emplois. "L’optimisation du rendement du capital générera moins de croissance que l’optimisation du rendement de l’éducation", précise le professeur.

Changement des taux d’imposition sur les gains du capital : plus un investissement est maintenu longtemps, plus le taux devrait être réduit, afin d’encourager l’investissement à long terme et de casser la spirale court-termiste qui menace l'emploi et la croissance.

Changement de politique : plutôt que de taxer les riches plus durement, nous devons leur offrir des bonnes raisons de réaliser des investissements à long terme et ainsi créer de la croissance.

Atlantico a interrogé Frédéric Fréryprofesseur à ESCP Europe et membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Atlantico : Quel œil portez-vous sur ces différentes classifications d'innovation et sur les exemples donnés par Clayton Christensen ?

Frédéric Fréry : Jusque là, Christensen n’employait pas l'expression "empowering innovation" : il parlait de "disruptive innovation" (qu’on pourrait traduire par "innovation perturbatrice" mais apparemment cela désigne la même chose). Il a juste décidé d’adopter une dénomination plus positive.

"Empowering innovation" met l’accent sur le fait que ces innovations mettent des produits historiquement trop coûteux à la disposition de la masse des consommateurs, ce qui accroît leur pouvoir (d’achat) : le PC par rapport aux gros ordinateurs, l’imprimante à jet d’encre par rapport à l’imprimante laser, la DaciaLogan par rapport à une VW Golf etc.

La traduction "innovation transformationnelle" n’est qu’en partie satisfaisante, car ce côté "Power to the People" ne transparaît pas. Je propose plutot le terme "Innovation révolutionnaire".

Je trouve l'exemple de la Prius assez mauvais. La Prius n’a pas remplacé la Camry. Mieux vaut parler de la nouvelle BMW série 3 (ou Mercedes Classe C, ou Audi A4) par rapport à la précédente. Là c’est du "sustaining" : amélioration continue sans rupture.

Que dire de cette affirmation de l'auteur "Tant que les innovations transformationnelles créent plus d'emplois que n'en détruisent les innovations de continuité, et tant que le capital que les innovations d’efficience libèrent est réinvesti dans les innovations transformationnelles, nous évitons la récession" ?

Il y a ici un glissement gênant : créer peu d’emplois, ce n’est pas en détruire. Logiquement, ce sont plutôt les innovations d’efficience qui détruisent des emplois (en cherchant à réduire les coûts).

Que dire des solutions apportées par Clayton Christensen ?

Je suis d’accord sur la première solution, mais j’ai plus de doute sur les deux autres. Si je ne peux que saluer la recommandation de privilégier l’investissement éducatif par rapport à l’investissement financier, le lien entre les trois types d’innovation et la politique fiscale favorisant les investissements à long terme est peu convaincant à mon goût.

Certaines innovations révolutionnaires ont des effets rapides et à l’inverse certaines innovations d’efficience prennent du temps avant de porter leurs fruits. Ce qui distingue l’innovation révolutionnaire de l’innovation d’efficience, ce n’est pas la durée, c’est l’ambition : la redéfinition de l’offre de référence sur le marché. Or, la fiscalité ne peut pas mesurer – ni influencer – cette ambition.

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