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Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a dit espérer que « les services spéciaux français » n'étaient pas « derrière » le récent attentat près de Moscou.
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a dit espérer que « les services spéciaux français » n'étaient pas « derrière » le récent attentat près de Moscou.
©Alexander KAZAKOV / POOL / AFP

Accusations grotesques

Après l'attentat de Moscou, la Russie va plus loin dans ses accusations impliquant tour à tour les services américains, britanniques, israéliens et même français, en tant que « mentors » de Kiev, d’être « vraisemblablement » pour quelque-chose dans cette affaire.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Moscou hystérise sa désinformation. Ainsi, les suspects qui ont commis les attentats du Crocus City Hall le 22 mars auraient « avoué » lors des interrogatoires qu'après l'attentat, ils devaient rejoindre Kiev pour toucher la rémunération qui leur avait été promise. Comme les photos des suspects visiblement torturés l’ont démontré, ce sont des aveux « spontanés ». Sous la torture, on avoue tout et son contraire…

Bien sûr, aucune preuve concrète n’est présentée.

Moscou va plus loin dans ses accusations impliquant tour à tour les services américains, britanniques, israéliens et même français, en tant que « mentors » de Kiev, d’être « vraisemblablement » pour quelque-chose dans cette affaire. Lors d'un entretien téléphonique qui a eu lieu le 3 avril avec son homologue français, le ministre russe de la Défense russe a dit espérer que « les services spéciaux français » n'étaient pas « derrière » le récent attentat près de Moscou…

Si la situation n’était pas aussi tragique, ce serait risible tant c’est ridicule… Mais il faut se rappeler que ce sont des discours à usage interne. Le problème est qu’ils trouvent un écho au sein des sphères complotistes en Occident…

D’ailleurs, l'Etat islamique a bien compris ce qui se passait et a déclaré : « en blâmant les pays occidentaux pour l'attaque terroriste, la Russie a reconnu son échec face à l'État islamique.[...] Après sa défaite retentissante, la Russie n'a eu d'autre choix que de lancer des accusations de collusion contre ses adversaires du camp occidental pour éviter d'admettre son échec majeur face aux moudjahidines .»

Le porte parole du mouvement État islamique (EI) Abou Hudhayfah al-Ansari a appelé le 28 mars dans un message audio : les « noyés dans le complotisme à préparer plus de théories défaitistes .»

Retour sur les faits

Il a beaucoup été écrit sur les faits  - avec des erreurs grotesques comme la voiure des terroristes à deux portes alors qu’elle en avait quatre, que les quatre activistes étaient passés par la Turquie alors que seuls deux y ont été décelés…) mais quelques éléments sont à retenir.

Abou Hudhayfah al-Ansari a déclaré dans son message du 28 mars : « aux dix ans de la déclaration du califat, ses soldats frappent au cœur de la Russie dans une grande attaque […] qui a répandu la terreur dans les capitales croisés. »

Pour mémoire, le « califat » a été fondé le 29 juin 2014 sur les territoires tenus par l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), une branche dissidente d’Al-Qaida qui, en aucun cas n’a été créée par la CIA qui a fait neutraliser son leader Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006 suite à de nombreux renseignements recoupés mais surtout parce qu’Al-Qaida « central » l’a « donné » car il était devenu très gênant en raison de sa phobie des chiites.

L’EI dirigé par une « choura » (conseil) qui désigne un « calife », le premier étant Abou Bakr al-Baghdadi (tué en 2019). Trois de ses successeurs ont été neutralisés et l’identité du quatrième, Abou Hafs al-Hachimi, n’est pas connue.

En ce qui concerne l’attentat de Moscou, les principales revendications ont été estampillées « État islamique » et pas « État islamique au Khorasan » (EI-K) qui est la wilaya (province) à laquelle appartiendraient les activistes qui ont effectué l’attaque.

L’émir de l’EI-K, Sanaula Ghafari alias Shahab al-Muhajir, a été donné pour mort à plusieurs reprises. La choura de cette wilaya se déplacerait en permanence entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan…

Selon les diverses revendications, la Russie aurait été attaquée pour ce qu’elle fait et pour ce qu’elle est également ; comme les pays Occidentaux : « chrétienne ».

