Mettre les parents face à leurs responsabilités, oui. Mais qui osera assumer celles de l’Etat dans le désastre éducatif français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme passe devant des véhicules incendiés devant une école publique de Lormont, à la périphérie de Bordeaux, le 29 juin 2023, à la suite d'émeutes après la mort de Nahel.
Une femme passe devant des véhicules incendiés devant une école publique de Lormont, à la périphérie de Bordeaux, le 29 juin 2023, à la suite d'émeutes après la mort de Nahel.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

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Bien au-delà de la question de l'autorité parentale, la présence d'un grand nombre de mineurs parmi les émeutiers doit conduire à s’interroger sur les failles du système éducatif français.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Face aux émeutes, la rhétorique du gouvernement insiste sur le fait de vouloir mettre les parents face à leurs responsabilités. Mais ne faudrait-il pas aussi, et peut être avant tout, s’interroger sur celles de l’État dans le désastre éducatif français ?

Eric Deschavanne : Que le gouvernement découvre le problème est terriblement significatif et révélateur, comme si le diagnostic sur la situation de ces quartiers n’avait jamais été fait. Je relisais à l’occasion de ces émeutes un livre, « La loi du ghetto » publié en 2010 par le journaliste du monde Luc Bronner. Livre très intéressant car décrivant objectivement, sans surinterprétation, la situation de certains quartiers. Le journaliste avait d’abord été frappé par l’inversion de l’ordre social et générationnel : ce sont les adolescents qui occupent l’espace public et qui donnent ou pas la permission de circuler aux adultes, y compris aux policiers.

On a affaire à des jeunes sans surmoi moral ni civique, qui vivent hors la loi commune dans une atmosphère de quasi-impunité. Deux jours avant sa mort tragique – deux jours ! – le jeune Nahel était présenté au parquet de Nanterre pour un refus d’obtempérer. C’est dire s’il était fortement impressionné par la perspective d’une sanction judiciaire ! S’il avait été immédiatement sanctionné, Nahel serait encore en vie, et le policier qui l’a tué en liberté. Ce qui est par ailleurs frappant dans le témoignage de sa mère, et je ne porte aucun jugement moral, c’est l’absence totale d’évocation dans son discours de la déviance de son fils, comme si la liberté dont celui-ci jouissait et l’absence de rapport d’autorité entre la mère et le fils constituaient la norme. Quand ni l’État, ni la famille, ni la norme sociale ne sont plus en mesure de poser des limites, comment s’étonner de voir des hordes de jeunes Nahel habités par un sentiment de toute-puissance piller et brûler tout ce qui se présente à visage découvert ?

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La responsabilité de l’État est d’avoir depuis un demi-siècle laissé se constituer des ghettos, du fait d’une immigration non contrôlée. Il eût fallu à tout le moins, afin de rendre possible l’intégration, accompagner l’immigration de masse par l’adaptation drastique de nos institutions, police, justice, éducation nationale. Entre l’État et la famille, il faut également évaluer le rôle de la société, qui a travers ses leaders d’opinion a plutôt fait bon accueil à une contre-culture exprimant la haine des flics, des institutions et de la France. L’interprétation sociologique des déviances, l’explication de la délinquance par la pauvreté, du djihadisme par « l’islamisation de la radicalité », des émeutes par la réaction contre « l’injustice » des violences policières et du « racisme systémique », a été assez largement et complaisamment relayée par les médias et les pouvoirs publics.

À quel point la situation du système éducatif français peut-elle éclairer, pour partie, l’état de la situation ?

Le misérabilisme est le masque de la lâcheté. L’approche sociale domine dans le système éducatif, où la mise en place des mesures en faveur des « zones d’éducation prioritaire » n’a jamais été à la hauteur des problèmes. L’un des passages les plus frappants du livre de Luc Bronner que je citais, est le témoignage d’un professeur de collège qui avait demandé à ses élèves d’exprimer ce qu’ils pensaient d’un problème de violence qui était survenu dans l’établissement. Dans un style maladroit et poignant, les collégiens suppliaient littéralement les adultes de les protéger des perturbateurs et de leur permettre d’étudier sereinement. Quand on soulève le couvercle de la marmite, on découvre le règne de la loi plus fort jusqu’au sein des écoles, dont le personnel éducatif s’est malheureusement rendu trop longtemps complice par le silence et la complaisance.

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Comment avons-nous laissé la situation du système se dégrader ainsi ? Au nom de quoi avons-nous laissé l’éducation entrer dans cette déliquescence ?

La raison comme je l’ai suggéré est le primat du sociologisme. De même qu’il est illusoire de croire qu’une politique sociale puisse pallier l’absence d’ordre public, il est vain d’espérer que l’éducation soit possible sans discipline. « La culture, écrivait Kant, comprend la discipline et l’instruction ». Sans discipline, pas d’instruction.

Depuis une vingtaine d’années, le problème des violences et incivilités au sein du système éducatif est toutefois posé. Mais passer du diagnostic à des mesures efficaces n’est pas chose aisée. On n’a pas encore vraiment changé de paradigme pour reconnaître enfin la nécessité de restaurer l’ordre et la discipline à l’École. Le discours ambiant n’est pas « les familles n’éduquent plus les enfants, il faut donc que l’École s’emploie elle-même à les discipliner », mais « les familles n’éduquent plus les enfants, l’époque n’est plus à la discipline, il faut que l’École se fasse une raison, s’adapte, change sa pédagogie. » L’absence de discipline n’est malheureusement pas sans conséquences. L’indiscipline est le grand « non-dit » des débats sur l’École, sans doute la cause principale de la piteuse situation de la France dans le classement PISA, du recours des familles au privé, de la crise des vocations des professeurs. Le problème majeur de l’école publique, notamment dans les quartiers difficiles, est qu’elle se doit d’accueillir et de diplômer tous les enfants de la République, y compris les délinquants et ceux qui « niquent la France », ceux qui viennent la nuit brûler leur école. Comment faire ? Que faire d’autre que le « gros dos », supporter les « incivilités » et l’indiscipline ? A ma connaissance, personne n’a su répondre de manière convaincante à ces questions.

Qui pourrait oser assumer les responsabilités de l’État dans le désastre éducatif français ? Et comment ?

Il n’y a pas de solutions miracles. La prise de conscience collective est un point de départ. L’erreur, à propos du système éducatif, consiste à penser que celui-ci peut apporter une réponse aux problèmes de la société. Ce n’est pas l’École, du moins pas l’École seule, qui sauvera les banlieues et évitera les émeutes. Pour remédier au désastre éducatif dans les territoires perdus, il faudra une politique globale et cohérente. Une politique qui associe politique de l’immigration, politique sécuritaire, politique sociale et politique éducative. C’est assurément un travail de longue haleine. On attend des politiques qu’ils conçoivent et proposent un tel projet… et on leur souhaite par avance bon courage pour le mener à bien !

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