Nos héros sont malades : John Rambo, l’incarnation du trauma<!-- --> | Atlantico.fr
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L'acteur américain Sylvester Stallone pose lors d'un photocall pour son nouveau film John Rambo au stade Santiago Bernabeu de Madrid, le 28 janvier 2008.
L'acteur américain Sylvester Stallone pose lors d'un photocall pour son nouveau film John Rambo au stade Santiago Bernabeu de Madrid, le 28 janvier 2008.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Debien et Ben Fligans ont publié « Nos héros sont malades » aux éditions HumenSciences. Que se passe-t-il dans la tête d'Hannibal Lecter et dans celle de Rambo ? D'où vient l'inquiétante aura de Tony Soprano ? Christophe Debien, psychiatre hospitalier et co-auteur de la chaîne youtube Psylab, révèle les troubles psychiatriques : dépression, schizophrénie, bipolaires..., des héros et anti-héros du cinéma et des séries télévisées. Les illustrations de l'artiste Ben Fligans nous replongent dans les scènes cultes. Extrait 1/2.

Christophe Debien

Christophe Debien

Christophe Debien est psychiatre, responsable de pôle du Centre National de Ressources et de Résilience et responsable national du dispositif VigilanS de prévention du suicide. Il applique les grandes théories psychiatriques aux héros de la pop-culture sur sa chaîne youtube Psylab (139 000 abonnés), créée en collaboration avec Geoffrey Marcaggi.

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Ben Fligans

Ben Fligans

Ben Fligans est un artiste illustrateur basé à Lille.

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Si vous avez raté le début: First Blood

John Rambo est un vétéran de la guerre du Vietnam de retour au pays. Il est arrêté pour vagabondage par le shérif d’une petite ville qu’il traverse. Maltraité, il s’évade du commissariat et se réfugie dans la forêt. Commence alors une chasse à l’homme qui se transforme très vite en guérilla sanglante. Seul le colonel Trautman, son mentor, semble capable de le stopper.

Difficile d’être dans la peau de John Rambo, de rentrer au pays après avoir participé à une guerre que tout le monde renie. Difficile surtout de reprendre le cours d’une existence «normale» lorsque l’on souffre d’un état de stress post-traumatique.

Si beaucoup ont retenu de Rambo le côté combattant impitoyable et sauvage, la brute sanguinaire, rares sont ceux qui ont compris que l’ancien membre des forces spéciales était avant tout un homme transformé par le psychotrauma. Pourtant, dès l’origine, Rambo est un héros marqué par les horreurs des combats, un soldat qui ne maîtrise plus tout à fait ses réactions, un être qui ne fait plus partie de la «communauté des hommes».

Avant de devenir un film emblématique, First Blood, a été un roman à succès. C’est même le premier ouvrage écrit par David Morrell, écrivain et ancien professeur de littérature américaine, entre 1968 et 1972. À l’époque de sa rédaction, l’état de stress post-traumatique n’est pas encore reconnu dans les classifications internationales des maladies: le terme de « syndrome de stress post-traumatique » n’apparaît en effet dans le DSM III (l’ouvrage de référence de classification des maladies aux États-Unis) qu’en 1980.

C’est en discutant et en observant ses élèves que Morrell, fraîchement débarqué du Canada, réalise les conséquences de la guerre du Vietnam et décide d’en témoigner à travers le récit d’un vétéran. First Blood paraît en 1972 et devient très vite un best-seller dont les droits d’adaptation cinématographiques sont aussitôt achetés. Dans l’ouvrage, Rambo (qui ne se prénommera John qu’à l’écran) est décrit comme un être violent, incontrôlable qui finit par mourir de la main du colonel Trautman.

S’il a fait l’objet de récupérations politiques involontaires sous l’ère Reagan, John Rambo, dans sa première apparition cinématographique, est bien l’un des personnages de fiction qui nous permet le mieux d’appréhender l’état de stress post-traumatique. C’est donc en sa compagnie – musclée – et celle de quelques invités de marque que je vous propose de découvrir les principaux symptômes de ce trouble.

REGARDER LA MORT AU FOND DES YEUX

L’exposition à des événements graves entraîne, bien souvent, de nombreuses conséquences à plus ou moins long terme : réactions de peur, d’angoisse, modifications de la perception de notre environnement, etc. Mais cela ne suffit pas pour déclencher un état de stress post-traumatique : il faut pour cela qu’il y ait une rencontre directe avec la mort; une confrontation soudaine et brutale à un événement qui met le sujet en danger, qui menace gravement son intégrité physique ou sexuelle. L’état de stress post-traumatique peut également être trouvé chez les témoins directs d’une scène atroce.

Ainsi, il est assez intuitif de considérer que la participation à un conflit armé suffit en soi pour entraîner un état de stress post-traumatique. Mais, en réalité, les choses sont un peu plus complexes et le psychotrauma se cristallise souvent sur un épisode en particulier. Dans First Blood, par exemple, on comprend très vite que John Rambo a été marqué par les tortures qu’il a subies lorsqu’il était prisonnier: ce sont elles qui sont à l’origine des reviviscences et du déchaînement de violence de la seconde partie du film.

