Objectif sauver la ruralité : le gouvernement entre illusions et postures<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
La Première ministre Elisabeth Borne dévoile les mesures du plan "France Ruralités" lors de sa visite à Saulge, le 15 juin 2023.
La Première ministre Elisabeth Borne dévoile les mesures du plan "France Ruralités" lors de sa visite à Saulge, le 15 juin 2023.
©Pascal LACHENAUD / AFP

Erreur de diagnostic ?

Elisabeth Borne a présenté ce jeudi son plan France Ruralités pour assurer "les mêmes opportunités de développement" sur l'ensemble du territoire. Les mesures annoncées concernent trois axes majeurs : la santé, le commerce et le transport.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Que pensez-vous des annonces d'Élisabeth Borne dans le cadre de son plan France ruralités ?

Philippe Crevel : Évidemment, la prise de conscience dans une France segmentée à plusieurs vitesses est un fait qui commence à s’établir. Les personnes qui vivent en milieu rural font face à des services publics, en particulier des services de première nécessité, tels que la santé, qui sont défaillants. Ce sont des sujets qui appellent des réalisations concrètes dans ce domaine ? Il y a eu plusieurs mesures visant à garantir la permanence des services administratifs, notamment dans les déserts médicaux, tant en milieu rural qu'urbain. Il s'agit de lutter contre cette inégalité qui s'est créée depuis une trentaine d'années en France. Les réponses apportées vont dans cette direction mais il faudra voir leur réalisation, surtout au regard de la marge de manœuvre budgétaire.

Selon vous, le gouvernement pose-t-il les bons diagnostics sur l'état de la ruralité et les raisons de cet état ?

La ruralité est un sujet important qui fait l’objet d’études approfondies. Les travaux réalisés jusqu'à présent, comme ceux de Jérôme Fourquet, n'ont fait que confirmer une situation déjà ressentie par les habitants. Le gouvernement, je pense, a une vision claire de la situation. Une part de la population se sent abandonnée et il semble y avoir une situation complexe qui divise la population française en deux camps : d'un côté, les ruraux qui ont l'impression d'être laissés de côté, confrontés à des crises agricoles et aux changements climatiques, et de l'autre, les citadins qui n'ont pas les mêmes préoccupations et ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes. C'est pourquoi nous nous trouvons dans une situation très complexe en milieu rural, rendant toute réponse difficile à mettre en œuvre.

À Lire Aussi

Emmanuel Macron vante son bilan économique : les points sur lesquels on peut le croire… et les autres

Et en ce qui concerne les annonces récentes, vont-elles dans la bonne direction ? Et si oui, dans quelle mesure ?

C'est un saupoudrage et une sorte d'inventaire à la Prévert. Il y a une volonté de répondre à l'ensemble des problématiques liées à la ruralité. On constate que cela concerne à la fois les problèmes de commerce et de transport, de santé, etc. Chacun de ces sujets est important mais à vouloir se concentrer sur tous on risque de n’en atteindre aucun. Pour moi, la priorité est l'accès à la médecine, c'est important. L'accès aux services publics et à l'éducation doit également être une priorité. Ensuite, la question du transport est extrêmement complexe, car il est difficile d'avoir des trains dans toutes les petites villes. C'est là où il faut être prudent quant aux promesses faites, car elles peuvent créer beaucoup de déception si elles ne sont pas respectées. Personnellement, je préférerais mettre en avant des actions plus ciblées et moins clientélistes, même si elles ne couvrent pas tous les aspects. 

Quelles sont nos marges de manœuvre ?

Nous avons assez peu de marge de manœuvre sur le sujet, les moyens de l’Etat étant très limités et le problème très large et complexe. Il y a un problème de santé, sachant que des médecins manquent partout. Il faudra certainement faire appel aux nouvelles technologies, même si ce n'est pas forcément le public le plus enclin à les utiliser en France qui se trouve dans les zones rurales. On peut penser aux maisons médicales reliées aux centres hospitaliers, par exemple, pour faciliter l'accès à des spécialistes. Cependant, cela ne répond pas nécessairement aux besoins de proximité pour l'ensemble des Français en ce qui concerne les services.

