Ouverture des archives de la guerre d’Algérie : Une histoire borgne nuisible à l’intégration<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron pose avec l'historien Benjamin Stora pour la remise d'un rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie, à l'Elysée, le 20 janvier 2021.
Emmanuel Macron pose avec l'historien Benjamin Stora pour la remise d'un rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie, à l'Elysée, le 20 janvier 2021.
©CHRISTIAN HARTMANN / PISCINE / AFP

Bilan 2021

Un arrêté du ministère de la Culture rend consultables toutes « les archives publiques produites dans le cadre d’affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d’Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966 ». Cette décision s'inscrit dans le cadre d’une mission sur la réconciliation franco-algérienne des mémoires.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Un arrêté interministériel publiéjeudi 23 décembre au Journal officiel ouvre les archives judiciaires françaises « en relation » avec la guerre d’Algérie (1954-1962) avec quinze ans d’avance sur le calendrier légal. Le rapport de l’historien Benjamin Stora remis au Président de la République, dans le cadre d’une mission sur la réconciliation franco-algérienne des mémoires, avait préconisé notamment un meilleur accès aux archives de cette période afin d’« aller vers plus de vérités ». « Il s’agit d’une avancée dont il faut se réjouir », estime l’historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’Algérie, avec d’autres historiens. « Il est symboliquement important de traiter de manière équivalente la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’indépendance de l’Algérie », précise-t-elle. On rappelle ainsi la procédure de « dérogation générale » déjà utilisée pour la période de la Seconde Guerre mondiale, en matière d’ouverture des archives. Un parallèle qui laisse néanmoins rêveur, car nous ne sommes absolument pas dans le même cas de figure. Car s’agit-il ici d’apaiser, en refermant les blessures du passé, alors que ne cessent de se développer des relations tourmentées entre Alger et Paris ? Un contentieux mémoriel qui concerne non seulement les opinions publiques des deux côtés de la Méditerranée, mais une population d’origine algérienne en France qui n’est pas homogène dans sa perception de la question. Entre les immigrés algériens et leurs enfants se reconnaissant dans l’indépendance de l’Algérie, les Harkis qui sont les héritiers d’un massacre dont beaucoup ont été l’objet par le FLN, et les pieds noirs, on ne partage pas, et de loin, la même vision de cette page de l’histoire et les mêmes attentes. Elle concerne environ « 7 millions de résidents en France » selon l’historien Benjamin Stora

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Pour ce dernier, deux visions identitaires s'affrontent aujourd'hui : Celle « paradisiaque de l'Algérie française » et celle « d'une mise en accusation du système colonial comme porteur d'inégalités et d'une brutalisation de la société". Une histoire complexe qui reste un sujet douloureux avec bien des tabous. Le pouvoir algérien demande des excuses officielles à la France, à quoi l'Élysée se refuse, envisageant des "actes symboliques" comme l'entrée de l'avocate anticolonialiste Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, au Panthéon.

L’Algérie exige de la France qu’elle lui remette « la totalité » des archives de la période coloniale (1830-1962) la concernant, a réaffirmé dans ce contexte le directeur des archives algériennes, Abdelmadjid Chikhi. Ce dernier a été chargé en juillet par le président algérien Abselmadjid Tebboune de travailler sur la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie, de concert avec l’historien français Benjamin Stora. Concernant ce « travail », lors d’une conférence de presse donnée au siège de la radio publique à Alger, il a affirmé œuvrer « à ce qu’il fasse partie de relations apaisées et équilibrées » à construire entre les deux pays. Mais l’Algérie ouvrira quand ses archives, en ce qui concerne ce qui s’est passé côté FLN, puisque des méthodes comparables furent employées durant la guerre par les deux camps (torture, répression de la population civile…) ? Et concernant les clauses des accords d’Evian sur l’indépendance, portant sur l'amnistie générale des crimes commis pendant la guerre et les garanties concédées aux Européens, nullement respectées par les indépendantistes ? On parle ici de massacres largement accompagnés d’actes de torture, concernant entre 30 000 et 80 000 Harkis, souvent avec leurs familles.

