Pandora Papers : 6 arguments pour comprendre (qu’on vous en raconte souvent n’importe quoi) <!-- --> | Atlantico.fr
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Cette illustration montre le logo des Pandora Papers, projeté sur un écran à Lavau-sur-Loire, dans l'ouest de la France, le 4 octobre 2021.
Cette illustration montre le logo des Pandora Papers, projeté sur un écran à Lavau-sur-Loire, dans l'ouest de la France, le 4 octobre 2021.
©LOIC VENANCE / AFP

Scandale financier

A travers la vaste enquête des "Pandora Papers", des liens ont été établis entre des actifs offshore et 336 dirigeants et responsables politiques de premier plan. Publiée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), cette enquête s’appuie sur 11,9 millions de documents provenant de 14 sociétés de services financiers.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Chapitre 0 : des "révélations" à nuancer

Don Diego de la Vega : Premièrement, il n’y a rien de surprenant dans l’enquête. Deuxièmement, ça ne touche que des personnes qui n’ont pratiquement aucun pouvoir. Le vrai pouvoir ce n’est pas Shakira, Tony Blair, ou un joueur du PSG, c’est la FED, la BCE, quelques politiques de grands pays. Cela peut émouvoir le landernau médiatique, mais ce ne sont pas des révélations chocs. Le fait que des membres haut placés de la FED aient fait du trading pour leur compte personnel est une révélation plus importante et cela se place plus haut dans la gradation des conflits d’intérêts.

Chapitre 1 : des ordres de grandeur à considérer

Jean-Philippe Delsol : Les estimations varient avec des chiffres plus ou moins élevés. On peut retenir tout d’abord le chiffre de 7900 milliards d’euros, mais il n’est pas clair. Dans les comptes « épinglés », il y a des montants très différents et de nature très différentes.

Don Diego de la Vega : Il n’y a aucun lien entre les Pandora Papers et les 11 trillions de dollars de placement offshore que relève l’OCDE au total (dans son dernier rapport de 2020) que l’on mentionne parfois dans les articles. Pour les Pandora Papers, il n’y a aucun chiffre en face des dossiers. Et on ne sait pas d’où viennent les capitaux évoqués. Il est probable que cela soit du menu fretin mais il est impressionnant pour le public car ce sont des noms connus, donc des puissants pour le lecteur moyen. Je suspecte fort que les vrais puissants dans ces systèmes soient dans une situation d’impunité totale. Par ailleurs, l’économie américaine tourne à 20 trillions par an, s’il y avait plus que quelques trillions de véritable fraude fiscale, il y aurait un problème de recettes pour les Etats. Or, ce n’est pas du tout le cas. Ces cas ne sont statistiquement pas représentatifs.

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Chapitre 2 : une indignation sélective

Jean-Philippe Delsol : On reproche à M. Blair d’avoir économisé 380 000 euros car il aurait acheté les parts d’une société localisée dans un territoire « opaque » qui détenait un bien immobilier au lieu d’acheter directement le bien immobilier lui-même. Cela n’est pas interdit en Angleterre alors pourquoi lui reprocher d’avoir acheter les parts d’une société, ce que l’on fait couramment. 10 à 15 % des personnes qui achètent de l’immobilier en France ne l’achète pas en direct, mais via une société. Il faut être attentif car ces papiers faits par des journalistes peuvent être excessifs. Ils pointent du doigt des schémas, des opérations qui n’ont rien de contestables en soit.

Les lois de chaque pays doivent être respectées. Tout ce que l’on a fait en matière de lutte contre les comptes opaques permet de dire aujourd’hui quel est le bénéficiaire ultime d’un compte en banque. Chaque banque ayant l’obligation de connaître le bénéficiaire ultime du compte, il est de plus en plus difficile de cacher de l’argent à l’étranger, mais il y aura toujours des fraudeurs hélas. Il y a toujours des personnes malfaisantes sur Terre qui trouveront des prêtes noms ou autre.

