Pancarte « Un flic, une balle » à Besançon : un classement incompréhensible<!-- --> | Atlantico.fr
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Justice
Une manifestation contre les violences policières.
Une manifestation contre les violences policières.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Justice

Le parquet de Besançon a annoncé le classement sans suite de l'enquête visant une étudiante de 20 ans qui avait brandi une pancarte "Un flic, une balle" lors d'une manifestation "contre les violences policières".

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Un flic, une balle”. Tel est le texte de la pancarte brandie par une étudiante en lettres, au visage dissimulé, lors du « rassemblement contre les violences policières et le racisme » tenu à Besançon le 23 septembre. Cette aimable exhortation, qui est de la main de la porteuse de pancarte, a suscité une indignation légitime. Elle a notamment fait réagir le préfet du Doubs, Jean-François Colombet, et la Ville de Besançon.

Cette affaire survient alors qu’à Paris le rassemblement contre les « violences policières » a conduit à l’attaque d’une voiture de police et que, dans la même semaine, avaient lieu, à Sochaux, une tentative d’homicide à l’encontre d’un policier de la BAC, ainsi qu’une grave attaque envers un autre policier qui procédait à l’interpellation d’un jeune homme. 

L’intéressée a expliqué pendant sa garde à vue que son seul propos était de contester que les policiers soient armés. Cette interprétation de sa propre prose, si éloignée de sa lettre et du langage commun, a apparemment ébranlé le procureur de la République de Besançon.

Celui-ci a classé le signalement sans suite, estimant n’avoir pas relevé, dans le fait de brandir, lors d’une manifestation, un écriteau portant l’inscription « Un flic, une balle », d’intention d’apologie de crime d'atteinte volontaire à la vie, et n’être pas en mesure de démontrer la volonté d'appeler au meurtre de policiers. Les poursuites ont été limitées à la « participation à une manifestation en ayant le visage dissimulé », infraction pour laquelle il a prévu une composition pénale.

Ce raisonnement du procureur laisse sans voix. Pour que le parquet classe sans suite, il faut soit que les faits ne soient pas établis, soit que la qualification pénale soit incertaine ou d’une faible gravité.

Rien de tel ici : les faits sont avérés puisque la porteuse de pancarte a été dûment filmée et identifiée et qu’elle ne conteste ni avoir conçu la pancarte, ni l’avoir brandie lors de la manifestation.

Quant à l’apologie de crime – et plus précisément d’atteinte à la vie des policiers – elle est d’une particulière gravité et précisément définie à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.Celui-ci punit de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui auront provoqué directement et publiquement, même si cette provocation n’a pas été suivie d’effet, à porter volontairement atteinte à la vie humaine. L'apologie est l'éloge, l’approbation donnée à un crime ou à son auteur, mais aussi la glorification de ceux qui imiteraient ce dernier.

Quant au texte de la pancarte, comment, sans jouer sur les mots, le trouver ambigu ? Comment penser qu’une étudiante en lettres aurait pu lui donner un sens autre que celui que lui prête le commun des mortels ?

Les éléments retenus à l’encontre de l’intéressée étaient donc de nature à conduire à la saisine d’un juge d’instruction. Dès lors en effet qu’existent des indices précis et concordants à l’encontre de l’intéressée quant à son intention de faire l’apologie du meurtre de policiers, le parquet n’a pas à décider par avance que sa volonté de faire cette apologie n’est pas démontrée. Cela, ce sera au juge d’instruction et surtout au tribunal de l’apprécier. En classant sans suite une pareille affaire, le procureur fait obstacle à l’ouverture de la procédure judiciaire complète qu’elle appelait.

Observons que l’attitude du procureur de Besançon tranche avec au moins un précédent proche, récent et notoire ayant conduit jusqu’au tribunal et à la condamnation. On pense à ce petit garçon prénommé Jihad, venu à l’école maternelle avec un tee-shirt portant les inscriptions : « Je suis une bombe » et « Jihad né le 11 septembre ». Le maire de la commune a saisi le procureur de la République qui a poursuivi. L’oncle de l’enfant, ayant offert le tee-shirt, et la mère de ce dernier, ont été cités devant le tribunal correctionnel du chef d’apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie, sur le fondement de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Infirmant le premier jugement rendu, la cour d’appel de Nîmes a condamné les deux adultes. Saisi par l’oncle d’un pourvoi en cassation, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé en mars 2015 le jugement de la Cour d’appel, estimant que celle-ci, « enanalysant le contexte dans lequel les mentions incriminées ont été imprimées et rendues publiques, a exactement apprécié leur sens et leur porté (….). En caractérisant en tous ses éléments le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, la Cour d’appel a justifié sa décision ». Il est notamment relevé que la commande passée par l’oncle des inscriptions figurant sur ce tee-shirt, son insistance auprès de la mère de l’enfant pour qu’elle en revête celui-ci lorsqu’elle l’enverrait à l’école, traduisent sa volonté, non de faire une plaisanterie (comme il le soutenait), mais de valoriser dans l’enceinte de l’établissement scolaire (lieu public par destination) les crimes évoqués.

On se perd donc en conjectures sur les motifs profonds du classement décidé par le procureur de Besançon dans cette affaire de pancarte. On s’interroge d’autant plus que le contexte appelait des poursuites (quelles que soient leur issue finale) tant pour la bonne administration de la justice qu’au regard de l’émotion que suscite la haine de la police, non seulement dans les rangs de celle-ci, mais encore parmi l’immense majorité de nos concitoyens.

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