Ni FN du nord, ni FN du sud : comment le parti prend un nouvel élan en Bretagne en s'inventant un autre visage <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Front national prend un nouvel élan en Bretagne.
Le Front national prend un nouvel élan en Bretagne.
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Lifting

Marine Le Pen était en déplacement en Bretagne samedi 25 octobre. La région, qui jusqu'ici n'était pas connue pour être un bastion frontiste, devrait ces prochaine années offrir des résultats électoraux dépassant régulièrement les 15 %.

Atlantico : Marine Le Pen était en déplacement  en  Bretagne samedi 25 octobre. Alors que la région traverse actuellement une crise, le FN, qui traditionnellement réalise des scores très faibles dans l'Ouest, peut-il y réussir une percée ? Est-il actuellement en progression dans cette région ? Comment l'expliquez-vous?

Guillaume Bernard : Dans l’Ouest (Bretagne et Aquitaine), le vote FN a déjà progressé ces dernières années, même s’il reste en dessous des scores nationaux de ce parti. Il n’a longtemps obtenu qu’entre 5 et 10 % des suffrages exprimés, ce qui rendait son impact négligeable. Désormais, il est susceptible d’atteindre assez souvent les 15 % (ce fut le cas, en particulier, à l’occasion de la présidentielle de 2012). Jusqu’à présent, la carte des meilleurs résultats du FN dans tout l’Ouest recoupait celle de la droite modérée ; le FN obtenait ses moins bons résultats là où le PS était en tête. Il est possible que la partielle de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) de juin 2013 marque un tournant : le FN capte aussi des votes de gauche.

Quant à la Bretagne, son cas est assez intéressant car tout en restant une terre catholique, elle a, en particulier sous l’influence intellectuelle de la démocratie chrétienne, basculé à gauche dans les années 1980. Or, si le facteur religieux est, généralement, une variable conduisant à un vote modéré, il semble que la pratique religieuse soit moins qu’auparavant un obstacle à un vote plus extrémiste (le FN a progressé de 7 points parmi les catholiques pratiquants entre 2007 et 2012). Ce parti peut donc espérer capter des votes, par exemple, parmi des électeurs de gauche qui ont été choqués par le « mariage homo » et des électeurs de droite déçus des revirements de l’UMP sur cette question. En outre, des raisons économico-sociales peuvent expliquer la possible progression du FN : l’augmentation des prélèvements obligatoires peut être vécue comme confiscatoire et les normes européennes (en particulier dans le domaine de l’agriculture et de la pêche) peuvent être jugées liberticides.

Pour le FN, à l’Ouest, il peut y avoir du nouveau…

Xavier Chinaud : Il y a aujourd’hui un potentiel électoral en hausse pour le FN en Bretagne, mais la « percée » ne parait toutefois pas certaine. Les difficultés à constituer des listes sont réelles pour l’extrême droite dans une terre de « modération catholique » et le contexte national peut encore évoluer sensiblement dans les 5 mois.Enfin n’oublions pas qu’une majorité d’électeurs est encore aujourd’hui motivée par des raisons locales quant à son vote municipal.

Cependant, le risque existe de voir le FN progresser par son positionnement opportuniste. Il est aujourd’hui, comme l’a justement analysé F. Miquet Marty, le seul à relier les « rejets » qui traversent la société en crise, « rejets » incarnés par les boucs émissaires agités comme des hochets : les "puissants", qui mépriseraient le respect, les "assistés", qui négligeraient la valeur travail, et les "étrangers", qui conjugueraient manque de respect et d'effort ; et enfin le « ras le bol » ressenti en Bretagne comme ailleurs du fait de la crise, des difficultés et des taxes.

Par ailleurs, le positionnement actuel de l’opposition nationale, systémique et droitier ne correspond pas à la réalité bretonne, la droite serait d’avantage en mesure d’incarner une alternance au PS dominant et de reconquérir des villes si elle adoptait, comme le défend Alain Juppé, un profil plus conforme et ancré dans ses valeurs. Seuls deux maires de grandes villes bretonnes appartiennent aujourd’hui à l’opposition nationale et peuvent être réélus dans 5 mois. Il est notable de constater qu’ils ont cet ancrage et un profil d’humilité, de travail et de modération, avec, à Vannes, David Robo et à Saint Brieuc Bruno Joncour…

On oppose souvent le FN du Nord, qui s'exprimerait surtout sur les problématiques économiques et sociales, et le FN du Sud qui s'exprimerait davantage sur les thématiques identitaires. Peut-on désormais parler de FN de l'Ouest ? Quelles seraient ses caractéristiques ?

