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Mondialisation & Europe, stop ou encore : pourquoi ceux qui misent exclusivement sur ce nouveau clivage en oubliant l'opposition gauche droite risquent quelques jolies désillusions (contrairement à ce que semble désormais croire François Hollande)
©Reuters

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Dans une interview donnée à plusieurs quotidiens européens, ce lundi 6 mars, François Hollande semble privilégier une forme de fin du clivage droite gauche au profit d'un clivage nationaliste contre européens.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Si droite et gauche peuvent effectivement se retrouver sur les questions européennes, cela peut-il dire pour autant que la droite et la gauche se confondent ?  Ce nouveau clivage remplace-t-il vraiment le premier ? Comment opère ce choc entre ces deux clivages, quelle en est la hiérarchie?

Jérome Fourquet : La première chose c'est que ce nouveau clivage "européen contre nationaliste" n'est pas si nouveau. Il a au moins vingt ans et sa première expression en France s'est produite au moment du traité de Maastricht en 1992. On l'a retrouvé en 2005 avec le référendum européen parce que la forme référendaire et le sujet en question, l'Europe, permettaient à ce clivage de s'exprimer pleinement. Clivage qui parcourait plusieurs familles politiques. Donc c'est une vieille affaire.

Néanmoins, de par le mode de scrutin national, majoritaire à deux tours pour la présidentielle et les législatives qui en découlent, et de par le fait que les questions européennes soient rarement au cœur des campagnes électorales, c'est toujours le clivage gauche droite qui a tenu le haut du pavais. Sans pour autant que l'autre n'ait disparu, il restait simplement moins visible.

Deuxième point, ce clivage ne se manifeste pas qu'en France. Il est beaucoup plus large et on le retrouve en Grande Bretagne au moment du Brexit ou encore en Autriche au deuxième tour des élections  -entre un candidat d'extrême droite et un candidat écologique-, et plus largement ce nouveau clivage n'est pas cantonné à l'affaire européenne. Il est plus global et on pourrait le qualifier de différentes manières : Soit comme le tenant d'une société ouverte contre le tournant d'une société fermée, avec notamment le retour des frontières, la méfiance vis-à-vis de la mondialisation et inquiétude vis-à-vis des flux migratoires. Soit entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Et celui-ci est de plus en plus présent. C'est lui qui a pas mal structuré par exemple le champ politique au moment de l'élection présidentielle américaine. 

On a donc cette nouvelle ligne de fracture qui monte en puissance progressivement et qui prend de plus en plus de la consistance et de la force. En partie parce que vous avez en face une offre politique qui s'est  structurée la dessus comme le Front National en France, Donald Trump aux Etats-Unis etc,

Et en face d'eux, il y avait eu une recomposition qui fait que sur un certain nombre de sujets majeurs, comme en Europe sur la construction européenne ou le rapport à la mondialisation économique, on retrouve des formations politiques de droite et de gauche qui ont plus ou moins convergés sur un certain nombre de sujets. Lorsque ce qui nous différencie n'est pas assez fort, le clivage passe ailleurs. D'autant plus que vous retrouvez des formations politiques qui revendiquent ce nouveau clivage. C'est un élément c'explication de cette modification de l'offre politique. 

Un autre élément. Pour toute une série de raisons objectives et structurelles, par rapport à 1992, nos sociétés ont beaucoup changé. Notamment en termes de délocalisation, de désindustrialisation, l'ouverture de notre économie, la concentration des richesses dans les grandes métropoles, tous ces éléments là ce sont mis en place et ce sont accentués rapidement et sont des conséquences directes de l'entrée plein pieds des sociétés occidentales dans un système globalisé. On retrouve deux aspects de cette globalisation : D'une part le libre échange et d'autre part l'augmentation des flux migratoires. Or ces questions sont aujourd'hui centrales dans le débat politique. Ça a été le cas en Grande Bretagne avec la question des frontières et ça a été le cas aux Etats Unis avec le fameux mur de Trump mais aussi la volonté de Trump de revenir à une certaine forme de protectionnisme pour protéger l'industrie américaine. Pourquoi le fait-il ? Parce qu'en Grande Bretagne comme aux Etats-Unis mais aussi en France, les choix politiques et économiques qui ont été fait ont eu des conséquences très profondes sur les sociétés en question. Avec de plus en plus de gens qui s'estiment laissés sur le bord de la route -la crise économique et financière n'y étant pas pour rien dans ce sentiment-. Du coup ça amène de l'eau aux mains de ceux qui disent qu'il faut revenir  à un état-nation protecteur.  

Tous ces éléments contribuent à fracturer le vieil équilibre gauche droite. 