Toutefois, l’événement qui obsède le vétéran, qui envahit ses nuits, qui a «fait trauma» n’est en fait révélé qu’en toute fin du film, au cours de la confrontation avec le colonel Trautman qui tente alors de le ramener à la raison. Rambo se lance dans un émouvant monologue où il décrit la mort horrible de l’un de ses camarades. C’est dans ce récit – un épisode souvent oublié par les spectateurs – que se niche la véritable clef de First Blood. C’est là que l’on comprend que John Rambo n’est pas qu’une machine de guerre mais qu’il est un homme brisé par ce jour où, en permission dans une petite ville du Vietnam, il assiste à la mort de son frère d’armes dans une explosion. Sylvester Stallone interprète avec brio ce soldat effondré qui revit, en le racontant, les terribles instants où il a tenté de se débarrasser des entrailles de son compagnon répandues sur lui…

Nombreux sont les personnages souffrant d’état de stress post-traumatique à l’écran dont la confrontation traumatique se situe dans un épisode de guerre : que ce soit dans la série Peaky Blinders où les frères Shelby sont tourmentés par le souvenir d’un massacre au fond d’une tranchée lors de la Première Guerre mondiale ou encore dans Valse avec Bachir, où le personnage principal, Ari Folman est un témoin privilégié du massacre de Sabra et Chatila au Liban.

Toutefois, d’autres événements, même s’ils sont moins utilisés par les scénaristes, peuvent être à l’origine d’un état de stress post-traumatique : les catastrophes naturelles, les agressions de toute nature (Jessica Jones, célèbre héroïne de comics et d’une série sur Netflix, souffre de ce syndrome à la suite de multiples agressions sexuelles), les accidents de la route, les accidents industriels, etc. L’important est la confrontation directe avec la réalité de la mort. Bruce Wayne alias Batman en est l’un des exemples les plus célèbres: l’assassinat de ses parents constitue même le traumatisme fondateur de sa vocation… une autre conséquence de l’état de stress post-traumatique dont je parlerai plus tard.

Enfin, pour être complet, il faut également citer les troubles dont peuvent souffrir les sauveteurs et tous les professionnels qui, dans le cadre de leurs activités, sont soumis à des scènes extrêmes de façon répétée. Assez peu mis en avant dans les fictions, ils constituent pourtant en filigrane l’explication de comportements problématiques comme les addictions: il faut voir ou revoir l’excellent et déjanté Bringing Out the Dead de Martin Scorsese où Nicolas Cage campe un paramedic hanté par les visages de tous ceux qu’il n’a pas pu sauver.

REVIVRE L’HORREUR, ENCORE ET ENCORE…

Les symptômes qui caractérisent l’état de stress post-traumatique peuvent apparaître plusieurs semaines, mois, voire années après la confrontation initiale. S’ils surviennent plus tôt, on parle d’état de stress aigu.

Parmi ces symptômes, ceux qui ont la préférence des scénaristes et réalisateurs sont, sans conteste, les reviviscences et les cauchemars traumatiques en raison de leur grand potentiel visuel et/ou narratif. Les reviviscences sont des souvenirs qui s’imposent au sujet, soit de façon spontanée, soit en réponse à un stimulus lié à l’événement traumatogène : la sirène d’une ambulance, une odeur de brûlé, la vision d’une goutte de sang… ou, comme dans le cas de Rambo, un comportement: lorsque les policiers veulent le raser de force lors de son incarcération (scène 1), le vétéran est assailli par les souvenirs des tortures qu’il a subies lorsqu’il était prisonnier de guerre (scène 2).

Ces «situations gâchettes» déclenchent alors un ensemble d’hallucinations directement liées à la confrontation traumatique. Elles peuvent concerner n’importe lequel des cinq sens: l’odorat, l’ouïe, le goût, la vision et même le toucher. Particulièrement intenses, elles plongent le sujet au cœur de l’événement traumatique comme s’il était de nouveau dans la même situation. La victime est alors submergée par les réactions physiologiques d’angoisse et de frayeur: il revit l’horreur initiale, encore et encore…

C’est exactement ce qui arrive à Tony Stark, alias Iron Man qui, alors qu’il a été traumatisé par sa confrontation avec les extraterrestres, souffre de crises d’angoisse invalidantes lors de situations stressantes. Le superhéros va d’ailleurs sombrer dans la dépendance alcoolique pour tenter de juguler ses crises. L’état de stress post-traumatique chez les superhéros (que l’on peut aisément transposer dans le « monde réel » à tous les professionnels exposés de façon répétée à la violence) est même devenu l’objet d’une mini-série de comics, Heroes in Crisis (réunie en un seul tome en français et parue en février 2020 chez Urban Comics), scénarisée par Tom King, ancien membre de la CIA.

À côté des reviviscences ou flash-back qui surviennent souvent dans la journée, on retrouve aussi les cauchemars traumatiques qui constituent leurs équivalents nocturnes. Là encore, il ne s’agit pas de simples rêves désagréables mais de véritables plongées dans l’événement initial avec tout un cortège de manifestations psychologiques et physiques d’effroi.

Afin de tenter de se protéger de ces phénomènes, les sujets luttent contre le sommeil (c’est le cas de Travis Bickle dans Taxi Driver) ou consomment des toxiques pour « s’abrutir» (c’est le cas de Thomas Shelby dans Peaky Blinders qui noie ses peurs dans l’opium).

On comprend aisément l’intérêt des scénaristes et réalisateurs pour ces manifestations de l’état de stress post-traumatique : elles permettent d’introduire une vulnérabilité qu’ils pourront exploiter au moment où ils en auront besoin pour attiser le suspense. Correctement utilisés, reviviscences et cauchemars permettent même de brouiller totalement les pistes du récit en mélangeant souvenirs et réalité comme dans l’excellent et tortueux L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne (1990) qui entraîne le spectateur entre folie, pathologie traumatique et fantastique.

Extrait du livre de Christophe Debien et Ben Fligans, « Nos héros sont malades », publié aux éditions HumenSciences

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