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Municipales, J-7 : comment savoir si votre maire a maquillé son bilan
©Reuters

Bidouillages

A l'approche des municipales, les maires peuvent être tentés d'alléger l'ardoise de la ville - quitte à faire peser la dette sur les contribuables - pour redorer leur mandat.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : A l'approche des municipales, certains maires rempilent, d'autres passent le flambeau. Dans les deux cas, le bilan de fin de mandat illustre ou non la dette des villes qu'ils ont administrées pendant au moins 6 ans. Comment savoir si notre maire a maquillé son bilan ? Quel sont les signes dont il faut se méfier ?

Jean-Luc Boeuf : Il est très difficile de maquiller un bilan ! Pour une raison très simple que la procédure budgétaire de chaque collectivité est rigoureusement encadrée, depuis la présentation des orientations budgétaires (OB) à l'automne de l'année précédant le budget jusqu'au vote du compte administratif (CA) en juin de l'année suivante, en passant par le vote à proprement parler du budget (budget primitif ou BP) et ses modifications en décisions modificatives (DM) ou budget supplémentaire (BS). Chaque étape est contrôlée par le comptable de la collectivité. Tant et si bien que les "accidents" budgétaires sont rarissimes en France depuis les années 1980. La procédure rigoureuse est certes complexe. Mais complexité ne signifie en aucun cas maquillage ! Pour ce qui est du bilan de fin de mandat présenté par les communes, il s'agit généralement d'un document destiné au grand public. Il est dont allégé au maximum de ses aspects comptables. Il ne doit pas moins présenter quelques réponses simples, et parmi celles-ci : la dette de la commune a-t-elle augmenté ? La charge de la dette s'est-elle accrue ? Pour les prochaines années, et en l'absence de tout nouvel investissement, la charge de la dette est-elle appelée à s'accroître ? Les signes dont il faudrait se méfier sont donc liés à la charge de la dette et au nombre d'années de recettes courantes qu'il faudrait pour éteindre complètement la dette de la commune.

De quelles manières peut-il le faire ?

On a beaucoup parlé des emprunts toxiques depuis la crise financière de 2008. Ces emprunts illustrent les dangers possibles de la dette. Traditionnellement un mandat municipal se décompose en trois phases pour ce qui est des investissements de la commune : en début de mandat tout d'abord, on calibre les programmes ; puis on passe les marchés de travaux et enfin on inaugure la réalisation des opérations en fin de mandat. C'est ce que les économistes appellent le cycle électoral d'investissement, sans que cette notion ne soit à aucun moment péjorative. A la fin du mandat 2001-2008, certains élus se sont trouvés en difficulté concrète pour financer les opérations lancées. Ils ont alors échangé du temps contre de la facilité. C'est-à-dire qu'ils ont accepté de signer des emprunts dont la charge était très faible les deux premières années puis soumise aux aléas des marchés en fonction des produits signés. Les produits complexes ont pu se révéler toxiques. Mais, au moment du bilan du mandat 2001-2008, rien de tel ne pouvait apparaître dans les comptes de la collectivité !

Comment faire la distinction entre une ardoise maquillée et une dette effectivement diminuée ?

La façon la plus simple est de regarder ce que les financiers appellent la "courbe d'extinction de la dette". Concrètement, il s'agit d'observer la façon dont la charge de la dette évolue d'année en année. Plusieurs cas de figure sont possibles sachant que, normalement la courbe doit avoir une forme qui se rapproche d'une "demi-cloche". C'est-à-dire que la charge doit diminuer d'année en année sur les quinze prochaines années. Cela signifie que le maire sortant a fait en sorte que, les années suivantes, les marges se reconstituent, permettant ainsi à l'équipe suivante (lui, s'il est réélu !) de pouvoir emprunter à nouveau. Une ville dont la charge de la dette serait affichée comme étant de 100 en 2014, puis 110 en 2015, 120 en 2016 aurait de quoi inquiéter. Cela signifierait en effet que, avant toute nouvelle décision, la charge de la dette - liée aux décisions passées rappelons-le - serait appelée à augmenter les années suivantes.

Le gommage de la dette d'une ville, par quelque moyen que ce soit, est-il de facto illégal ?

Avant de parler de gommage, il faut prendre en compte un mécanisme possible lié à l'effet retard des comptes. Ceci n'est pas une manœuvre visant à dissimuler quoi que ce soir mais tout simplement le fait que les comptes définitifs d'une commune sont connus le 30 juin de l'année qui suit l'année du budget. Ainsi les comptes définitifs de l'année 2013 seront connus le 30 juin 2014, à l'occasion du vote du compte administratif. Donc, pour cette campagne municipale, les derniers comptes définitifs disponibles sont ceux de l'année 2012. C'est donc de ce décalage entre les budgets primitifs et les comptes administratifs connus deux ans plus tard que peuvent naître des divergences de chiffres, et donc d'appréciation, entre ceux qui défendent un bilan et ceux qui sont challengers.

Ce "maquillage" qui allège l'ardoise des villes a-t-il des conséquences sur les contribuables ?

La notion de maquillage n'est pas idoine. En revanche, ce dont les électeurs doivent avoir conscience est le transfert possible qui a pu s'opérer entre la ville centre et son intercommunalité. En effet, la montée en puissance de l'intercommunalité est très forte aujourd'hui. Elle se traduit d'ailleurs, dimanche 23 et 30 mars, par le "scrutin fléché" pour l'intercommunalité, qui verra pour la première fois les électeurs désigner celles et ceux qui les représenteront à l'intercommunalité. Derrière ce mécanisme électoral, il convient de regarder les comptes de la ville centre et ceux de l'intercommunalité. Ainsi, une ville centre qui affiche une baisse de sa charge de dette peut en revanche voir la dette de la structure intercommunale augmenter, fortement ou non. C'est la raison pour laquelle les organismes financiers prêteurs considèrent aujourd'hui le bloc communal dans son ensemble lorsqu'ils sont saisis d'une demande de prêt ; que cette demande de prêt émane de la ville ou de l'intercommunalité. Un prêteur potentiel sera donc méfiant face à une ville centre qui allège sa dette alors que, dans le même temps, la dette l'intercommunalité augmente fortement. Pour ce qui est du contribuable, il faut mettre en parallèle deux éléments : le premier est que les emprunts d'aujourd'hui sont la dette de demain. Cet axiome est bien connu. Mais l'on oublie généralement le deuxième qui est qu'une dette très faible voire égale à zéro signifie en réalité que le contribuable d'aujourd'hui paie pour des investissements destinés à être utilisés pendant 20, 30, 40 ans ou plus.

Propos recueillis par Marianne Murat

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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