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Menu des prestations sexuelles, etc. : le fonctionnement d'un bordel suisse vu de l'intérieur
©Reuters

Bonnes feuilles

Un bordel, vu de l'intérieur. Un bordel, raconté par celles qui le connaissent le mieux : les prostituées. Un récit choc, une plongée au cœur d'une maison close suisse. Extrait de "Bordel" de Sophie Bonnet, aux éditions Belfond (1/2).

Sophie Bonnet

Sophie Bonnet

Sophie Bonnet est grand reporter. Elle réalise des documentaires d'investigation.

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LES FILLES

Environ soixante-dix filles travaillent à l’année au salon. Étonnamment, peu d’entre elles sont de vraies beautés. La plupart sont jolies mais assez communes. Des filles que l’on pourrait croiser dans la rue, au café du coin. Très loin du cliché des Ukrainiennes longilignes que l’on imagine.

Beaucoup sont très jeunes, elles ont entre 18 et 22 ans. Rares sont celles qui dépassent les 30 ans. Très rapidement, pourtant, elles font plus que leur âge : vergetures, bourrelets, traits tirés, visage fané. À 30 ans, elles semblent en avoir 40, marquées physiquement, le visage étrangement fixe à force de fatigue, de botox et d’injections.

Le salon compte quatre ou cinq « vieilles putes », âgées de plus de 35 ans. Elles ont très peu de clients et, pour pouvoir travailler, elles doivent accepter de faire toutes les prestations, même les plus humiliantes : des clients qui leur urinent dessus ou se mettent à trois sur elles. Généralement, les jeunes refusent, mais pour les vieilles, c’est la condition de leur survie.

Svetlana est la seule « vieille pute » de la maison qui soit respectée par les filles et par Wanda. Elle est polonaise. Âgée de 48 ans, elle est bien conservée ; on devine qu’elle a été magnifique. Elle pourrait être la grand- mère de la plupart des filles qui travaillent ici, et toutes se tiennent à distance, comme effrayées par son air glacial et les restes de sa beauté.

Dans une autre vie, Svetlana a été mannequin. Un divorce, la drogue, la prison, trois enfants, et aujourd’hui elle est pute. Ses jambes interminables et son regard bleu acier lui assurent tout de même une petite clientèle. Parfois, elle attend les clients des journées entières, des heures passées assise raide comme un piquet à observer les allées et venues des filles devant les casiers, qui s’habillent, se changent, se préparent, n’en finissent plus de se coiffer. Elle scrute leur nudité. Elle ne travaille que le jour, habite à une heure de route du salon et vient en voiture tous les matins. Vers 18 heures, elle se rhabille et rentre chez elle. Mais Svetlana constitue une exception car, au salon, 90 % des filles ont moins de 25 ans.

La plupart ont l’air de sortir tout droit d’une émission de téléréalité. Elles arrivent ici après avoir vu un reportage à la télévision vantant les conditions de travail dans les bordels en Suisse. Quatre- vingts pour cent sont de jeunes Maghrébines, originaires des cités de grandes villes – Paris, Lyon, Marseille… En France, personne ne se doute de leur activité. Ici, personne ne connaît leur vraie identité. Quatre jours par semaine, elles abandonnent leur prénom à consonance arabe pour s’affubler de petits prénoms sucrés à deux syllabes avec une terminaison en « a » – Anna, Carla, Emma…

Quelques filles font carrière au salon, mais la plupart partent avant 30 ans, chassées par la patronne ou désireuses d’aller tenter l’aventure ailleurs, dans un autre bordel. Quelques- unes parviendront à ouvrir de petits commerces, mais les autres ne quitteront jamais le circuit de la prostitution. Elles iront de salon en salon, de moins en moins prestigieux, et finiront par travailler seules et louer une chambre minable en ville pour y recevoir leurs quelques clients réguliers. Habituées à l’argent facile en Suisse, elles ne reviendront jamais vivre en France.

LE SALON

Ce qui fait le succès du salon est simple : il est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours. Et il y a toujours des filles en quantité. Le bâtiment est moderne, en plein centre- ville, dans une petite rue passante. Une devanture neutre, des vitres aux rideaux blancs tirés. Sur le mur de l’entrée, une plaque métallique indique sobrement SALON D’HÔTESSES. Elle est surmontée de deux interphones. Sur le premier est inscrit CLIENTS, le deuxième annonce PRIVÉ et est destiné aux filles.

Hormis les quinze chambres, le bordel est assez réduit. Presque pas de lumière naturelle afin de ne pas être vu depuis la rue. Le lieu est clos et l’ambiance, souvent oppressante. Les filles s’épient. Elles circulent en sous-vêtements entre la salle commune, la salle de présentation où elles se montrent aux clients, le fumoir, le petit bureau de Wanda et les trois salles de bains.

Des centaines de fois par jour, la sonnerie CLIENTS retentit. Toutes les filles qui sont là quittent alors la salle commune pour aller se « présenter ». Le manège est bien rodé. Une des filles fait entrer le client dans la « salle de présentation ». C’est un petit espace d’une quinzaine de mètres carrés. Les filles se mettent en cercle autour du client, qui a ainsi le choix entre quinze et vingt filles. Il désigne alors la ou les prostituées avec lesquelles il va monter. Les autres filles quittent la salle de présentation et retournent dans la salle commune. Certaines sont choisies très fréquemment, d’autres presque jamais.

Le client fait ensuite son choix dans le « Menu des prestations sexuelles ». Tout est écrit sur une carte plastifiée, avec les tarifs. Le client paie à l’avance ses prestations puis choisit sa chambre. S’il décide d’acheter des prestations supplémentaires, il peut toujours le faire depuis la chambre. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les prestations les plus demandées ne sont pas les plus « hard ». Les clients veulent surtout des filles qui embrassent et qui pratiquent les fellations.

Les filles se « présentent » aux clients plus de douze heures par jour et sortent très peu du salon. La plupart travaillent la nuit. Elles arrivent dans l’après- midi et se préparent lentement. Dès 18 heures, elles sont habillées, coiffées, maquillées, mais beaucoup semblent écrasées de fatigue. Levées depuis quelques heures à peine et pourtant complètement éteintes. Elles attendent, affalées sur les fauteuils en cuir de la salle commune. Les premières sonneries de client vont donner le signal du départ. Le business commence.

Extrait de "Bordel" de Sophie Bonnet, aux éditions Belfond, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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