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No sex : la proportion d’Occidentaux n’ayant pas de relation sexuelle atteint de nouveaux records
©Andrew Burton / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

En Berne

Une étude américaine conclue que la part des Américains qui n'ont pas de relations sexuelles dans l'année a atteint un record en 2018.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : Une étude américaine conclue que la part des Américains qui n'ont pas de relations sexuelles dans l'année a atteint un record, que cette croissance est surtout nourrie par une classe d'âge : les 18-29 ans (23% d'entre eux n'ont pas eu de relations sexuelles dans l'année en 2018 contre 14% en 1989) et parmi ces jeunes, par les jeunes hommes de 18-29 ans (28% d'entre eux n'ont pas eu de relations sexuelles dans contre 18% des jeunes femmes du même âge). Selon vous, quelles sont les causes de cette croissance forte de l'absence de relations sexuelles chez les jeunes hommes américains ?

Michelle Boiron : Les mœurs ont fait évoluer les représentations de la sexualité. Reste que l’invariant d’une qualité de relation sexuelle se situe dans la relation à l’autre considéré comme sujet et non comme objet.

La constatation de la baisse très significative de relation sexuelle chez les hommes jeunes est multi factorielle. On constate d’un côté le déclin du sexe alors que d’un autre côté on en n’a jamais autant parlé. Mais de quoi parle-t-on en réalité ?

Je reprends les propose d’Isabelle Chaboudez dans son manuscrit : Rapport sexuel rapport de sexes : « Le rapport sexuel fait l’objet d’une question, lorsqu’il ne fait pas l’objet d’un interdit. La Grèce Antique, la Chine ancienne prescrivait à l’homme de « retenir sa semence » afin d’atteindre une « béatitude spirituelle ». Quand à la sexologie américaine du XXème siècle, elle décrivait une discordance des réactions sexuelles de l’homme et de la femme… » 

Il me semble qu’il est très important de faire la différence entre la relation sexuelle avec un  tiers et la sexualité individuelle masturbatoire. Les modes de jouissances ont changé : on est passé d’une interdiction de se masturber (ça rend sourd ) à une prescription : « masturbez vous » recommandation pour la Santé Sexuelle.

Il n’en reste pas moins que la relation sexuelle partagée est en berne. Ainsi, une forme de sexualité orientée autour de sa propre jouissance tend à devenir la norme. Dans cette course à la jouissance, l’homme en veut toujours plus et cherche à multiplier les sensations. Internet et son accès facile lui offrent cette possibilité.  Or le réservoir de libido n'est pas infini et la pratique masturbatoire peut, chez certains êtres, remplir la totalité de leur « besoins » au détriment d’une relation sexuelle partagée. J’illustrerai mon propos par la dernière prescription que j’ai faite à une patiente qui se plaignait d’absence de libido et qui se masturbait régulièrement. « Essayez de ne plus vous masturber quelques temps ». Elle est sortie dubitative de la consultation. Elle est revenue, à la séance suivante, très heureuse du transfert de libido qui s’est posé sur le partenaire en cause. Ce cas n’est pas généralisable cependant il témoigne de se connaitre mieux afin d’écouter en priorité  ses rythmes qui sont tout d’abord physiologiques. Chaque être à une libido même en l’absence d’un tiers ! Certains témoignent d’une très forte libido et peuvent jouir en toute liberté de tout ce qu’il leur est proposé, d’autres se voient parfois amputés de la relation sexuelle. Pour d’autres c’est tout simplement l’anxiété le stress qui peut empêcher la relation.   

La croissance de cette statistique est surtout marquée depuis 2008 : ne peut-on pas voir également dans ce phénomène un résultat de la crise économique, en corrélant ce résultat à la croissance du chômage chez les jeunes hommes ?

Le sujet humain est un être culturel. Il faut donc étudier le système de valeurs et de croyances d’une société pour accéder à la compréhension des comportements sexuels. On constate alors que la sexualité de la quasi-totalité des individus est conforme aux normes du groupe social auquel ils appartiennent.

On peut tout d’abord constater que la levée de la frontière du domaine « privé » de la vie sexuelle a dévoilé la fragilité de la sexualité de l’homme. Le leurre du siècle dernier, dit de libération sexuelle a fait miroiter une jouissance libre. Les interdits ont disparu, le désir aussi !

De manière sociétale il est probable que la difficulté de trouver un emploi, la longévité des études pour certains,  l’obligation matérielle de différer le départ de chez les parents (sans être des Tanguis) sont des facteurs qui retardent l’autonomie.

Cela réduit aussi la possibilité de maintenir une relation stable. Quand je ne travaille pas je recule la possibilité d’une vie de couple. D’après cette étude une corrélation serait faite sur la baisse de relation sexuelle et l’absence d’un partenaire attitré.

