Pandémie à l’école, maladresse politique ou courage idéologique face aux vieilles lunes du monde enseignant : que paie vraiment Jean-Michel Blanquer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Snuipp-FSU a prévu que 75% des enseignants du 1er degré seraient grévistes et que la moitié des écoles seraient fermées jeudi contre le protocole sanitaire de Jean-Michel Blanquer.
Le Snuipp-FSU a prévu que 75% des enseignants du 1er degré seraient grévistes et que la moitié des écoles seraient fermées jeudi contre le protocole sanitaire de Jean-Michel Blanquer.
©Ludovic MARIN / AFP / POOL

Jeudi noir 

La mobilisation nationale contre le protocole sanitaire dans les écoles à l’appel de tous les syndicats enseignants promet d’être historique ce jeudi.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

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Sophie Audugé

Sophie Audugé

Sophie Audugé est Déléguée Générale de SOS Education. 

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Atlantico : Le Snuipp-FSU, 1er syndicat du primaire, a prévu que 75% des enseignants du 1er degré seraient grévistes et que la moitié des écoles seraient fermées jeudi, dans le cadre de la mobilisation nationale des enseignants. Comment peut-on expliquer cette mobilisation massive ? À quel point l’est-elle ?

Sophie Audugé : Il faut voir si les chiffres annoncés se confirment. Fin 2019, on avait assisté à une manifestation d’ampleur similaire. Le 5 décembre 2019, 58% des enseignants étaient en grève à l’échelle nationale et 78% à Paris. Les manifestations très suivies comme cela sont rarement motivées par un élément isolé. Je ne pense pas que le sujet soit le changement de protocole d’il y a trois jours. Je pense que la situation était devenue tellement ubuesque et kafkaïenne qu’il était impossible de ne pas réagir. Enseignants et parents partagent la même incompréhension face à la multiplicité et à la variabilité des protocoles sanitaires, annoncés du jour au lendemain par le ministre et souvent par voie de presse. Presque 2 ans après le début de la pandémie, cela a suscité une très forte cohésion dans les rangs de ceux qui font l’école au quotidien pour réagir. C’est ce qui a mis le feu aux poudres. Depuis le début de la crise sanitaire les enseignants et l’encadrement de terrain ont été très présents et faisaient front dans l’intérêt supérieur des enfants. Mais le ridicule des situations vécues ces derniers jours a mis un coup d’arrêt au sens de l’intérêt collectif et à l’engagement pour servir la mission de service public qui prévalaient face à la pandémie depuis mars 2020. Ces derniers jours, les conditions n’étaient plus réunies pour que les professeurs puissent réellement faire leur métier: enseigner à un groupe classe relativement «stable». C’est un ras-le-bol général qui s’exprime. «Laisser ouvertes les écoles» sur le fond et sur la théorie tout le monde est d’accord. Mais dans quelles conditions, notamment pour les enfants, testés tous les 2 jours, portant le masque toute la journée, même à l’extérieur... Et quelles solutions pour le suivi des apprentissages avec des élèves absents en quasi permanence ? Au début de la pandémie, Jean-Michel Blanquer a annoncé fièrement que l’école numérique était prête, mais ce n’était pas le cas. Les professeurs ont dû créer leurs propres outils avec leur ordinateur personnel, ils se sont formés les uns les autres car la plupart n’avaient pas les connaissances et les compétences pour basculer du présentiel à l’école à distance. On aurait pu imaginer que le « quoi qu’il en coûte » soit étendu à l’École, à la formation des professeurs, la mise à disposition d’outils et à la sécurisation des écoles pour faire face à des situations de pandémie. Mais très peu de choses ont été faites, beaucoup de temps a été perdu, et on a vu ces derniers temps le ministre et les collectivités locales se renvoyer la faute, se passer « la patate chaude » sur les purificateurs d’air notamment. 

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D’ailleurs, les professeurs ne sont pas foncièrement plus exposés que le reste de la population à la pandémie, surtout avec le variant Omicron qui se caractérise par une très forte circulation virale et une gravité moindre selon les dernières informations. Toute la population vit avec une forte présomption d’être contaminée. Les enseignants ont une vie, de la famille, des enfants, ils seront contaminés dans le cercle familial car on peut imaginer qu’à la maison ils ne portent pas le masque en permanence. Il n’empêche qu’il faut protéger les personnes à risque ou en relation avec des personnes à risque. En ce sens, il y a sans doute des dispositions spécifiques à prendre de manière individuelle pour certains enseignants. Mais pour mettre en place cela, encore aurait-il fallu disposer d’une médecine du travail des enseignants. Elle aurait eu un rôle de conseil à jouer auprès des enseignants dès le début de cette crise, et observer les situations spécifiques de vulnérabilité. Certains syndicats ont refusé de faire grève, comme Action et démocratie, car ils ne veulent pas soutenir des revendications de grève qui demandent un renforcement encore plus drastique du protocole sanitaire contraire de leur point de vue aux conditions favorables pour transmettre des savoirs. 

