Nathalie Goulet : “Pourquoi acceptons-nous des baisses de remboursement sur les médicaments et les lunettes alors que l’Etat pourrait trouver de l’argent en luttant contre la fraude ?”<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement veut faire des économies sur l'Assurance maladie.
Le gouvernement veut faire des économies sur l'Assurance maladie.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Mauvaise pioche

Le gouvernement semble vouloir faire des économies à tout prix sur la sécurité sociale. La piste d'un moins bon remboursement des médicaments est sur la table.

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Atlantico : Le gouvernement envisagerait de doubler le reste à charge des patients qui achètent des médicaments. Vous vous êtes indignée de cette possibilité, pourquoi ?

Nathalie Goulet : Je suis consternée par certaines pratiques visant à renflouer les caisses sur le dos des assurés qui sont vraiment scandaleuses. Il est crucial de récupérer les fonds détournés des fraudeurs avant de songer à toucher aux réserves des assurés. En ce qui concerne les dépenses médicales, il serait opportun d'exercer une pression sur l'industrie pharmaceutique, qui n'a d'ailleurs , il faut le rappeler ,pas payé d'impôts sur les superprofits considérables générés lors des années Covid. Une stratégie viable consisterait à les encourager à produire des médicaments en doses individuelles. Par exemple, lorsque vous avez besoin de 3 comprimés, vous ne devriez pas être contraint d'acheter une boîte de 10. Cette approche serait économique et ressemblerait à ce qui est en place aux États-Unis. 

Parlant des autres mesures liées à la santé, il y a plusieurs problèmes majeurs à aborder. Tout d'abord, la fraude n'est pas du tout sous contrôle. La raison en est simple : l'organisme en charge, la caisse d'assurance maladie, est elle-même responsable du contrôle de sa fraude. Elle ne tient pas compte des recommandations de la Cour des comptes. Par exemple, il n'y a aucun lien entre le service d'immigration français et la carte vitale. Cela signifie qu'un travailleur étranger en France, muni d'un contrat de travail, d'un permis de séjour et d'une carte vitale, peut continuer à bénéficier de prestations même après l'expiration de son contrat et de son titre de séjour, cette situation ne peut plus durer.

La fraude à grande échelle dans l'assurance maladie est réelle, et je trouve tout à fait inacceptable que la première réaction soit de penser à réduire les remboursements pour les individus ayant cotisé toute leur vie, au lieu de s'attaquer aux fraudeurs qui abusent du système.

Et comprenez-vous pourquoi certains pourraient envisager de réduire les remboursements ?

Nathalie Goulet : Il est évident que l'on ne peut pas prendre le problème comme ça. Pour que les citoyens français acceptent de faire des sacrifices, il est primordial d'introduire plus d'équité dans le système. Les gens sont fatigués de voir leurs voisins bénéficier d'aides sociales sans travailler, ce qui suscite une grande frustration. En ce moment, je mène campagne dans une région rurale, et je peux vous assurer que les gens sont extrêmement agacés et irrités. Cela ne fera qu'ajouter au sentiment d’injustice  actuel  au sein de la nation, et cela ne devrait pas être considéré comme normal. La priorité devrait être de lutter contre la fraude, les paiements indus et les faux arrêts maladies, et seulement ensuite de demander des sacrifices aux assurés. Le contraire n'est pas acceptable.

Et donc, pour vous, qu'est-ce qui explique cette décision ?

Nathalie Goulet : Je dirais que c'est un mélange de paresse et de facilité. C'est simplement plus facile d'acheter une sorte de paix sociale, du moins c'est ce que l'on croit. En évoquant  cette mesure au milieu de l'été, juste avant le 15 août, on espère que les Français ne réagiront pas. Mais si cette politique persiste, je peux vous assurer que les tensions dans les territoires ne feront que croître. Les inégalités sont devenues insupportables pour beaucoup de gens, et ce sont les plus vulnérables qui risquent de payer le prix. Ce modèle ne fait que punir les mêmes personnes, encore et encore. C'est une situation explosive et cette proposition très maladroite.

