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Mais que valent ces monnaies locales que l'on voit réapparaître ?
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Porte-monnaie

Les monnaies locales refont surface en Europe comme aux États-Unis. Un symptôme de la crise politique et sociale que nous traversons ?

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie à l'université Paris I, où elle dirige le Master 2 Professionnel "Contrôle des risques bancaires, sécurité financière et conformité". Elle est l'auteure de Blablabanque. Le discours de l'inaction. Ed. Michalon, sept. 2015.

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Institution parmi les institutions, Symbole parmi les symboles, la monnaie cimente les peuples et forge le lien social. Princes, souverains, empereurs et Républiques se sont toujours empressés de frapper la monnaie de leur sceau pour y asseoir leur souveraineté et leur puissance.

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de la monnaie, même les plus anciennes monnaies marchandises - des coquilles de cauris utilisées en Chine dès le premier millénaire avant l’ère chrétienne aux wampums des tribus indiennes que les colons firent interdire au XVIIIe siècle - avaient une forte charge symbolique qui forgeait l’adhésion du peuple qui les utilisait. Car s’il est un support dont la monnaie a besoin pour exister et remplir ses fonctions d’instrument de compte, d’échange et de réserve, ce n’est ni métal précieux, ni papier imprimé, mais confiance.

La monnaie vit de la confiance que ses utilisateurs lui portent. Ses utilisateurs doivent avant tout croire en sa valeur et en son pouvoir libératoire, sinon quoi la monnaie se vide de sa substance et c’est alors tout le lien tissé autour d’elle qui se disloque. C’est à cette aune que l’on peut interpréter la résurgence actuelle dans différents pays de monnaies locales à l’échelle de villes ou de villages. Il existe ainsi actuellement en France, souvent à l’initiative d’associations d’économie solidaire, quelques expériences de monnaies locales alternatives, comme le « Sol-violette » à Toulouse, l’« Abeille » à Villeneuve-sur-Lot, la luciole en Ardèche du Sud… En élisant ainsi leur instrument d’échange, les communautés qui l’adoptent et se resserrent autour, reconstituent en leur sein un lien social. Que l’on voit dans la crise économique actuelle la cause de rupture de ce lien ou dans la rupture de ce lien la cause de la crise, le fait est que ce phénomène traduit une défiance sinon une profonde inquiétude.

Le même phénomène s’observe actuellement aux États-Unis porté par des groupes et des idées très éloignés de ceux qui viennent d’être mentionnés, mais témoignant aussi d’une profonde inquiétude. Diverses associations et communautés militent pour un retour à l’étalon or. Le thème a d’ailleurs été repris dans la campagne pour les primaires républicaines, pour dénoncer des politiques monétaire et budgétaire qui d’après leurs détracteurs mettraient en danger la valeur du dollar. Des communautés locales du Midwest ont dans cet esprit lancé un appel à la frappe de nouvelles pièces de dollar en or. Marque de cette nouvelle ruée vers l’or refuge, les volumes de pièces d’or frappées et vendus aux particuliers par l’hôtel des monnaies du gouvernement fédéral sont en forte augmentation.

Le phénomène n’est pas inédit en périodes de crise. Différentes expériences historiques révèlent ses multiples facettes. Parmi les exemples les plus emblématiques, on peut citer la monnaie cigarette qui s’était massivement substituée au Reichsmark dans l’Allemagne de l’Après-Guerre jusqu’à la reconstruction du pays autour du Deutschemark. Outre l’expérience allemande, les épisodes d’hyperinflation ont souvent été accompagnés par l’apparition de monnaies de secours ou de monnaies de substitution (sous la forme de jetons, bons, coupons, etc.), comme pendant la crise du Peso mexicain de 1994, la Russie du début des années 1990, ou encore la crise économique argentine au tournant des années 2000.

Tant pendant l’hyperinflation de la première moitié des années 1990 qu’ils ont subie que pendant la brutale désinflation qui a suivi (le taux d’inflation est ramené de 198% en 1995 à 15% en 1997), les Russes ont délaissé le rouble pour d’autres formes monnaies ou préféré le dollar pour sécuriser leurs échanges. Pour éviter la faillite, des entreprises russes avaient par exemple organisé avec les autorités locales de nouveaux moyens de paiement, non lié au rouble. L’Argentine, pendant sa forte dépression de 1998 à 2001, a aussi connu ses épisodes de dissidences vis-à-vis de la monnaie nationale. Au sein de provinces sous l’égide de groupes associatifs, des groupes d’échanges s’étaient organisés en dehors des circuits traditionnels de l’économie de marché, dans lequel on payait en monnaie de substitution au peso, devenu trop rare et trop cher.

Sous ses diverses formes actuelles (des monnaies solidaires toulousaines ou ardéchoises aux appels au retour des pièces d’Or dans le Midwest américain), le phénomène a toutefois ceci d’inédit, que nous ne sommes pas en guerre, que les banques centrales démontrent chaque jour qu’elles sont prêtes à tout moment à réinjecter les liquidités dont le secteur bancaire et financier dit avoir besoin, et qu’il n’y a pas d’inflation menaçant le pouvoir d’achat de la monnaie. Dans ce contexte, la résurgence de monnaies locales sonde la profondeur de la crise actuelle qu’on ne saurait réduire à une crise économique et financière. La crise que nous traversons est aussi politique et sociale. Et si l’on voit dans la monnaie « l’expression de la société comme totalité », alors ce besoin d’autres monnaies traduit rien moins que le besoin d’une autre société porteuse d’autres valeurs. C’est du mortier et non des rustines qu’il faudra à nos gouvernants pour nous sortir de la crise actuelle.

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