Par ailleurs, un journal de l’EI donne les détails suivants : « certaines des armes [des activistes] se sont enraillées […] ils avaient beaucoup de munitions pour faire un maximum de morts […] une course poursuite a eu lieu jusqu’à la forêt où ils ont été encerclés. »

L’État islamique rappelle également l’attentat du Sinaï d’octobre 2015 contre l’avion de ligne Metrojet et « plusieurs attentats revendiqués ou pas en Russie. » Cet attentat avait été mené en réponse à l’intervention russe el Syrie à la fin septembre 2015.

De leur côté, les enquêteurs russes ont découvert que les activistes avaient effectué des reconnaissances préalables du Crocus City Hall les 7, 10 et 14 mars. Avant ces dates, les États-Unis avaient communiqué, via leur ambassade à Moscou, sur le risque anormalement élevé d’attentat pour le week-end électoral du 16-17 mars. Ils avaient demandé à leurs expatriés d’éviter les rassemblements sur le territoire russe.

Moscou a confirmé cette mise en garde mais a dit qu’elle était trop vague et imprécise pour être exploitée.

Il a été dévoilé le 28 mars par les enquêteurs que les analyses de sang prélevé sur les assaillants révèleraient qu’ils auraient été sous l’emprise de drogue - peut-être du captagon - au moment de l’attaque.

Pour en terminer avec les allégations des complotistes, s’il est vrai que les quatre terroristes n’avaient pas l’intention de finir en « martyrs » (ils ne portaient pas de ceinture explosive sur eux), ce n’est pas le premier cas avec des jihadistes d’origine caucasienne.

Quant à la rémunération, les volontaires islamiques radicaux en Syrie ont toujours été bien rémunérés au point que ce champ de bataille était surnommé le « club med du jihad » au milieu des années 2010.

La menace actuelle

Abou Hudhayfah al-Ansari prévient  que des attaques seront menées à l’échelle globale. Les « loups solitaires » sont encouragés à viser spécifiquement des chrétiens et juifs, surtout en Europe, aux États-Unis, à Jérusalem et en Palestine, et ce même durant le mois saint du ramadan.

Il évoque aussi de nouvelles attaques contre les troupes américaines en Irak et appelle ses cellules au Mozambique et aux Philippines à poursuivre leurs activités.

Enfin, l’EI via un média anglophone « Hallummu » (non officiel) appelle ses partisans à commettre des attentats dans les stades.

Enfin, Al-Qaida ne voulant pas être en reste a annoncé la sortie d’un nouveau numéro en ligne de sa revue « Inspire » en anglais et en arabe… C’est sa branche yéménite, Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA)°chargée des opérations extérieures de la nébuleuse qui publie sur la toile depuis 2010 cette « revue ».

Le dernier numéro (17) était sorti en août 2017.

Ces éléments sont extrêmement inquiétants pour tous les grands évènements à venir...

Trois types de menaces sont à distinguer :

-                le terrorisme endogène : un ou plusieurs radicalisés vivant sur place décidant au dernier moment de passer à l’action ;

-                un commando venant de l’extérieur profitant des grands mouvements des foules ;

-                un commando déjà infiltré se préparant à mener des opérations dûment préparées.

Bien sûr, toutes les autorités des pays menacés font tout pour prévenir en amont d’éventuelles actions.

En France, le niveau d’alerte est à son maximal. Les forces de sécurité seront à effectifs complets durant l’été.

La Turquie, par où ont transité deux des terroristes tadjiks impliqués dans l’attentat de Moscou, a effectué des centaines d’arrestations dans la mouvance islamique radicale.

Le terrorisme n’ayant pas de frontières, la coopération internationale en matière de renseignement doit fonctionner à plein régime.

En résumé, la situation sécuritaire est bien meilleure qu’en 2015 mais il peut toujours avoir des « trous dans la raquette » car le terrorisme est un phénomène très fluide.

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