Quel est le montant de la fraude sociale ?

Nathalie Goulet : D'après la Cour des comptes, il y a actuellement environ 75,3 millions de bénéficiaires de l'assurance maladie en France alors qu’il y a seulement 67 millions de Français, ce qui signifie qu'il y a déjà près de 8 millions de personnes fictives qui profitent du système. Les prestations sociales s'élèvent à environ 740 milliards d'euros par an, avec un taux de fraude d'environ 7 %. Cela dit, Gabriel Attal l’avait bien compris, il est crucial de mettre fin à cette petite musique qui oppose la fraude sociale à la fraude fiscale comme étant une indignation de droite ou de gauche. Les deux formes de fraude sont nuisibles pour les finances publiques et doivent être combattues ensemble,la fraude sociale n’est pas une fraude “de pauvre”, mais le fruit d'un réseau organisé.

À quel point est-il difficile de combattre cette fraude sociale ?

Nathalie Goulet : Il n’y a pas de volonté donc forcément c’est complexe. En commission des affaires sociales, il y a quelques années, Un rapporteur au Sénat proche du gouvernement a essayé d'enterrer le sujet de la fraude documentaire du SANDIA, service qui gère l’immatriculation des personnes françaises ou étrangères nées à l'étranger. Reculer devant l‘obstacle plutôt que de l'affronter !

C'est un défi considérable, et tant que les organismes chargés de gérer la fraude continueront à s'autocontrôler, je crains qu'il n'y ait pas de réelle avancée. Il est urgent de mettre en place un organisme externe chargé de superviser ces organismes. Des sanctions sévères devraient être imposées aux fraudeurs, ainsi qu'à ceux qui facilitent leurs activités frauduleuses. Si le contrôle est laxiste, la fraude devient monnaie courante. Bien sûr, certains chiffres sont présentés pour montrer la fraude détectée, mais ce qui compte vraiment, c'est la fraude non détectée.

En ce qui concerne la fraude sociale, quelles sont les solutions pour renforcer la lutte ? Les choses allaient-elles dans le bon sens avec Gabriel Attal ?

Nathalie Goulet : Un des aspects clés est de lier la carte d'identité à la carte vitale ou au moins au permis de séjour. Cela permettrait de nettoyer la base des bénéficiaires en éliminant les fraudeurs.

Gabriel Attal a marqué une vraie volonté et mis en place une proposition que je faisais depuis trois ans : interdire le versement des prestations liées au domicile français à l’étranger. On a un voté un texte sur les douanes et la fraude douanière  avec Gérald Darmanin, mais j’espère surtout que le successeur de Gabriel Attal va reprendre le flambeau laissé par son prédécesseur .

Le rapport que j’avais fait à la demande d'Édouard philippe avec Carole Grandjean sur la fraude aux prestations divisées devait être examiné par les commissions concernées au Parlement. La fraude transfrontalière doit être traitée par la commission des affaires européennes, tandis que la fraude purement sociale doit être discutée au sein de la commission des affaires sociales. Le sujet des  entreprises éphémères qui fraudent les cotisations examiné par la commission des affaires économiques. Il faudrait un plan massif pour que chacune des commissions puissent s’emparer de sa part du sujet.

Vous évoquiez le mécontentement des territoires, que craignez-vous ?

Nathalie Goulet : Les gens peinent à se soigner par manque de médecins, leurs retraites sont faible etc. ce genre de décisions va nourrir Marine Le Pen. Cette décision ne serait ni juste ni opportune. Et certains vont s’en servir pour dire qu’on préfère piocher chez les Français honnêtes plutôt que de chasser les fraudeurs. 

Quid de la responsabilité de la droite ?

Nathalie Goulet : La droite n’a pas voulu s’emparer de ce sujet, ou alors insuffisamment et trop tard. Les gouvernements successifs veulent acheter la paix sociale. La droite républicaine a toujours été timide sur ces questions. On a voté un texte en 2019, mais il faut véritablement un plan massif. L’argent de la fraude, c’est autant d’argent qui manque pour les hôpitaux, les infirmières et les services publics.

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