Mentor, cerveau, simple témoin ou instigateur : quel rôle a joué le grand frère de Merah dans les attentats ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Mentor, cerveau, simple témoin ou instigateur : quel rôle a joué le grand frère de Merah dans les attentats ?
©DR

Bonnes feuilles

Explosif, ce livre dévoile de nombreux aspects restés obscurs : les agissements de la nébuleuse islamo-mafieuse qui évolue entre Toulouse, l'Espagne et la Belgique, les relations de Merah avec les femmes et son mariage inattendu, le rôle trouble de sa mère et de son grand frère Abdelkader, un salafiste fascine par les cadavres et adepte des désenvoutements, l'inaction des gendarmes qui se trouvaient sur la scène du premier crime, ou encore le "casse" nocturne d'une bijouterie par Merah entre deux meurtres. Extrait de "Merah, l'itinéraire secret", de Alex Jordanov, publié chez Nouveau Monde Editions (2/2).

Alex Jordanov

Alex Jordanov

Alex Jordanov est journaliste d'investigation et documentariste. Il a travaillé notamment pour Capa et le Vrai Journal de Canal+ et sillonné de nombreux pays du Moyen-Orient. Il a enquêté près de deux ans pour ce premier livre. Il a publié dans l’Obs, First Look Media et le New Yorker.

 

Voir la bio »

Mentor, cerveau des attentats, simple témoin ou instigateur ? On prête plusieurs rôles à Abdelkader Merah.

Dans le quartier, certains le décrivent comme un ancien bras droit logistique d’un parrain du Sud-Ouest, ce qui expliquerait en partie pourquoi Abdelkader ne peut pas se permettre de gonfler son casier judiciaire. D’autres affirment que sa « conversion » religieuse aurait calmé ses ardeurs de délinquant.

Tout le long de l’enquête, Abdelkader a toujours nié être impliqué dans la préparation des opérations ou complice en quoi que ce soit. En résumé, c’est un homme de foi qui n’a rien à voir avec le terrorisme. Mais lors de la perquisition à son domicile, la police a découvert des carnets de notes et des documents informatiques pour le moins troublants qui contredisent son discours officiel. Sur un iPod et des clés USB, des conseils pour semer les filatures policières, comment se comporter si un des membres du groupe est arrêté et autres recommandations à destination du djihadiste en Occident :

Il s’agit de cours audio à télécharger qu’un frère m’a donnés. C’est des cours pour la préparation au djihad dans un esprit général. […]

Quand c’est chaud, il ne faut pas bouger, semer le doute. Quand il y a une cellule qui s’est fait interpeller, les autres cellules doivent rentrer dans la plus grande discrétion. Ils donnent des techniques de communication par Internet, je les ai parfaitement comprises. Il ne faut pas utiliser le téléphone, diversifier les moyens de transport. Les cours expliquent comment procèdent les services de renseignements occidentaux. Le cheikh Abed conseille de lire les livres des services de renseignements et ne pas écouter la BBC car elle donne de fausses informations pour mettre la discorde entre les groupes musulmans.

Il dit aussi que nous n’avons pas à rembourser nos dettes. […] Mon savant pakistanais cheikh Abed nous conseille d’étudier l’ennemi.

Quand les policiers lui demandent s’il ne trouve pas des similitudes entre le comportement de son frère et les conseils trouvés sur son iPod, Abdelkader réplique que la différence avec son frère est que Mohamed a agi seul alors que le mentor, le mystérieux cheikh Abed, privilégie « l’action djihadiste de groupe »?

Pourtant, Sébastien R., le policier de la SDAT qui interroge Abdelkader ce 23 mars dans les locaux de Levallois, finit par conclure qu’il « apparaît des similitudes entre les consignes appliquées par les membres des cellules dormantes djihadistes et le comportement des frères Merah, notamment en ce qui concerne leurs moyens de communication ».

Des talkies-walkies noirs font également partie des objets trouvés au domicile d’Abdelkader à son domicile d’Auterive. Il n’a pas non plus d’explication quant à l’usage qu’il aurait pu en faire :

Je les ai achetés comme ça. Je ne sais pas pourquoi.

Autre trouvaille des enquêteurs : en sus des manuels de djihad et de comportement face à l’action de la police et des services occidentaux, Abdelkader a également pris le temps de se constituer dans un cahier d’une soixantaine de pages une sorte de dictionnaire du jargon juridique expliquant ce que sont par exemple une extradition, une expertise psychologique, le rôle du juge des libertés, ce qu’est l’espace Schengen ou ce que fait un procureur…

« Comme mon frère est mort, il faut un coupable à l’opinion publique. » C’est ainsi qu’Abdelkader explique à la psychologue chargée de l’entendre les 23 novembre et 6 décembre 2012 l’acharnement de la justice française à son égard.

