Opacité à tous les étages : comment la France et l’Europe ont raté le traitement démocratique du Covid<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron Europe décisions choix avenir traitement covid-19 coronavirus
Emmanuel Macron Europe décisions choix avenir traitement covid-19 coronavirus
©STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

Décisions masquées

Certaines critiques faites contre les stratégies gouvernementales de lutte contre la pandémie sont injustes tant les pouvoirs publics sont contraints de naviguer à vue. Mais l’absence de débat public autour de certains arbitrages aux niveaux français comme européen alimentent la crise de défiance.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico.fr : Lors de la stratégie de vaccination, la manière dont les choix de commande de vaccins ont été faits et les critères sur lesquelles ces choix ont été construits n’ont pas été rendus publics. Les contrats eux-mêmes sont incroyablement opaques. Les choix ayant un impact sur les solidarités ou les inégalités entre générations doivent-ils faire de façon plus intense l’objet de débats démocratiques ?

Maxime Tandonnet : L’un des effets les plus spectaculaires de la crise du Covid-19 est l’émergence d’un mode d’exercice du pouvoir qui déroge totalement aux principes de la démocratie libérale et parlementaire et à l’idée de transparence. Le pouvoir est confisqué par un conseil scientifique, instance non élue, totalement opaque, et par le conseil de défense réunissant les principaux dirigeants qui siège à l’Elysée. A travers la prorogation indéfinie de l’Etat d’urgence sanitaire, les fondements mêmes de la démocratie libérale traditionnelle sont suspendus. Le parlement se voit totalement marginalisé du processus de décision et le suffrage universel dont il procède mis entre parenthèses. Or lui seul au regard de la Constitution et des principes républicains, est habilité à suspendre les libertés, port du masque, confinement, couvre-feu. En outre, il faut bien voir qu’il a un caractère probablement définitif : dans le monde des crises permanentes ou nous entrons, un précédent a été ouvert, et rien ne permet aujourd’hui d’envisager un retour prochain à la démocratie libérale et parlementaire.

Tous les pays européens ont-ils fait comme la France et minimisé le débat parlementaire ?

 Il me semble que le phénomène est européen. En Italie, en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, les stratégies de crises ont été pour l’essentiel prises par l’exécutif en dehors de procédures démocratiques normales. Cela peut se comprendre en un premier temps, sous l’effet de l’urgence et des circonstances exceptionnelles. Mais quand la crise dure, depuis un an, l’effacement de la démocratie libérale devient préoccupant. Il n’est absolument pas favorable à la résolution de la crise sanitaire. Privé de contrôle, de sanction possible et de mise en jeu de leur responsabilité, les pouvoirs publics sont poussés à persévérer dans leurs erreurs ou leurs fautes. En France nous avons eu, en dix mois, la crise des masques, celle des tests, puis celle des vaccins en ce moment. Dans la plus grande impunité et inamovibilité des responsables publics concernés.

La majorité découvre souvent sur les plateaux TV (voir au dernier moment), les choix faits en matière de sécurité sanitaire par le gouvernement. Pourquoi les parlementaires LREM ne sont-ils pas associés aux délibérations ? Quel est leur rôle dans le débat dans le parti ? 

Le rôle des « plateaux de télévision » dans la crise que nous vivons est spectaculaire : ils s’imposent comme une instance majeure de pression sur les pouvoirs politiques. Face à eux, les députés, y compris de la majorité LREM ne pèsent pas lourd. Rien n'est plus étrange que ces flopées de médecins médiatiques que les chaînes de télévision s'arrachent pour commenter l'actualité sanitaire. Par-delà leurs compétences scientifiques, ils sont invités à donner leur avis sur tout, notamment les aspects politiques, sociétaux, moraux de la crise sanitaire. Ils abordent les sujets les plus divers par le prisme de leur formation médicale, voient les Français en patients, supposés obéir à une prescription, et non en citoyens responsables. L’influence croissante sur la vie publique des experts sanitaires médiatisés s’exprime particulièrement dans le mépris des considérations de liberté, de dignité ou économiques. En se substituant au rôle des partis politiques, des collectivités locales, des élus de la nation, cette influence ne fait qu’aggraver la crise de la démocratie

Des décisions rendues de façon plus démocratique pourraient-elles rendre les difficultés plus acceptables aux citoyens ? 

Le phénomène est inquiétant car en effaçant la démocratie parlementaire, il aggrave la fracture entre la nation et ses dirigeants. L’Assemblée nationale et le Sénat servent en principe de courroie de transmission entre les élites dirigeantes et le peuple. Celle-ci a complétement disparu. Les dirigeants politiques se coupent ainsi de la nation. Leurs décisions dans cette crise sanitaire sont ressenties comme imposées d’en haut sans débat et sans concertation : elles suscitent une vague d’incompréhension à l’image de la contestation contre la fermeture des librairies en novembre dernier ou l’interdiction d’accès aux plages et aux forêts, ressenties comme des brimades inutiles. Le laissez-passer pour sortir de chez soi a été vécu comme un mode d’infantilisation bureaucratique, d’où le terme d’Absurdistan. Sur les vaccins, ce phénomène est spectaculaire. Environ 60% des Français ne veulent pas être vaccinés: cela dénote une crise de confiance dans la parole politique comme scientifique. Tel est le fruit de l’opacité, de l’abolition de la transparence et du débat, et du mépris des gens.

La France et l’Union-Européenne ont-elles loupé la gestion démocratique du Covid ? 

La peur est à la source de ce phénomène, peur de la maladie et peur et ses dirigeants ont peur de voir leur responsabilité dans l’hécatombe – 65 000 morts en France – engagée devant les tribunaux et devant l’histoire. Cette peur omniprésente, alimentée par les plateaux de télévision de manière outrancière – le discours est presque toujours à l’apocalypse. Dès lors, les pouvoirs politiques privilégient la réponse immédiate, au jour le jour, en fonction des indicateurs statistiques (contaminations, morts, etc.). Ils n’écoutent que les cris de panique qui résonnent sur les plateaux de télévision. Ils ignorent tout le reste, les conséquences épouvantables des confinements successifs sur la formation des jeunes, l’économie, la santé mentale et la dignité du pays. Tel est le prix du renoncement à la démocratie parlementaire et aux libertés. Nous le paierons à long terme, et sans doute très cher.

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