À Lire Aussi

Alerte nouveaux impôts : la fureur de l’Etat est bien partie pour s’abattre prochainement sur les Français

On prend souvent en exemple le modèle vendéen, comment s’en inspirer ?

Le cœur du modèle vendéen, c’est la solidarité locale, la proximité. En cela je suis plus partisan d'une France fédérale plutôt que centralisée. Que l'État soit responsable de la ruralité témoigne de l'échec de la décentralisation. Si j'ai bien compris, les services publics de proximité sont sous la responsabilité des départements, tandis que les régions sont chargées de l'économie et des transports. Les détails sont complexes, mais il semble y avoir un échec de la décentralisation. Pour résoudre les problèmes de la ruralité, il est nécessaire de mobiliser les acteurs locaux et de favoriser les synergies qui peuvent se développer au niveau des villes et des bassins d'emploi, en créant des infrastructures où l'État peut apporter son soutien. Que l’Etat aide, oui, mais qu’il soit à la manœuvre témoigne d’un véritable échec de la décentralisation.

Selon vous, quels sont les grands problèmes et les causes des difficultés rencontrées par les zones rurales aujourd'hui ?

Il y a de nombreux problèmes et causes à prendre en compte dans les zones rurales, ce n'est pas un seul aspect qui explique la situation. Il ne s'agit pas uniquement de la composition de la population et des déserts médicaux, bien que cela constitue une problématique centrale avec des enjeux liés aux soins de santé et à l'aide aux personnes âgées. Il y a également des problèmes spécifiques liés à l'agriculture, dans une période de transition où l'agriculture est de plus en plus rare et où des questions telles que les engrais se posent. Il s'agit donc d'un projet de mutation du secteur agricole. De plus, il y a des petites villes dépendantes des transports, ce qui pose un problème pour maintenir des petits tissus économiques relativement fragiles. C'est pourquoi je considère qu'il n'y a pas un seul monde rural, mais plusieurs.

Si le plan Borne n’a pas une bonne approche, comment agir ?

Il y a avant tout un problème de subsidiarité. L’Etat devrait responsabiliser les acteurs locaux, en particulier les régions, en disant : "À vous de gérer vos réalités". Bien sûr, ils pourraient bénéficier de dotations politiques, mais je pense que c'est principalement aux départements et aux régions de prendre leurs responsabilités. Ils sont responsables des transports régionaux et de nombreuses aides sociales, notamment l'aide à l'enfance. Il est essentiel que ces instances prennent en charge ces responsabilités, et il ne faut pas nécessairement compter sur l'État pour cela. Même les retraites, je pense que les départements pourraient jouer un rôle important. Ainsi, plutôt que de considérer les régions comme n'ayant pas suffisamment de pouvoirs, il faudrait peut-être envisager de modifier les méthodes de décentralisation pour leur donner plus de pouvoirs. Cela nécessiterait un changement dans la réglementation nationale, en donnant un pouvoir législatif ou normatif permettant des dérogations spécifiques aux territoires ruraux. 

Dans quelle mesure la ruralité souffre-t-elle finalement des décisions de l'État, que ce soit au niveau normatif, environnemental, etc. ?

La ruralité souffre parce que les ressources sont limitées et principalement concentrées dans les grandes agglomérations. Les transports en sont un exemple, avec des projets axées sur le Grand Paris, le métro à Lyon ou à Toulouse. Résoudre les problèmes de la ruralité est très difficile en raison des faibles densités de population au mètre carré. C'est pourquoi il est important de gérer les solutions au plus près des habitants, car chaque situation est unique. Il ne faut pas adopter une approche uniforme de « la ruralité ». Je pense qu'il est avant tout nécessaire d'accroître la liberté des collectivités locales et de leur permettre de déroger aux règles, notamment en matière d'urbanisme. Cela leur donnerait plus de flexibilité, mais je ne pense pas que la réponse doive nécessairement être nationale et budgétaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !