Effet boomerang
Nadine Morano, ses contempteurs et la perspective d'une France musulmane : qui sont vraiment les pompiers pyromanes dans les débats d'aujourd'hui ?
Face à la députée européenne, les contradicteurs du plateau de Laurent Ruquier ont été choqués à l'idée que la France pouvait avoir des racines judéo-chrétienne et être majoritairement blanche. Yann Moix a d'ailleurs affirmé "qu'un jour, la France pourra être musulmane, [...] ce sera le mouvement de l'Histoire". Une intervention malhabile qui nourrit contre son gré un scénario à la Houellebecq et attise les craintes identitaires.
Haoues Seniguer
Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)
Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.
Hayette Hamidi
Hayette Hamidi est Secrétaire Nationale pour le parti Les Républicains et présidente du think tank France Fière.
Vincent Tournier
Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.
Atlantico : Le passage de Nadine Morano sur le plateau de Laurent Ruquier samedi soir a provoqué une levée de bouclier. "Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général De Gaulle le disait, de race blanche qui accueille des personnes étrangères, a-t-elle déclaré. Je n'ai pas envie que la France devienne musulmane. Ce ne serait plus la France" a en effet déclaré la député européenne LR. Le fait de dire que la France est un pays majoritairement blanc et aux racines judéo-chrétiennes est-il devenu un scandale ?
Vincent Tournier : Le moins que l’on puisse dire, c’est que Nadine Morano a mis les pieds dans le plat. Elle est sans doute l’une des rares à pouvoir le faire. Comme elle n’a pas grand-chose à perdre concernant sa crédibilité auprès d’une certaine intelligentsia parisienne, elle peut se permettre de briser des tabous, de dire tout haut ce que plus personne n’ose dire tant la pression est forte. Vu sa piètre image auprès des élites, on pourrait d’ailleurs se demander pourquoi elle suscite autant de réactions : n’est-elle pas censée être dénuée de cerveau comme le clame Guy Bedos avec l’approbation des médias et des tribunaux ? En réalité, l’intelligentsia est secrètement ravie : avec Nadine Morano, elle a trouvé son vilain petit canard, son spécimen repoussoir, l’incarnation de la pensée "rance" qu’elle dénonce ; grâce à elle, il lui est facile de réaffirmer sa supériorité intellectuelle et de se conforter dans ses propres certitudes.
Le problème est que, en l’occurrence, le bon sens est plutôt du côté de Nadine Morano. Dire que la France est historiquement une société blanche est une évidence que seule une bonne dose de mauvaise foi peut refuser de voir. Sauf que, évidemment, rappeler cette évidence heurte de plein fouet le "mythe immigrationniste" qui se constitue depuis quelques décennies. Or, l’histoire s’écrit en fonction des enjeux du présent, et on assiste aujourd’hui à une lutte idéologique qui vise à modifier le contenu du récit national. Par exemple, on voit émerger l’expression des "racines sarrasines de la France", laquelle cherche à prendre le relais des "racines chrétiennes". Dans quelques années, on parlera sans doute des racines africaines ou asiatiques de la France. Le côté positif, c’est que ce nouveau récit devrait permettre aux minorités de mieux trouver leur place dans la société française. Le côté négatif, c’est qu’il n’est pas sûr que la vérité historique en sorte grandie.
Hayette Hamidi : Tout d'abord, je tiens à préciser que je ne reconnais évidemment que la race humaine. Quant aux théories fumeuses voulant absolument classer les femmes et les hommes selon une "pureté raciale", je les dénonce avec force. D'autant plus qu'encore récemment, notre pays a connu la barbarie nazie à ce sujet et la Shoah qui en a découlé.
Yann Moix, l'un des chroniqueurs de l'émission, déclara qu"'un jour, la France pourra être musulmane, et ce sera comme ça, ce sera le mouvement de l'histoire". A quel point faut-il être déconnecté des Français pour en arriver à exécuter le scénario de Michel Houellebecq sur la soumission des élites sans même en prendre conscience ?