Si je ne m’étais pas réconcilié avec mon frère, je serais automatiquement libre », fait remarquer Abdelkader au juge Christophe Teissier, le 5 février 2013, au terme d’un aprèsmidi d’interrogatoire. C’est précisément cette réconciliation officielle après des mois de brouille, et une série de rencontres établies entre les deux frères, à quelques heures de chacun des assassinats, qui intrigue les enquêteurs.

L’absence de contact téléphonique entre les deux frères pendant les attentats interpelle aussi les policiers. Les enquêteurs ont inévitablement en tête les leçons du parfait djihadiste retrouvées dans l’iPod d’Abdelkader sur la conduite à tenir « quand c’est chaud » ou quand un frère vient d’être interpellé : pas de téléphone, « diversifier les lieux de rendezvous », se méfier d’Internet.

Apparemment, Abdelkader connaît bien la conduite à tenir et se complaît en moqueries et mutisme.

« Le vrai coupable est encore vivant », dit son grand frère Abdelghani. « Ce serait un comble que mon frère sorte un jour de prison. »

Un témoin aurait vu Abdelkader et Mohamed se parler le 11 mars en début d’après-midi, peu de temps avant la mort du parachutiste Imad Ibn Ziaten, première des sept victimes. Kader et Mohamed se sont vus le soir de l’assassinat d’Ibn Ziaten. Ce même jour, Omar, le responsable du taxiphone près de la gare d’où sont passés les deux appels à Imad Ibn Ziaten avant son rendez-vous avec le tueur, dit avoir aperçu Abdelkader accompagné d’une femme voilée, dans sa boutique Internet. Pour les appels passés du taxiphone, le 11 mars, Abdelkader a un alibi. Ce jour-là, il joue son premier match de la saison avec l’équipe B du club des Izards contre l’équipe A de Fousseret Lavelanet. Vers 13 heures, à l’heure des appels du taxiphone, il est au bord du terrain d’après des témoins au stade de foot. Son entraîneur, qui habituellement remplit la feuille de match la veille, ne l’avait pas inscrit, faute de licence. C’est M. Messaouidi, un bénévole du club, qui le rajoute sur la feuille de match vers 12 h 30. Il est remplaçant et porte le numéro 13. À vingt minutes de la fin, l’entraîneur, M. Sid Ahmed Boualem, se souvient avoir fait rentrer Abdelkader. Les Izards mènent alors 2-1. Sur la feuille de match, à côté du nom d’Abdelkader, il est simplement notifié : « À JOUER » [a joué].

Le match se termine sur le score de 2-2. L’alibi foot a l’air de tenir.

Début 2015, tout repose pour le moment sur un seul homme : Abdelkader Merah, mais au terme de trois ans d’investigations, le dossier contre « Kader » reste fragile. Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les interpellations.

La justice a du mal à cerner le personnage. Ses interrogatoires ne donnent rien. La plupart du temps, il défie et se moque des policiers. Autre témoignage, celui d’Anne Chenevat, compagne d’Abdelghani :J’ai rencontré Abdelghani il y a dix-huit ans. Il régnait dans la famille une ambiance de violence, de vol. […] Abdelghani a fait plusieurs tentatives de suicide [suite à la naissance de son fils]. Lorsque ses parents le ramenaient de l’hôpital, ils lui demandaient de ne pas revenir avec moi en lui disant de ne pas revenir vivre avec “la sale française” ou “la sale juive”. […] Je ne suis pas juive.

Au centre de cette violence : Abdelkader. En famille, il décide de tout, il est à la fois juge, bourreau, et plus tard : chef religieux. Aux Izards, pendant des années, « Kader » fait régner la terreur au pied des immeubles.

Après le 11 septembre 2001, Kader se faisait appeler Ben Laden dans la cité des Izards. Il voulait se faire tatouer Ben Laden sur le front, puis sur le cou.

L’animosité qui agite Abdelkader envers sa belle-soeur va prendre des proportions insoupçonnées, jusqu’à ce que celle-ci rompe ses relations avec le « Ben Laden » de la famille Merah. Surtout pour protéger son jeune fils.

Tout commence par des invectives à l’encontre de la jeune maman, mélangées à un profond mépris envers la France, les juifs. Tout ça est un peu confus. Et Abdelkader a du mal à l’exprimer, alors il cogne. C’est le mode d’expression où il est le plus à l’aise. Abdelghani laisse faire au début, pour lui c’est probablement sa mère ou son oncle Hamid qui ont ensorcelé le cerveau d’Abdelkader avec la haine des juifs.

Extrait de "Merah, l'itinéraire secret", de Alex Jordanov, publié chez Nouveau Monde Editions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !