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Nuit debout ou le crépuscule des bobos
©Reuters

Tous blancs à la République

Beaucoup s’interrogent sur la nature politique et sociale de la Nuit Debout, qui sème des avatars un peu partout dans le monde latin. Loin d'être un mouvement révolutionnaire, mais plein de (re)penseurs du monde, la Nuit Debout accueille bien des "progressistes" et autres bobos.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Cet article a été initiallement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe 

Beaucoup s’interrogent sur la nature politique et sociale de la Nuit Debout, qui sème des avatars un peu partout dans le monde latin. S’agit-il d’un nouveau mouvement révolutionnaire ou d’une mode passagère qui agrémente l’actualité sans impact sur la réalité? Pour avoir parcouru plusieurs fois la place de la République occupée par ces (re)faiseurs de monde, il ne me paraissait pas inutile d’en mettre en lumière quelques aspects.

La Nuit Debout, la nuit des blancs parisiens

Ce qui frappe au premier abord dans la Nuit Debout, c’est la forte homogénéité sociale du mouvement. D’ordinaire, la place de la République est bigarrée et majoritairement occupée par des populations allogènes. Ce sentiment de mélange est volontiers accru par les événements qui se déroulent régulièrement sur la place: occupation périodique par des migrants ou par des familles africaines menacées d’expulsion et protégées par le Droit au Logement, mais aussi quadrillage par les familles Roms qui dorment dans la rue avec leurs bébés et leurs enfants.

Depuis que la Nuit Debout a pris possession des lieux, l’homme ou la femme noire n’y ont plus d’autre place que celui de témoignage de la mauvaise conscience occidentale. De temps en temps, ils ont le droit, parce qu’ils sont migrants ou figure opprimée, de monter sur scène pour expliquer leurs malheurs. C’est l’intermède coloré de la Nuit Debout. Leurs 3 minutes épuisées, ils doivent ensuite céder la place à l’interminable logorrhée des intervenants en commission, qui sont essentiellement blancs bobos.

Car le tour de force de la Nuit Debout est de babiller sans lassitude apparente sur le sexe des anges solidaires, de gauche, révolutionnaires, progressistes et autres adjectifs bisounours, dans un entre-soi ethnique et social très bien huilé. Ici, on est bien, on est tranquille, on est humaniste, mais on est d’abord blanc des quartiers centraux de Paris. On adore dénoncer la précarité et la discrimination, mais selon l’étiquette bobo en vigueur, qui accorde une place nulle aux « minorités visibles », manifestement peu intéressées par les sujets qui se traitent.

Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de contempler cette jeunesse auto-proclamée humaniste, dissertant sur tout et rien, et complètement abandonnée par les vrais problèmes sociaux du pays. Avec cette forme pas si discrète d’arrogance et de fatuité, il est évidemment impossible d’aborder le sujet sans s’exposer aux foudres du déni bourgeois. Même le gauchiste Frédéric Lordon tourne sa langue sept fois dans sa bouche avant de suggérer que les blancs fils à papa propres sur eux sont un peu trop nombreux et auto-centrés sur la place.

La Nuit Debout n’aime pas les barbares

En sillonnant la Nuit Debout, on croise donc toute la galerie habituelle des névroses qui hantent la gauche bobo: les végétariens, les constipés, les obsédés de la pureté morale, les Savonarole, les partisans du bien-être, de la décroissance, de Pierre Rahbi, les auditeurs de Patrick Cohen et les inconditionnels de France Confiture (pardon, France Culture). Que de mines blafardes, mal nourries, inquiètes, manifestement torturées !

Mais la jeunesse qui souffre vraiment (je veux dire pas par choix) ne connaît manifestement pas l’adresse où il faut se rendre. Ces blacks, ces beurs, ces décrocheurs scolaires qui zonent à longueur de journée ou n’imaginent pas qu’ils pourraient un jour gagner plus de 2.000 euros par mois, ces tombereaux de sacrifiés qui sont autant de plaies ouvertes dans nos banlieues, sont invisibles ici. Grand bien leur fasse! leur voix serait inaudible et en grattant un peu on s’apercevrait que la couleur de leur peau les disqualifierait. Qu’ils racontent la douleur d’être noir, pourquoi pas! mais qu’ils s’imaginent, avec leur maigre bagage et leurs mauvaises manières, occuper une place dans l’arène de la délibération collective, non!

Les barbares restent les barbares.

La Nuit Debout n’aime pas les salariés

Une autre caractéristique de la Nuit Debout tient à son aversion pour le salarié. Celui-ci est comme un visage cousin de l’Africain. C’est l’Autre: on le plaint, on se bat pour lui, mais on ne le cotoie pas.

Tout est fait, dans la Nuit Debout, pour le décourager de venir. Le premier argument est dans la définition même de la manifestation: nocturne, noctambule, elle n’est guère accessible à celui qui sort fourbu d’une journée de travail et qui doit embrayer tôt le lendemain. Il peut venir, certes, de temps à autre. Mais il doit attendre pendant des heures avant de pouvoir parler pendant trois minutes selon un formalisme figé qui laisse peu de place à l’amateurisme.

Dans la Nuit Debout, le salarié, le prolétaire, est une icône. On aime le voir en peinture, mais il ne faudrait pas qu’il s’imagine changer les choses au jour le jour. La preuve? le mouvement a finalement considéré que la résistance à la loi El-Khomri était un prétexte un peu vain, et qu’il valait mieux refaire le monde sans parler d’actualité.

La Nuit Debout n’aime pas les familles

Autre point, bien entendu, la Nuit Debout n’aime pas les familles. Avec des séances de travail interminables, des débats épouvantablement longs sur la cantine, le temps de repas et autres détails, la participation à la Nuit équivaut à un renoncement en bonne et due forme au temps passé à la maison, le soir, pour coucher les enfants.

Cette dominante sociologique s’explique par le caractère faussement improvisé du mouvement. Depuis longtemps, les indignés français sont noyautés par un petit groupe d’intellectuels auto-centrés qui n’ont nulle envie de se mélanger à d’horribles petits bourgeois qui procréent, qui s’occupent de leurs moutards et qui cultivent les relations familiales. Ceux-là sont des catholiques intégristes en puissance qu’il faut écarter.

De là le caractère extraordinairement hétérogène du mouvement. Fait par les Blancs pour les Blancs, fait par les bourgeois pour les bourgeois, fait par les bobos pour les bobos, il ne devrait pas tarder à mourir de sa belle mort, à moins qu’une mutation du virus ne conduisent à une radicalisation et une popularisation inattendue.

Article originellement publié sur le site d'Eric Verhaeghe

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