« Mille origines » de Charif Majdalani : à Beyrouth, les monologues du destin<!-- --> | Atlantico.fr
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Charif Majdalani publie "Mille Origines" chez Bayard Récits.
Charif Majdalani publie "Mille Origines" chez Bayard Récits.
©JOEL SAGET / AFP

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Mille origines (Bayard- collection Récits) est un livre qui se lit d'une traite et laisse une empreinte forte. L'écrivain libanais Charif Majdalani fait parler vingt habitants aux origines et destins divers. Leurs monologues forment un livre choral, qui raconte l'emprise des histoires familiales et l'énergie de chaque existence en quête de sens. Un texte kaléidoscopique traversé de couleurs et d'émotions.

Olivia Phelip

Olivia Phélip

Olivia Phélip est rédactrice en chef de Viabooks.fr et coach professionnel. 

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Il s'agit de vingt récits, présentés sous forme de monologues. Des récits qui racontent des histoires de vie. Des existences, des familles, des destins. Certains de ces textes sont le fruit de rencontres réelles, d'autres sont issus de documents recueillis. Charif Majdalani, écrivain libanais auteur notamment de Beyrouth 2020, journal d’un effondrement (Actes Sud, 2021) qui a obtenu le Prix spécial du jury Femina 2020, retranscrit, écoute, s'imprègne et écrit. Il scrute le détails de ces autres vies que la sienne, s'immerge dans le réel, comme un romancier, davantage que comme un journaliste. D'ailleurs ce livre choral parle de manière très écrite.

Des récits de vie écrits à la première personne 

Racontés à la première personne du singulier, ces récits incarnent des vies faites d’exil, d’émigration, de guerres, d’identités religieuses multiples ou d’amours contrariés. Ils reflètent ce que l'on nomme mixité, mélange de cultures, d'origines, de religions qui coexistent bon an mal an, à Beyrouth aujourd'hui. Vivre ensemble ? Plutôt survivre ensemble, car toutes ces histoires reflètent aussi la difficulté de faire avec un passé souvent envahissant et un présent qui ne propose pas d'avenir.

L'Arménie d'Herminée

Ainsi, d'Herminée dont les grands-parents arméniens, parlaient turc à côté de l'arménien. « Maintenant, cent ans après, on parle arménien, et turc, et grec, et arabe, et français. C'est toute l'histoire de l'exil et de la dispersion des arméniens  et de leur misère, une histoire que je porte comme chacun d'entre nous, une histoire qu'on vous inculque dès que vous vous ouvrez au monde, qu'on vous fait boire avec le lait maternel, comme s'il était nécessaire que la première chose que vous découvriez en venant au monde, ce soit des histoires de pendus, de décapités, de noyés, des histoires dont j'ai toujours voulu me défaire, qui m'ont étouffée, mais avec lesquelles aujourd'hui, avec le recul, et le temps qui passe, je renoue un peu . »

Hassan, ou le souvenir des tribus des Baalbel

Ou encore d'Hassan, qui fait parte de l'une des plus grandes familles de Baalbel. « On appelle aussi ces familles des tribus, parce qu'elles descendent des tribus anciennes arrivées ici d'Arabie il y a des siècles, qui se sont fièrement converties au chiisme et qui ont imposé leur loi à toute la région, aux sunnites, aux chrétiens de la Bekaa, aux chrétiens des montagnes de l'autre côté de la plaine. » Aujourd'hui il travaille dans une garderie, entouré d'enfants. Les histoires qu'il partage avec eux rêvent d'une autre Histoire. 

Rawwad, chrétien d'adoption  sans le savoir

Il y a aussi Rawwad, chrétien et premier de sa classe en catéchisme, qui va apprendre de la bouche du directeur de son école qu’il est musulman par son père et juif par sa grand-mère. Un tsunami. Les origines kaléidoscopiques des habitants de Beyrouth sont parfois cachées. Comme s'il fallait chercher dans leur négation, une manière de réécrire leur destin, pour oublier les mémoires douloureuses.

Jenny, être mère sans ses filles 

Il y a aussi celles et ceux, qui sont de passage pour travailler, mais qui finissent par traverser leur vie dans un exil qui ne veut pas se nommer. Ils ne savent plus d'où ils viennent, ni où ils vont. Comme, Jenny, venue des Philippines, femme de ménage devenue esthéticienne, qui comprend trop tard que ses filles restées dans le pays de ses origines ont été élevées sans mère. Et que le temps est passé trop vite. Et elle, a-t-elle jamais été mère ?  Ou l'a t-elle rêvé ?

A travers ces monologues, Charif Majdalani dresse un portrait aux multiples reflets de sa ville, Beyrouth, du Liban et de sa région, où ses habitants se croisent, parfois se rencontrent, s'ignorent, parfois encore s'entrechoquent...

Le réel tissé par la fiction

Charif Majdalani écrit ici par-dessus la réalité. De la narrative non fiction comme le nomment les américains, dont Truman Capote fut l'un des pionniers ? Ou de la littérature, infusée dans le réel ? Peu importe, ce livre, qui appartient à la nouvelle collection Bayard Récits, vient exprimer une manière d'écrire sur et à partir du réel. A l'instar de Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2015), qui  dans La fin de l’homme rouge, a fait œuvre à la fois littéraire, journalistique et historique à partir de témoignage croisés sur la fin de l’URSS. Charif Majdalani, se fait ici conteur qui épouse les destins de ses personnages de chair et d'os. Son livre déroule le film de celles et ceux qui essaient de s'accommoder avec leur histoire. Et par ricochet, il raconte en caméra intime une ville et un pays. Ces destins individuels portent une dimension universelle, à l'image des complexités de leur transmission et de leur désir. Comment exister en se reconnaissant dans sa lignée, mais aussi en osant s'en affranchir ? Comment penser sa vie quand tant de déterminismes vous empêchent de croire en vous ? 

Bayard Récits, pour dire une manière d’être au monde

Comme l'expriment les éditrices Claire Alet et Hélène Pasquet : « Raconter des histoires, c’est dire une manière d’être au monde.» Dans Bayard Récits, la collection qu'elles dirigent, autrices et auteurs de talent sont invités à mettre en récit le réel, en portant un regard singulier sur la société. Cette nouvelle collection se veut au croisement entre le journalisme et la littérature, le document et le roman, avec des récits nourris de terrain, de témoignages, de travail d’enquête documentaire et d’expérience intime. 
Mille origines ouvre le bal de cette collection avec éclat. Ses vingt monologues laissent au lecteur une forte empreinte. De ces confidences intimes jaillit une vérité, qui tourne sur elle-même et résonne avec nos propres histoires. Un beau voyage, si loin, si près.

> Charif Majdalani, Mille Origines, Bayard Récits, 237 pages, 19 euros 

Lien vers la boutique : cliquez ICI

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