Vincent Tournier : Le livre de Michel Houellebecq a fait scandale alors qu’il ne faisait que prendre aux mots ceux pour qui l’islam est l’avenir de la France. En somme, il leur disait : eh bien, chiche ! essayons d’imaginer comment pourrait s’effectuer la mise en place de cette France musulmane dont vous annoncez l’avènement. Le livre de Houellebecq est d’autant plus déstabilisant que, dans son scénario, les musulmans n’ont pas besoin d’être majoritaires. Dans le livre, le candidat musulman parvient à emporter l’élection présidentielle parce qu’il est soutenu par une coalition englobant les musulmans et les partis de gouvernement, ces derniers étant prêts à tout pour éviter la guerre civile et la victoire du FN.
On est évidemment dans la littérature de fiction, mais le succès du livre repose sur le fait que son hypothèse centrale, à savoir que les élites sont acquises à l’idée d’un basculement culturel vers l’islam, apparaît crédible aux yeux d’une partie des électeurs. Le propos de Yann Moix ne peut que lui donner raison : pour une partie des élites, la perspective d’une France musulmane est parfaitement logique. Le problème est que ces élites font fi des difficultés que pose la cohabitation de cultures très différentes. Je rappelle quand même que, en 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la charia, donc le droit musulman, n’est pas compatible avec les principes de la démocratie occidentale. On a le droit de souhaiter une France musulmane, mais encore faut-il expliciter ce que peut recouvrir un tel projet.
Hayette Hamidi : Il me semble que cette provocation de Yann Moix n'est que le reflet de son talent de romancier. Je reconnais là la fiction qu'il adore manier dans ses œuvres. Plus sérieusement, en dépit de la boutade, je trouve de très mauvais goût d'exprimer ce type de réponse : quel en est le but ? Démographiquement, il est particulièrement aberrant de dire que cela sera un mouvement de l'Histoire. Surtout, ce type de réponses cristallise les craintes et les fantasmes sur lesquels les extrémistes de tout bord veulent nous emmener.
Dans quelle mesure est-ce que la réaction de Yann Moix pourrait-elle s'avérer contre-productive de son point de vue, et alimenter le scénario tel que celui de Geoffroy le Jeune sur l'hypothèse d'une élection d'Eric Zemmour en 2017 ?
Haoues Seniguer : Pour ce qui est de Yann Moix, sur un tout autre registre que celui de N. Morano puisqu’il ne s’agit pas de stigmatiser des minorités ethniques et/ou religieuses, son propos se trouve d’une grande maladresse ; il nourrit le fantasme d’une islamisation rampante de la France et, in fine, donne du crédit à ceux qui voient l’islam et les musulmans de notre pays comme une cinquième colonne prête à s’emparer du pouvoir et à exercer sa domination sur les non-musulmans si les portes du pouvoir lui sont ouvertes.
Vincent Tournier : Un autre problème est que la cause antiraciste s’est emballée. Elle est devenue une idéologie, et le propre d’une idéologie, c’est de désigner des victimes et des bourreaux, en partant du principe que ceux qui ne sont pas du côté des victimes sont forcément du côté des bourreaux. C’est exactement la technique qu’utilisait le Parti communiste dans les années 1930 avec la rhétorique de l’antifascisme : "nous sommes les antifascistes, et si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes des fascistes".
La réalité est toutefois plus complexe. Les victimes se sont avérées être aussi, à l’occasion, des bourreaux. L’antisémitisme des milieux arabo-musulmans s’est révélé tellement massif que les juifs sont contraints de changer de quartier, voire de quitter la France. Lorsqu’Edwy Plenel écrit son livre Pour les musulmans, il dit vouloir s’inscrire dans les traces d’Emile Zola qui a publié en 1896 un article intitulé "Pour les juifs". La démarche est louable, mais aujourd’hui, l’urgence serait plutôt de faire lire le texte de Zola aux musulmans.
Par ailleurs, l’immigration s’est accompagnée de tout un lot d’incivilités en tout genre (dont le voile islamique n’est finalement qu’une des manifestations) qui ont contribué à segmenter les groupes sociaux et les espaces. Une agressivité quotidienne, gratuite ou crapuleuse,a prospéré au détriment des Français de souche, dont le drame est qu’ils ne peuvent même pas s’en plaindre puisque cette situation ne trouve pas sa place dans les schémas de pensée classiques de l’antiracisme. Je prendrais un seul exemple : l’agression antisémite de Créteil, à l’automne dernier, où un couple a été séquestré et violenté pour des motifs pécuniaires, avec un arrière-fond antisémite.Cette dimension antisémite a fait réagir les médias et les responsables politiques. C’est très bien, mais le problème est que, pour les Français de souche, cette situation est devenue tristement banale. L’Observatoire de la délinquance révélait ainsi que, en 2014, il y a eu 2.800 séquestrations, soit 8 par jour, parfois accompagnées d’actes de barbarie. Qui en parle ?
