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Ne prenons pas les terroristes
pour de simples imbéciles
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Littératueur

Dans le document de près de 1600 pages publié quelques heures avant de commettre les attentats d'Oslo, Anders Breivik multiplie les références littéraires et philosophiques pour justifier son geste. Le signe d'un certain "élitisme" dans le chemin qui mène au terrorisme ? En fait, il est urgent de comprendre la logique qui amène des gens intelligents à se persuader que le monde est menacé par un ennemi unique et que la violence est l'unique solution.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Anders Breivik, auteur présumé du massacre d'Oslo, était amateur de jeux vidéos où l'on détruit des centaines d'adversaires et aimait se faire photographier dans des uniformes spectaculaires. Il a certainement un ego sur-développé. Mais, outre la publicité planétaire que lui vaudront crime et procès, il aura un motif d'orgueil : il est devenu le plus performant des "loups solitaires". 

Anders Breivik : loup solitaire cultivé

"Loups solitaires" est le surnom de ces terroristes qui ne se rattachent à aucune organisation, ne sont pas repérés par la police et s'en prennent brusquement à des cibles peu défendues. Les loups solitaires célèbres, comme l'auteur de la fusillade de Fort Hood (Nidal M. Hasan, 13 morts), le "terroriste aux sous-vêtements" du vol Amsterdam Detroit (Abdulmutallab) et celui l'attentat raté de Time Square en 2010 (Faisal Shahzad) étaient islamistes.

Mais Breivik, l'islamophobe, leur double négatif, a réussi ce dont rêvent des centaines de jihadistes :faire seul le plus grand massacre terroriste d'Européens, à la bombe et à la balle, depuis Madrid en 2005 (des attaques à la bombe qui avaient demandé une équipe conséquente). Et cela avec des années de préparation, de planification, d'apprentissage technique, de secret, de documentation, d'organisation... Au moins, sur le plan purement stratégique, le tueur norvégien n'était pas un débile.

Autre record que bat Breivik : celui du plus long manifeste, avec les presque cinq millions de signes de "2083 : une déclaration d'indépendance européenne" (sans compter sa production vidéo et sa présence sur les forums). Elle est truffée de références et les auteurs – Orwell, Kafka, William James, Machiavel, Hobbes ou John Locke – ne sont pas exactement des fachos abrutis. Sans compter sa connaissance d'auteurs "ennemis" marxistes ou ses commentaires du Coran. Même si le nombre des citations n'est pas gage de qualité (sauf peut-être pour certains universitaires), cela suppose un minimum de réflexion.

Encre et poudre : les deux armes du terroriste

On peut considérer qu'un terroriste est un intellectuel qui prend ses idées au sérieux : il tue au nom d'une doctrine qui le justifie et pour réaliser un idéal. Il lui faut donc une certaine faculté d'abstraction (voire de symbolisation, pour décider, par exemple, que ce passager dans ce bus représente l'Occupant ou l'Oppression).

Le terrorisme a toujours mélangé poudre et encre parce qu'il faut aux plus idéalistes une bibliothèque pour se justifier en doctrine et un peu d'éloquence pour expliquer leur acte à la postérité. Il y eut de redoutables graphomanes dans les Brigades Rouges ou dans la bande à Baader des années 70 : ces bons marxistes devaient démontrer qu'ils ne faisaient pas une chose que condamne Lénine, du terrorisme individuel, mais de la guérilla urbaine. De façon générale, les les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire, parce qu'ils veulent convaincre et légitimer.

Ne pas faire l'erreur de prendre les terroristes pour de simples imbéciles

De ce point de vue, Breivik, engagé dans sa lutte contre l'islamisme et son complice "objectif", le politiquement correct, a un discours très cohérent dans son délire. Entre autres, il a pu s'inspirer d'un auteur dont il retranscrit des page entières : Theodore Kaczynski, alias Unabomber, ex-mathématicien au quotient intellectuel de 167, qui commit des attentats sans être pris de 1978 à 1996, au nom d'un idéal écologiste et pour faire publier ses diatribes contre la civilisation industrielle. Lui aussi mêlait bombes et pédagogie. Un type d'activiste qui représente le pire cauchemar des services contre-terroristes.

Nous n'arriverons à rien en traitant comme des crétins fanatiques les loups solitaires qui pourraient bien proliférer demain (et risquent bien moins de se faire prendre que les groupes hiérarchisés). Il est plus urgent de les lire et comprendre la logique qui amène des gens intelligents à se persuader que le monde est menacé par un ennemi unique (le capitalisme, l'industrie, la conspiration judéo-croisée, l'impérialisme islamique) et que la violence est la solution unique.

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