François Hollande n'a pas tort lorsqu'il dit que ce clivage est de plus en plus prégnant. Ce qui est intéressant c'est que quelque part il en est responsable. Son choix politique, le tournant social libéral, la poursuite de l'intégration européenne, autant d'éléments qui ont donné d'avantage consistance à ce nouveau clivage. Qu'hollande tienne ce genre de discours n'est pas étonnant car il épouse la grille de lecture "macronnienne".

Bruno Cautrès : Si François Hollande exprime son inquiétude face à la montée des populismes en Europe et notamment dans le contexte français de l’élection présidentielle de 2017, il ne dit pas que le clivage gauche-droite n’existe plus et que la gauche et la droite se confondent. Dans sa longue interview, c’est principalement la question européenne dont il est question (avenir de l’UE, Royaume-Uni, EU face à Trump, déficit démocratique de l’UE, questions de défense et de sécurité) et c’est par rapport à cette question qu’il indique qu’à un moment donné « une partie de la droite et une partie de la gauche peuvent se retrouver sur la question européenne ». Il cite l’exemple de son entente avec Angela Merkel qui est du centre-droit alors que lui est de gauche. Mais ce propos de François Hollande permet, en élargissant la perspective, d’illustrer qu’effectivement les questions de l’intégration européenne ont fait imploser les notions de gauche et de droite sur de nombreux aspects. Si l’on prend le cas de la vie politique française, on voit bien que son espace idéologique est en deux dimensions : gauche-droite d’une part et « ouvert-fermé » d’autre part.

Ce second clivage peut prend d’autres noms et s’élargir à la question de la globalisation ou de l’intégration économique mondiale. La sociologue suisse Hanspeter Kriesi parle du nouveau clivage entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation. Mais une fois dit cela, on a toujours pas expliqué de quelle manière les deux clivages s’articulent, or c’est là le point essentiel. En France, on a vu au cours des vingt-trente dernières années que si les deux familles politiques de la gauche et de la droite étaient clivées par ces questions, ces fractures et divisions ne s’exprimaient pas de la même manière. Sur les questions mondiales et européennes la gauche est principalement clivée sur leur dimension économique (les sociaux-libéraux s’opposant aux tenants du patriotisme économique) ; mais la droite est divisée sur leurs dimensions plus sociétales et « culturelles » (la question des frontières, la question de l’immigration, de la tolérance culturelle comme on l’a vu récemment entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ou François Fillon sur le thème de « l’identité heureuse »). Dans de nombreux pays, cette situation a créée des opportunités politiques pour des forces politiques qui entendent réduire la tension interne aux deux grandes familles politiques : par exemple en France, le Front national qui propose une solution de double « fermeture », à la fois économique et « culturelle ». L’élection présidentielle de 2017 pourrait être l’élection où ce nouveau clivage entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation devient le premier, tout en co-existant avec le clivage gauche-droite. Si le second tour opposait Marine Le Pen à Emmanuel Macron, c’est cela que nous dirait cette élection. 

François Hollande semble, sans le nommer, faire le choix d'Emmanuel Macron, appuyé par le fait que le Chef de L'Etat déclare, à propos de Marine Le Pen "mon ultime devoir, c’est de tout faire pour que la France ne puisse pas être convaincue par un tel projet, ni porter une si lourde responsabilité". François Hollande, en s'affranchissant ainsi du clivage droite-gauche, ne prend-il pas justement le risque de renforcer son "adversaire" ?

Jérome Fourquet : C'est assez passionnant. François Hollande, Président en exercice qui a refusé de se représenter devant les français et qui a œuvré pour que la gauche adopte des positions économiquement plus libérales, prend aujourd'hui acte du fait qu'il a contribué à l'avènement de cette situation nouvelle. Quelle est-elle ? Elle est, avec l'appoint non négligeable du Pénélope gate, qu'aujourd'hui l'affrontement qui se profile au deuxième tour c'est Emmanuel Macron face à Marine le Pen. Le héros des progressistes contre les conservateurs (quand on est Macroniste) ou le leader du camp des patriotes contre l'évangéliste (pour les lepenistes). 

En plaçant Marine le Pen comme objet central de la présidentielle, on adopte la vision Macronienne et on passe par pertes et profits la candidature de Benoit Hamon. Donc tout ça est assez cohérant. Mais en faisant cette analyse, François Hollande accrédite cette nouvelle vision des choses. 

On aurait pu penser que François Hollande face à la menace le Pen se dise que ce qui l'importe aujourd'hui c'est le rassemblement de toutes les forces de gauche. On retournerait alors dans le clivage gauche droite. Mais ce n'est pas ce qu'il dit, il veut barrer la route à Marine le Pen sur un projet européen. Or on voit bien que ce n'est pas un projet de gauche. Cela nous ramène au moment du traité de Maastricht où quelque part on a troqué l'idéologie socialiste au profit de la construction européenne, par essence plutôt libérale. 