Les journalistes ont besoin de vendre leurs papiers avec des scandales alors quand le Roi de Jordanie achète ses propriétés au travers de sociétés occultes c’est une occasion. Mais il serait plus intéressant que les enquêteurs se focalisent sur les affaires de personnalités qui nous sont proches. On sait par exemple qu’Emmanuel Macron a prêté de l’argent à sa femme avant sa déclaration de patrimoine… Ici on pointe l’économie légale qu’a fait M. Blair…

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Don Diego de la Vega : « Tu tues une baleine, t'auras les écolos, t'auras Greenpeace, t'auras le commandant Cousteau sur le dos ! Mais décime un banc de sardines, j'aime autant te dire qu'on t'aidera à les mettre en boîte ! » dit Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous. C’est de l’indignation sélective, doublement sélective même car les gens ne vont pas considérer Shakira ou Tony Blair pour les sardines qu’ils sont pourtant à l’échelle internationale. La réalité de l’affaire à l’échelle mondiale, ce sont les entreprises. Et le vrai sujet, ce sont les prix de transferts. C’est l’iceberg, et les Pandora Papers ne sont que des petits glaçons. Les entreprises sont présentes dans 50 pays, les chaines de valeurs sont étendues et réticulaires, ce qui crée une tendance à vouloir optimiser sa fiscalité. La question est ensuite de savoir où est placé le curseur et quand cela devient-il illégal ?

Chapitre 3 : de la confusion sur la nature des montants 

Jean-Philippe Delsol : Puisqu’il est de plus en plus difficile de « frauder », il y a dans ces papiers de nombreux cas qui relèvent de l’optimisation fiscale. Ils sont constitués par des opérations successives permettant de réduire la base fiscale ou de l’effacer au travers de schémas légaux. Si la loi est insuffisante pour traquer cela, il faut changer la loi et cela relève de la responsabilité du législateur. Le contribuable ici peut choisir la manière la moins coûteuse pour réaliser ses opérations. En dénonçant une série de comptes à l’étranger on alerte, mais il y a deux réserves : on traque la fraude par la fraude (ils pillent des comptes confidentiels sans en avoir le droit) et la question de la présomption d’innocence… La justice doit dire si oui ou non ces personnalités sont coupables avant que nous les accablions.

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Don Diego de la Vega : Il y a un problème de comptabilité car on cumule des choses qui sont de l’ordre des infractions, évasion voire fraude fiscale, d’autres qui relèvent de l’optimisation fiscale. Or, on ne peut pas cumuler des choses légales et d’autres qui ne le sont pas. On ne peut pas mettre dans la même case l’habileté d’avocats et la filouterie de gens qui flirtent avec l’illégalité et finissent par y plonger. On fait un cumul qui n’a pas grand sens. Ce sera au juge, et cela devrait être le travail des journalistes de faire la différence entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. En ne faisant aucune séparation, on crée un effet médiatique mais qui ne sera pas suivi d’effets. Dans l’esprit des gens, un compte offshore est forcément illégal mais n’importe qui peut en avoir un. La question est de savoir ce qui y est mis, d’où vient l’argent.

Chapitre 4 :  une manne surestimée 

Don Diego de la Vega : Il n’y a pas d’argent magique. Il faut arrêter de croire qu’il y a une cagnotte magique a trouver en réduisant la fraude. Lorsque l’on voit comment tout est amalgamé, c’est presque du conspirationnisme. C’est un peu le même phénomène quand Eric Zemmour dit qu’en luttant contre la fraude sociale il récupèrera 50 milliards. Si ce montant est correct, il est irréaliste de croire qu’il réussirait à tout récupérer. Quand bien même ce serait le cas, ça ne va pas tout financer. Il y a un problème d’ordre de grandeur. La France dépense 1100 milliards par an donc ce n’est pas avec l’argent de la fraude réelle ou supposée qu’on arrivera à mener un programme à bien. La logique est exactement la même pour la fraude fiscale.

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Chapitre 5 : de l’argent pas si simple à récupérer

Jean-Philippe Delsol : Si une personne est domiciliée en France et a des comptes au Panama, la France saura récupérer ses comptes. Elle va pénaliser la personne allant même jusqu’à la mettre en prison si l’affaire est grave. Elle a des chances d’y arriver, mais si elle est domiciliée à Monaco ce sera sans doute plus difficile. Chaque pays a sa juridiction.

Don Diego de la Vega : Il peut y avoir différentes formes de paradis fiscaux et chaque pays se spécialise dans des niches. Et la liste évolue, il y a une sorte de rotation dans le temps. Donc on peut toujours essayer de lutter mais tant qu’on aura en France des impôts trois fois supérieurs à certains type de micro-Etats, il y aura toujours des problèmes. De plus, Bercy ne peut par récupérer l’entièreté de la base fiscale.

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