Jean-Paul Brighelli : Elle sera sans doute massive — mais d'un côté elle se trompe d'objet (on ne fait pas grève contre un virus, c'est un procédé incantatoire, pourquoi ne pas faire une procession ?), de l'autre elle n'avoue pas son objet : ce n'est pas le protocole Covid qui est en cause, aussi absurde soit-il — mais il a été imposé à Jean-Michel Blanquer par les médicastres qui nous gouvernent —, mais la perte d'influence des syndicats, habitués par Mme Vallaud-Belkacem à imposer leurs quatre volontés, et choqués que Blanquer ne co-gère pas le ministère avec eux.

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Dans quelle mesure cette manifestation est aussi voire avant tout le retour de bâton d’une querelle plus idéologique entre Jean-Michel Blanquer et l’Education nationale qui s’est tissée pendant le quinquennat ? Quelle responsabilité lui incombe ?

Sophie Audugé : C’est évidemment un message très fort face une relation qui n’a cessé de s’aggraver avec le temps. On arrive à un moment de rupture. Pour un certain nombre de personnes, enseignants et spécialistes, la nomination de Jean-Michel Blanquer a été reçue avec un certain enthousiasme. En effet, son constat est partagé par beaucoup de monde. Mais derrière les prises de position publiques et les effets de communication, la mise en œuvre n’a pas été à la hauteur de ce qu’il fallait faire. Soit les mesures prises n’ont pas été assumées jusqu’au bout, par exemple l’évolution des programmes d’histoire du lycée mais en laissant perdurer ceux catastrophiques du collège instaurés par Najat Vallaud-Belkacem. Soit parce que certaines mesures ont donné lieu à des solutions directives parfois caricaturales, laissant croire à un « pied de nez » fait à certains enseignants. Je pense ici notamment à la production du manuel d’apprentissage de la lecture. Certaines positions et prises de parole ont pu être perçues comme une forme de mépris et de surpuissance. La création d’un Conseil scientifique, en mode forteresse, à côté du Conseil supérieur des programmes pose question. Sur le principe, introduire les recherches en sciences cognitives au cœur de la politique éducative est très bien. Mais instaurer ce Conseil scientifique sans créer les conditions d’un dialogue et d’un travail coordonné avec les instances en place, ne permet pas d’en tirer les bénéfices qui pouvaient en être attendus pour la politique éducative. En matière de formation des enseignants, de densité et cohérence dans les programmes et aussi dans le fonctionnement de la  classe, au contact des élèves. Le ministre de l’Éducation ne devrait pas rentrer dans ce niveau de détail là en tout état de cause pas de cette manière là. Il est prouvé depuis une dizaine d’années que la méthode syllabique est la plus efficace pour l’automatisation du processus de lecture chez l’enfant qui apprend à lire, le rôle du ministre de l’Éducation nationale est de déterminer et fixer quelle est, d’un point de vue didactique, la méthode à appliquer dans l’École de la République mais il n’a pas à en rédiger le manuel, ça n’a pas de sens.

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La didactique n’est pas la même chose que la pédagogie. Les enseignants sont libres d’adopter la pédagogie qu’ils veulent et de choisir le manuel qui correspond le mieux à l’enseignement qu’ils vont dispenser, et cela dans le cadre de la didactique fixée par le ministère pour enseigner l’apprentissage de la lecture selon la méthode syllabique. Que le ministère produise son propre manuel scolaire et aille le tester dans un nombre restreint d’établissements avec des biais évident sur les résultats, du fait même qu’il s’agit d’une situation expérimentale à laquelle une attention particulière sera portée, est également critiqué. Il s’agit de méthodes de gestion de projet issues du monde de l’entreprise qui ne peuvent s’appliquer à l’école, institution qui ne peut avancer en ordre dispersé et par projets, s’agissant d’autant plus du savoir le plus fondamental qu’est l’acte de savoir lire!

En revanche, Jean-Michel Blanquer a eu le mérite de reconnaître haut et fort le problème de manque d’attractivité du métier d’enseignants et de professeurs notamment au niveau salarial, et d’en faire une mesure populaire, alors qu'il y a quelques années la plupart des gens étaient contre une augmentation des salaires. Il n’a en revanche pas été au bout de la réforme structurelle qui doit être conduite dans la politique générale de gestion des ressources humaines à l’Éducation nationale. Pour l’institut de formation par exemple il a simplement changé le nom, le fond est le même, il est autant décrié qu’avant. Il n’a pas non plus pris à bras le corps l’énorme problème d’autorité et de discipline dans les classes (les classements PISA le montrent et même les élèves s’en plaignent). Et puis enfin bien sûr sans doute le pire des maux de notre École française, malgré ses tentatives avec la mesurette du dédoublement des classes, il n'est pas parvenu à agir sur le problème de l’égalité des chances à l’École. L’École publique reste parmi la plus inégalitaire au monde, l’ascenseur social est bloqué au rez-de-chaussée et c’est extrêmement grave.