Ce n’est pas ce que l’on constate dans les consultations de sexologie. Le passage à la vie de couple installée sous le même toit ferait souvent baisser de manière significative les rapports sexuels, du fait de l’habitude et du traintrain quotidien.

Mais revenons à nos jeunes hommes et à la sècheresse du rapport sexuel en forte hausse. La part du monde virtuel prend une place de plus en plus importante voire toute la place. La technologie, streaming vidéo, réseaux sociaux, consoles de jeux, sites de rencontres réduisent le besoin de rapport physique et la communication de contact réel au profit du virtuel. On se cache derrière sa tablette, son Iphone pour différer voire supprimer la vraie rencontre. 

Le partenaire si il ou elle existe n’est dans la plupart des cas qu’un support d’imagination. Alors qu’avant il était l’élément essentiel de l’acte sexuel directement lié à une rencontre interpersonnelle. En revanche il n’y a jamais eu autant de sites de rencontres créées ces dernières années. Certains échanges aboutissent, alors que la plupart restent virtuelles. Elles donnent l’illusion de contacts et font un pansement à la solitude dont les jeunes se plaignent. En revanche on constate que la relation est soit virtuelle soit se recrée avec un partenaire connu donc rassurant d’un temps ancien de l’adolescence, du lycée … On voit la dichotomie entre l’excitation de l’inconnu et le bénéfice des repères avec du connu.

Les jeunes hommes américains sont aussi beaucoup plus nombreux que les femmes à habiter encore chez leurs parents. Comment expliquer cette différence entre hommes et femmes ? Les femmes se marient-elles plus tôt ou gagnent-elles une indépendance sans mariage ? Peut-on corréler cette inégalité avec la croissance de l'absence de partenaire évoquée plus haut ?

On ne peut nier le nouveau rôle de la femme et des conséquences sur le rapport homme femme qui évolue tellement qu’il va falloir un long moment avant de retrouver un équilibre !

D’un côté l’homme du XXIème siècle doit avouer sa fragilité et exposer ses faiblesses tout en conservant sa virilité, sa force, être l’étalon qui fait jouir les dames et de l’autre la femme qui, jusqu’alors, était plutôt dans le rôle de la soumission et qui aujourd’hui revendique son plaisir. Elle ne veut plus que sa jouissance soit sacrifiée. Elle refuse d’être l’objet de sa jouissance à lui. Or l’homme n’a pas encore trouvé le mode d’emploi : il doit être puissant, protecteur, doux et dur à la fois.

C’est précisément ce changement dans la relation amoureuse qui incite l’homme et la femme à rendre l’autre responsable de l’échec de la relation. Chacun omnibulé par sa jouissance a cherché un truchement pour palier à l’absence de rapport réussi.  

Le virtuel a rempli un vide existentiel. La pornographie y a pris une place  de plus en plus importante jusqu’à devenir addictive pour beaucoup d’hommes et de plus en plus jeunes. Se sont aussi démocratisés des techniques et des objets de jouissance autonome afin de jouir à tout prix. Les sextoys vibrants ont eu la part belle. Je n’ai rien contre Je rappelle juste que n’existant pas encore de pénis vibrant il est préférable de ne pas y avoir recours… Cela pour éviter que notre cerveau n’enregistre comme il sait si bien le faire une jouissance qui n’est pas reproductible avec un tiers réel !  

En revanche il me semble qu’on ne peut nier l’importance du féminisme et des mouvements comme Me Too pour mesurer l’évolution de la sexualité féminine. La femme expose son désir, le revendique à juste titre et l’homme en parallèle se recroqueville dans sa coquille s’expose moins et se réfugie dans une sexualité virtuelle où il ne sera pas confronté au regard de la femme qui l’exige.

La femme dans l’évolution de son désir ne doit pas oublier non plus qu’elle le puisait dans le désir de l’homme. Cela impliquait évidemment de le susciter et de l’entretenir. Je vous laisse juge !

L’émancipation de la femme en partie aussi acquise par sa réussite dans les diplômes, par l’obtention de postes importants dans le travail a participé à son autonomie et donc lui a permis de quitter le nid des parents plus vite qu’avant et aussi plus vite que les garçons du même âge.

Je conclurai avec un extrait du livre de Comte-Sponville dans Le Sexe ni la mort : « Il y a dans la sexualité humaine comme un  point aveugle ou aveuglant : qu’on veuille s’approprier l’autre comme une chose (et son corps en est une quoique animé), tout en sachant qu’il n’est pas une chose, ou pas seulement ni surtout, il n’y aurait rien d’érotique sans sa possession. L’angélisme dans ces domaines est tout aussi ridicule que la diabolisation. Condamner le sexe ? C’est se condamner soi, et toute l’humanité, et toute vie peut être. Mais faut-il pour autant n’y voir qu’un loisir agréable ? »

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