Nos héros sont malades : la folie rend créatif… ou pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne regarde un autoportrait du peintre Vincent Van Gogh présenté au musée d'Orsay dans le cadre de l'exposition "Van Gogh/Artaud. L'homme suicidé par la société", le 10 mars 2014, à Paris.
Une personne regarde un autoportrait du peintre Vincent Van Gogh présenté au musée d'Orsay dans le cadre de l'exposition "Van Gogh/Artaud. L'homme suicidé par la société", le 10 mars 2014, à Paris.
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Debien et Ben Fligans ont publié « Nos héros sont malades » aux éditions HumenSciences. Que se passe-t-il dans la tête d'Hannibal Lecter et dans celle de Rambo ? D'où vient l'inquiétante aura de Tony Soprano ? Christophe Debien, psychiatre hospitalier et co-auteur de la chaîne youtube Psylab, révèle les troubles psychiatriques : dépression, schizophrénie, bipolaires..., des héros et anti-héros du cinéma et des séries télévisées. Les illustrations de l'artiste Ben Fligans nous replongent dans les scènes cultes. Extrait 2/2.

Christophe Debien

Christophe Debien

Christophe Debien est psychiatre, responsable de pôle du Centre National de Ressources et de Résilience et responsable national du dispositif VigilanS de prévention du suicide. Il applique les grandes théories psychiatriques aux héros de la pop-culture sur sa chaîne youtube Psylab (139 000 abonnés), créée en collaboration avec Geoffrey Marcaggi.

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Ben Fligans

Ben Fligans

Ben Fligans est un artiste illustrateur basé à Lille.

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Catherine Zeta-Jones, Britney Spears, Ben Stiller, Carrie Fisher, autant de stars du grand écran ou de la musique qui, ces dernières années, ont déclaré souffrir d’une pathologie bipolaire. S’il est bien évidemment impossible de vérifier la justesse du diagnostic pour certains (une addiction sévère ne fait pas la bipolarité), ces témoignages sont particulièrement importants car ils participent à la déstigmatisation de la maladie et donc à l’amélioration de l’accès aux soins.

Toutefois, le fait qu’il s’agisse d’artistes célèbres renforce aussi le fameux adage d’Aristote : «Aucun génie n’a jamais existé sans une touche de folie. » Cette romantisation des troubles psychiques (suggérée en filigrane dans la série Homeland puisqu’elle lui «permet» de résoudre certaines affaires) n’est pas récente et de nombreux courants artistiques ont revendiqué, par exemple, les vertus de la mélancolie. La notion sous-entendue est qu’il ne faut pas traiter les troubles psychiques sous peine de museler le génie et les partisans de cet adage invoquent de talentueux artistes pour le prouver: Van Gogh, Hemingway, Virginia Woolf… Sauf qu’il est particulièrement périlleux et difficile d’établir un diagnostic a posteriori. L’étude du cas de Virginia Woolf pose, par exemple, de nombreuses questions: même dans le film The Hours, son comportement en général et sa lettre d’adieu en particulier suggèrent plus un trouble de la personnalité qu’un trouble de l’humeur. Et lorsque l’on s’intéresse à sa biographie, de nombreux soupçons pèsent sur la présence de modifications de la personnalité en rapport avec une agression sexuelle dans l’enfance…

Heureusement, la science s’est penchée sur ces mythes, de façon plus ou moins empirique dans les années 1970, puis avec beaucoup de rigueur depuis les années 2000.

Avant d’étudier les conclusions des différents travaux sur le sujet, il faut, ainsi que le rappelait le psychiatre suisse Jean-Michel Aubry dans une conférence donnée au congrès de l’Encéphale en 2019, définir ce qu’est la créativité. Les critères retenus dans les études sont de deux ordres: la notion d’une création apportant une innovation dont la valeur scientifique et/ou artistique est indéniable d’une part et la notion de rapidité de production d’autre part. Sur ces bases, on retrouve une proportion plus élevée de personnes présentant un tempérament dont les humeurs sont plus labiles chez les « créatifs » que dans le reste de la population. Toutefois, l’idée reçue et très classique en art qui associe les émotions négatives et la créativité est régulièrement battue en brèche dans toutes les observations: l’état dépressif apparaît clairement comme un poison pour la création. Cependant, le fait d’en sortir ou l’évocation de cet état peuvent constituer des sources d’inspiration: pensez donc à Baudelaire et son spleen !

Mais qu’en est-il de la bipolarité ? Eh bien, il faut chercher dans les résultats des superbes travaux de l’équipe suédoise dirigée par Simon Kyaga pour trouver des réponses. Appuyée sur plus de 300000 personnes grâce aux registres nationaux mis en place, l’étude a porté sur les liens éventuels entre professions créatives (chercheurs, artistes, professeurs d’université, concepteurs…) et pathologies mentales.

Le premier constat est qu’il y a significativement plus de patients bipolaires dans ces catégories professionnelles surtout dans les domaines artistiques (à l’exception notable des écrivains). En revanche, la schizophrénie n’est associée que très légèrement avec le domaine des arts visuels. L’explication? La bipolarité partagerait-elle des chromosomes avec le génie? Non, bien sûr. Mais souvenez-vous des caractéristiques d’un accès hypomane (c’est-à-dire avant que la pensée ne soit totalement désorganisée) : augmentation de l’impulsivité donc de «l’agir», de la confiance en soi, de l’enthousiasme, amélioration des associations libres, affranchissement des cadres classiques, besoin de multiplier les expériences et fatigabilité limitée… Autant d’éléments indispensables pour la création! Ceci est bien confirmé par l’étude de véritables génies créatifs chez lesquels on retrouve une labilité émotionnelle, une tendance hypomaniaque, des personnalités ouvertes à la nouveauté et une tendance à remettre en cause les choses établies… Bien évidemment, de nombreuses personnes souffrant de bipolarité ne sont pas créatives et de nombreuses personnes créatives ne sont pas atteintes de bipolarité mais on voit comment l’accès hypomane est une circonstance facilitatrice.

Alors, faut-il traiter? Il faut bien avouer qu’il existe peu d’études qui se soient véritablement intéressées aux liens entre traitements et créativité mais il est clair que les périodes de manie ou de dépression sont incompatibles avec une production de qualité. Les thérapeutiques permettent de limiter ces phases toxiques et donc sont plutôt respectueuses de la créativité mais c’est avec le patient qu’il faut trouver le juste compromis.

A lire aussi : Nos héros sont malades : John Rambo, l’incarnation du trauma

Extrait du livre de Christophe Debien et Ben Fligans, « Nos héros sont malades », publié aux éditions HumenSciences

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