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La pratique du « en même temps » est contreproductive à l’École. Une refonte plus profonde est à entreprendre pour inverser la tendance de la désintruction nationale. Dédoubler les classes de primaire en ZEP sans former mieux les enseignants, sans agir en amont en maternelles avec des effectifs corrects et des personnels formés et rémunérés à leur juste contribution (ASEM). L’école se délite depuis les années 70, la situation ne peut pas être modifiée par des mesurettes isolées.

Jean-Paul Brighelli : Il n'a pas ménagé les susceptibilités des incapables : ça, c'est un grand tort, dans une démocratie. Par exemple il a imposé sur Paris une méthode de lecture alpha-syllabique, la méthode Lego, qui marche fort bien — mais le SNUIPP a immédiatement crié au caporalisme, car il entendait continuer à massacrer les élèves avec des méthodes semi-globales et idéo-visuelles. Il a distribué des éditions de La Fontaine aux élèves de CM2 alors que chacun sait que le standard idéal de langue est celui d'Aya Nakamura. Il a voulu réformer le Bac — il aurait mieux fait de le transformer en Certificat de Fin d'Etudes —, ce qui changeait les habitudes : autre tort évident, une majorité d'enseignants préférant la routine, même quand elle ne sert à rien. Il a cherché à augmenter les salaires — ce que Najat Vallaud-Belkacem n'avait pas fait —, mais pas assez. Il a amorcé une réforme de la formation des maîtres — pas assez, pas assez vite, pas assez profondément — et négligé de plaire aux crétins pédagogues qui hantent les INSPE, ex-ESPE, ex-IUFM. Bref, il a fait à peu près ce que l'on attendait de lui — y compris maintenir autant que possible les élèves en classe, malgré les diktats des médicastres en général et d'Olivier Véran en particulier. Autant de défauts, dans un monde apeuré qui marche sur la tête. 

Jean-Michel Blanquer s’est prononcé contre l’écriture inclusive mais a aussi émis une circulaire pour une meilleure intégration des transgenres à l’école. Ce « en même temps » fait-il qu’il s’est mis à dos tout le monde ?

Sophie Audugé :  Vous ne pouvez pas d’une main signer une circulaire pour interdire à l’École, l’écriture dite inclusive, laquelle est au contraire excluante comme nous en avons fait la démonstration chez SOS Éducation, et de l’autre signer une circulaire, en réalité un manifeste, qui prend fait et cause pour l’idéologie d’affirmation du genre ressenti à l’École dont le mode de communcation est exclusivement en écriture «inclusive» puisque cette idéologie rejette la réalité biologique du sexe de naissance ainsi que le genre féminin ou masculin et donc emploie le prénom « iel ». Actuellement à l’École les professeurs n’ont pas le droit d’utiliser, d’enseigner, de corriger quoique ce soit qui comporte de l’écriture « inclusive » mais les associations, documents distribués, questionnaires remis ou productions d’élèves relatives aux questions de genre qui sont diffusées dans l’école avec des programmes et des journées dédiés pratiquent cette forme d’écriture et de graphie ainsi que toute la sémantique associée… De fait, cela n’a pas de sens ! De la même manière le ministre apparaît incohérent quand il va ouvrir un colloque à la Sorbonne destiné à des adultes, pour s’opposer à la cancel culture et au wokisme, dont l’écriture « inclusive » comme la transidentité sont des fers de lance, alors qu’au même moment il les institutionnalise dans l’École auprès d’enfants en bouleversement identitaire du fait de leur jeune âge et influençables. Allez comprendre! Dans le même esprit, participer à ce colloque intitulé « Après la déconstruction » et  maintenir au collège les programmes d’histoire de Najat Vallaud-Belkacem ainsi que laisser faire du zèle par certains inspecteurs qui reprochent à des enseignants de transmettre l’histoire par le récit et la chronologie, est d’une absolue incohérence. 

Au fil du temps, ces injonctions contradictoires ont eu un effet dévastateur sur la situation actuelle de l’École car elles contribuent à cliver les enseignants entre-eux et à détourner les parents de l’institution publique. La situation sanitaire est venue aggraver le phénomène avec un environnement de peur permanent, le port du masque non-stop, le risque de ramener la maladie qu’on a fait porter aux enfants, la distanciation sociale… cela a été pour un beaucoup de parents la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, beaucoup ont déserté l’École publique. En dehors d’établissements publics « d’élite » bien connus, les parents qui le peuvent préfèrent aujourd’hui inscrire leur enfant dans des établissements dont les conditions de scolarité sont plus sereines, où l’intérêt supérieur de l’enfant est pris en compte en priorité, et dont les valeurs et les objectifs poursuivis sont plus cohérents et stables. 

A concilier les positions de tout le monde, personne n’est content, et l’École publique se vide chaque jour davantage du peu de diversité qu’il lui restait encore. C’est, il me semble, cet ensemble qui nourrit la colère et le ras-le-bol ambiant vis-à-vis de l'École.

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