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La France a restitué à l’Algérie une partie des archives qu’elle conservait, mais elle a gardé la partie concernant l’histoire coloniale, qui relève de la souveraineté de l’Etat français. L’accès aux archives de la colonisation, déménagées en France après l’indépendance de l’Algérie en 1962, est une des principales revendications des anciens combattants algériens. On sait que le Chef de l’Etat a récemment mis en cause le président Algérien accusé d’entretenir une véritable rente mémorielle sur le sujet. On aura à l’esprit les manifestations du mouvement du Hirak qui demande plus de démocratie aux cris de « ni dictature ni islamisme », qui connaît une grave répression par l’Etat algérien. On condamne encore dans ce pays où l’islam est religion d’Etat, à 10 ans de prison pour incitation à l’athéisme.

C’est d’une histoire à chaud dont il s’agit, alors que précisément, si on protège certaines archives de leurs accès un temps donné, c’est pour qu’elles soient assez froides pour ne pas provoquer les règlements de compte qui devant l’histoire n’apportent rien de bon, et aussi, de n’être pas politiquement instrumentalisées. Ici, pourrait-on dire, nous sommes au contraire au maximum de ces risques. Il suffit d’écouter la façon dont le sujet prend sa place dans la campagne présidentielle déjà engagée, avec ses excès, particulièrement du côté des extrêmes, pour en voir les effets. Le traitement médiatique qui en est largement fait n’est pas moins problématique, sous le signe d’un procès permanent de la France, mise en accusation de reproduire avec les immigrés les anciens rapports de domination coloniale, comme si les Français d’aujourd’hui avait quoi que ce soit en commun encore avec cela. On cherchera longtemps les rentes coloniales du Français moyen d’aujourd’hui, pour justifier l’idée d’un racisme généralisé envers les immigrés d’Algérie ou d’ailleurs. Pour faire bonne mesure, le président de la République a demandé pardon aux harkis et annoncé une loi « de reconnaissance et de réparation ». Une démarche qui ne peut qu’encourager une logique sans fin sur laquelle le président Algérien ne manquera pas de rebondir.

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C’est dans ce contexte de relations franco-algériennes en crise depuis des mois, que la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a cru bon ainsi d’annoncer, le 10 décembre dernier, l’ouverture de ces archives « sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police qui ont rapport avec la guerre d’Algérie », (1954-1962). « Je veux qu’on puisse la regarder en face. On ne construit pas un roman national sur un mensonge » a-t-elledit, pour ajouter, « A partir du moment où les faits sont sur la table, où ils sont reconnus, où ils sont analysés, c’est à partir de ce moment-là qu’on peut construire une autre histoire, une réconciliation. » Et encore que concernant la torture « C’est l’intérêt du pays que de le reconnaître. ». On sait déjà à peu près tout sur ce qu’a été cette Guerre qui n’a rien de reluisante, hormis peut-être encore quelques zones d’ombre. L’intérêt de l’ouverture de ces archives est donc sans doute ailleurs. Il s’agirait, selon d’aucuns, de montrer que l’exécutif français prend ses responsabilités. Mais ici, à ne dévoiler qu’un côté de l’histoire, on n’en donne nullement la vision d’ensemble nécessaire à un regard lucide, capable d’en annuler le poids des rancœurs. D’autant que reste en toile de fond à tout cela, ces propos explosifs d’un Emmanuel Macron candidat à la présidence en 2017, selon lesquels “la colonisation est un crime contre l’humanité”, assimilant ainsi à un génocide un colonialisme français qui n’en a jamais commis. Les idéologues de la radicalisation ont encore de beaux jours devant eux.

Une perspective de retour sur l’histoire coloniale de la France qui n’augure rien de bon dans les rapports de notre pays avec ceux qui en France, parmi les immigrés, ont du mal à s’intégrer pour se penser en citoyen français, rejettent même parfois l’intégration, derrière les malentendus et les confusions. Si l’Algérie a conquis son indépendance, en France tous ont l’égalité des droits. La nation en France est élective, c’est-à-dire le fruit d’une volonté commune, non de l’héritage du sang où d’on ne sait quelle race. C’est une chance devant l’histoire à saisir. Il n’est pas sûr que derrière ce fatras mémoriel entretenu des deux côtés de la méditerranée, pour des motifs plus intérieurs qu’autre chose, on favorise un juste et intellectuellement honnête retour sur l’histoire, qui seul pourrait permettre de tourner cette page par le haut pour en écrire une nouvelle avec tous.

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