Guillaume Bernard : La ligne allant du Havre à Perpignan a longtemps servi pour décrire le vote FN : fort à l’Est, faible à l’Ouest. Désormais, il semble que le vote FN progresse aussi à l’Ouest. Ce sont, naturellement, les mêmes facteurs qui expliquent son développement à l’Ouest comme à l’Est : les questions identitaires et sécuritaires (comme dans le Sud-Est) et économiques (comme dans le Nord et l’Est).

Cependant, il est possible qu’il y ait des motivations plus spécifiques : d’une part, dans les régions rurales, un vote de protestation résultant d’un sentiment d’abandon (à cause de la paupérisation et du démaillage du service public) et, d’autre part, dans les moyennes et petites villes, un vote de prévention (notamment de la part des personnes qui ont fui ou ont été chassées des grandes métropoles).

Il y a donc, dans l’Ouest aussi, les ingrédients d’un vote populiste : venant originellement de la droite mais aussi de la gauche, il s’enracine dans la défense du niveau de vie (patrimoine matériel) et du mode de vie (patrimoine immatériel).

Xavier Chinaud : Il n’existe pas aujourd’hui de « FN de l’Ouest » avec une spécificité qui serait aussi prononcée que celle Nord/Sud évoquée dans votre question. Il y a par contre « un FN de crise » économique-politique et sociétale.

Sa marge de progression semble aujourd’hui résider d’avantage dans ceux qui souffrent économiquement , socialement et d’isolement ; ceux qui ont le sentiment d’être laissés pour compte et incompris par l’Etat central et qui ne croient plus en l’efficacité du politique.

Une étude récente (publiée dans Atlantico) montrait en partie l’évolution historique qu’a connu la Bretagne, notamment ces dernières décennies ; dans ce domaine, les analyses ne trouvent vérité que dans les urnes, donc a posteriori.

En Bretagne comme ailleurs, les électeurs découragés qui envisagent aujourd’hui un vote FN ne se soucient pas de la validité ou pertinence des « solutions » proposées par Marine Le Pen, ils expriment une souffrance, des craintes, parfois des peurs sur lesquelles l’extrême droite joue dangereusement.

Le géographe Christophe Guilluy a mise en évidence l'existence d'une nouvelle géographie sociale fondée sur l'opposition entre les métropoles en phase avec la mondialisation et la périphérie de plus en plus marginalisée. La géographie électorale a-t-elle également volé en éclat ? Se confond-t-elle avec cette nouvelle géographie sociale ?

Guillaume Bernard : Il est certain que la géographie sociale influe sur les résultats électoraux. Le phénomène décrit par Christophe Guilluy est naturellement essentiel car il conduit à analyser les catégories socio-professionnelles avec un œil nouveau. Ouvriers, employés, artisans et petits commerçants étaient traditionnellement classés dans des groupes distincts, voire opposés. Leur commune relégation spatiale et paupérisation économique les rend solidaires. Ils sont la France périphérique (65 % de la population !) qui vit au-delà des banlieues et dans des villes échappant au dynamisme des métropoles.

Quand on sait que, en raison de ses conditions économiques, sociales et culturelles de vie, cette France du péri-urbain et du monde rural est attentive au discours du FN, on comprend mieux la progression de celui-ci.

Xavier Chinaud : La géographie électorale évolue, les travaux de C.Guilluy ont, avec la géographie approfondie , éclairé des analyses électorales déjà plus anciennes que nous esquissions avec d’autres, notamment Jérôme Fourquet dès 2002.

La science électorale n’est pas, contrairement à la géographie une science juste, elle se nourrit de cette dernière comme de sociologie, d’histoire et de la réalité des hommes et des femmes sur le terrain.

L’évolution se poursuivra et chaque élection gardera sa spécificité… et sa part de surprise.

Il est clair qu’il y a aujourd’hui plusieurs France et la seule majorité se dessinant est celle de ceux qui sont du mauvais côté de la barrière.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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