Hayette Hamidi : J'avoue que le scénario m'a fait sourire. Ce qui est intéressant de comprendre dans cette fiction, à mon sens, est la quête d'un candidat "extérieur". Cette idée n'est pas nouvelle : déjà en son temps Coluche incarnait cette candidature de l'extérieure.
A quoi cet aveuglement pourrait-il nous mener, cette nouvelle police du langage qui voudrait modifier le réel ? Voit-on émerger deux France qui ne pourraient plus se comprendre... Ni même se parler ?
Vincent Tournier : La politique implique un jeu sur le langage. Les mots sont chargés de sens et chaque camp tente d’imposer son vocabulaire. On peut prendre l’exemple classique de la gauche qui, après le tournant de 1983, s’est vantée de mener une "politique de rigueur", et non une "politique d’austérité", terme supposé de droite. Du temps de la guerre froide, les querelles sémantiques ont été omniprésentes. C’était la fameuse langue de bois des communistes, dont un exemple célèbre est celui des "camps de rééducation".
Le paradoxe est que les démocraties contemporaines continuent de produire ces jeux idéologiques sur le langage : on le voit avec les débats sur le politiquement correct, qu’il s’agisse de la théorie du genre ou des discriminations. Des tabous sont progressivement instaurés : on ne doit plus parler des "droits de l’homme", des "vieux", des "gitans" ou des "handicapés". Une approche hypercritique du langage tend à se développer, qui pourrait mener très loin : pourra-on encore utiliser le terme de "femme", par exemple ?
Cette évolution est très problématique parce qu’elle oublie que la politique suppose un débat public, et que nul débat ne peut avoir lieu si on refuse les mots qui font sens pour la grande majorité des citoyens. Un débat politique, ce n’est pas un débat philosophique. Le fait de parler de race n’implique pas de porter un jugement de valeur ou de faire une hiérarchisation entre les groupes, il s’agit simplement de décrire une réalité élémentaire, à savoir qu’il existe des traits physiques héréditaires. L’escroquerie intellectuelle actuelle est d’ailleurs que l’existence des races est implicitement confirmée par l’obsession envers la surreprésentation des Blancs dans la vie politique et médiatique : comment peut-on dire à Nadine Morano que la France n’est pas historiquement de race blanche et soutenir dans le même temps qu’il y a trop de Blancs à l’Assemblée ou dans les émissions de télé ?
Hayette Hamidi : Je pense qu'effectivement cela contribue à fracturer davantage notre société entre le peuple, d'un côté, et les élites intellectuelles et/ou politiques, de l'autre. Très clairement, nous le constatons au quotidien dans nos villages et nos quartiers ; sans verser dans le populisme gratuit, le fait de ne pas vouloir prendre en considération la réelle souffrance des français sous prétexte du politiquement correct amène inéluctablement à un rejet de ces élites et à une radicalisation.
De ce fait, comment construire un débat où ces deux France pourrait enfin s'entendre ?
Vincent Tournier : Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas avoir un vrai débat si on passe son temps à déconstruire le langage au lieu de se centrer sur les enjeux. Tel est peut-être le but implicite que poursuivent certains. La question de la diversité raciale et religieuse de la société française n’est pas une question anodine. Une évolution de ce type peut certes être très positive, mais elle recèle aussi des risques importants. Or, on peut difficilement conjurer ces risques sans les identifier et les discuter, ce qui implique de pouvoir les nommer. La promesse de François Hollande de supprimer le mot race de la Constitution, qui a débouché sur un projet de loi adopté en 2013 par l’Assemblée (mais pas encore par le Sénat) qui se limite à l’exclusion du mot race de l’ensemble du droit, a pour effet pervers de nier le débat avant même qu’il ait lieu.
Hayette Hamidi : La solution réside dans l'association de tous dans la production intellectuelle et la diffusion de solutions et d'idées, issues des réalités quotidiennes des françaises et des français. C'est ce que nous faisons avec FRANCE FIERE.
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