Ce faisant, ce tournant majeur c'est ce qui sonne les prémisses d'une recomposition politique, qui mettra peut être vingt ans à se structurer et à prendre le dessus, qui est cette fameuse opposition entre européen et patriotes. Hollande en aura été un acteur majeur.  Comme François Mitterrand à l'époque du traité, et Emmanuel Macron aujourd'hui. Il y a un véritable passage de relais à Emmanuel Macron. 

Mais tout ça n'était pas écrit. Si François Fillon n'était pas aussi affaibli, on n'aurait peut-être pas cette situation et ce nouveau clivage. 

Bruno Cautrès : Dans son interview, François Hollande ne prend pas position pour un candidat à la présidentielle. Entre les lignes, on voit bien que le message est néanmoins celui d’un positionnement nécessaire pro-Européen que doit avoir, selon lui, le prochain chef de l’Etat. Mais ces propos n’indiquent pas un choix explicite en faveur d’Emmanuel Macron. Depuis l’annonce de son renoncement pour la présidentielle de 2017, François Hollande se pose en garant et gardien de l’unité nationale et ce n’est pas la première fois qu’il prend position vis-à-vis du FN ou même vis-à-vis du programme de réformes de François Fillon, aux lendemains de la primaire de la droite.    Les propos de François Hollande dans cette interview sont en fait assez compatibles avec un choix de gauche pro-européenne au sens du respect des engagements économiques européens de la France. 

Au regard du référendum de 2005, et en assistant aujourd'hui à l'union de "droite et de gauche" des pro-européens, le résultat ne pourrait-il pas être d'en arriver à une situation d'union des anti-européens, qui pourraient être majoritaires en France ? Le clivage droite-gauche est-il suffisamment fort pour empêcher un tel phénomène ?

Jérome Fourquet : Clairement non. C'est toute la spécificité d'un referendum. On vote soit "oui" soit "non" sans ce soucier de ceux qui votent la même chose que vous. 

J'entends beaucoup dire que pour comprendre ce nouveau clivage, il faut se reporter à la seule élection ou il a été mesuré, en  2005. Mais c'est une erreur d'analyse que de penser que si le "non" était majoritaire en 2005 il le sera encore plus aujourd’hui. C'était le camp du "oui" et le camp du "non". Aujourd'hui c'est le camp Macron contre le camp Le Pen. Or, tout ceux qui ont voté "non" en 2005 n'iront pas jusqu’à voter Marine Le Pen au second tour. 

Pour exemple, il y a deux chevilles ouvrières importantes de la victoire du "non" en 2005, c'est Laurent Fabius et Jean-Luc Mélenchon. Vous reconnaitrez qu'y a quand même assez peu de chances pour que dans un deuxième tour Macron contre Le Pen, ils votent pour la candidate du Front National. On pourrait dire que les gens de droite qui étaient dans le camp du "oui" en 2005 pourraient voter "non" aujourd'hui. Mais a mon avis ils ne compenseront pas les pertes importantes que Marine Le Pen devra essuyer par rapport au potentiel que serait l'ensemble des électeurs qui auraient voté "non". 

Bruno CautrèsLe référendum de 2005 avait mis en lumière les clivages internes aux deux familles politiques, et principalement à gauche. Il avait montré que la question du « modèle social français » devenait l’objet d’un conflit d’interprétation entre une gauche se proposant de l’adapter aux contexte européen et une gauche demandant une forte réorientation vers « une autre Europe » afin de préserver ce modèle. Le camp de « Non » était de fait hétérogène car les électeurs de gauche plaidant pour cette « autre Europe » ne partageaient pas les craintes identitaires des électeurs de droite votant « Non » également. C’est en cela que « l’union des anti-européens » dont vous parlez ne peut fonctionner comme solution majoritaire : les préférences de politiques publiques et les attitudes politiques des segments de l’électorat qui avaient voté « Non » en 2005 ne sont pas les mêmes sur les dimensions « culturelles » et n’ont que l’apparence de la similitude sur la dimension économique. Le protectionnisme proposé par le FN est « chauvin » tandis que celui proposé par une partie de la gauche ou de la « gauche de la gauche » est « universaliste » et cela est une différence majeure. On verra néanmoins s’exprimer fortement, le 23 avril et le 7 mai prochains, que les clivages de 2005 n’ont pas disparu et que la lente recomposition de notre vie politique autour des questions d’ouverture de la France vis-à-vis du monde global se poursuit. 

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