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Médine au Bataclan : cette inquiétante crise d’immaturité dans laquelle s’enfonce la France
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Névrose franco-française

La programmation du rappeur Médine au Bataclan a provoqué une vraie vague de protestation, ses détracteurs considérant que le message du musicien est trop lié à un Islam politisé.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Si Médine n'est clairement pas un islamiste radical, ses paroles peuvent-elles créer une certaine confusion ? Comment expliquer qu'il maintienne une certaine ambiguïté, donnant lieu à des interprétations diverses ?

Malik Bezouh : Médine est un artiste engagé, de toute évidence. Trop diraient ses détracteurs. Dans le contexte français, il est évident que certains de ses propos ont surpris, voire choqué. Cela dit, il faut bien nous garder de tout procès d’intention. Notons, de plus, que l’affiche qui fait tant débat aujourd’hui, pour ne pas dire polémique, est le résultat d’un montage grossier tiré de l’un de ses albums sorti en 2005 ! C’est-à-dire une décennie avant les terribles attentats perpétrés par l’organisation takfiriste DAECH. Bref, pour la partie graphique, c’est-à-dire l’affiche tant incriminée, il nous faut bien admettre qu’il s’agit là d’une controverse sans fondement aucun. Il reste les textes du chanteur dont certains, en effet, peuvent poser question. Mais n’est-ce pas le rôle de l’artiste engagé que de susciter le débat à travers ses œuvres ? Quant à l’emploi du mot Jihad, en 2005, même s’il est vrai que dans la religion islamique, il signifie le combat contre soi-même pour s’élever spirituellement dans l’optique d’être meilleur avec ses semblables, au vu de notre dramatique actualité, marquée par le terrorisme, il est naturel que ce terme engendre de l’inquiétude chez une partie importante de la société française à qui l’on ne peut reprocher de méconnaitre les subtilités théologiques de la religion musulmane.

Ces polémiques lui donnent une visibilité considérable au-delà de son public. Certes la provocation est un "marqueur" du rap, mais dans ce cas précis, sur un sujet aussi sensible, quels sont les dangers ?

Au-delà de la provocation à proprement parler, le danger immédiat est l’incompréhension. Car oui le sujet est éminemment sensible. Néanmoins, et puisque la polémique n’a pas réellement lieu d’être, au vu de ce qui vient d’être précité, on peut légitimement s’interroger sur les ressorts de cette crispation française autour d’un thème qui semble être devenu central dans notre société, à savoir l’islam et les sujets qui lui sont périphériques. 

A chaque polémique de ce type, deux camps s'affrontent et formulent toujours les mêmes réponses : censure d'un côté, liberté d'expression de l'autre.  Cet affrontement binaire, qui repose sur l'émotion et cristallise les tensions, se joue à deux. Quels sont les erreurs qui nous mènent à cette impasse ?

La France est un pays profondément divisé. Toute son histoire le prouve, depuis l’irruption tonitruante des protestants sur la scène publique, au XVIe siècle, qui ont fait voler en éclat l’unité spirituelle du royaume, jusqu’à la mise au pas de l’Église - à l’orée du XXe siècle - par la IIIe République, ouvertement anticléricale, sans oublier le martyr des catholiques de Vendée durant l’effroyable Terreur révolutionnaire. La France est donc ce pays de passions, tant religieuses que politiques, sur lequel, s’est amarré, au début du XXe siècle, l’islam dont la visibilité ne cesse d’augmenter depuis les années 80. Rien d’étonnant donc à ce que les courants conservateurs, soucieux de la préservation de l’identité française, et laïcistes, pressés d’en finir avec les manifestations par trop obscurantistes de cette nouvelle résurgence religieuse, l’islam, se déchirent avec les tenants inflexibles de la défense de la liberté d’expression cultuelle. Au milieu de cette mêlée franco-française, la France musulmane, hétérogène, assiste médusée, inquiète, à ces débats sans fin sur  la présence de l’islam en France. Quant à sa jeunesse (musulmane), celle-ci ne dispose pas, la plupart du temps, des outils culturels pour comprendre ces particularités françaises, héritées du conflit historique, enclenché au siècle des Lumières, entre la France traditionnelle et la France anticléricale. 

Ainsi donc, derrière ces sentiments, peur d’un islam envahissant chez les conservateurs, et rejet d’un islam obscurantiste et misogyne, chez les laïcistes intransigeants, se dissimule, parfois, une stigmatisation à peine voilée de l’altérité musulmane, sous prétexte que celle-ci s’affirmerait toute voile dehors. Or ; ce traitement, un  rien obsessionnel du fait "musulman", par certains médias et responsables politiques, va amplifier les inquiétudes de la population française de souche et, par ricochet, pousser des français musulmans à opérer soit un repli communautaire, soit à cultiver une posture victimaire, car percevant, à tort ou à raison, la France comme "hostile". Voilà décrits les éléments du cercle vicieux identitaires, cœur tristement battant de la névrose islamo-française qui a débuté en 1989 avec les premières affaires de voile islamique à l’école. Les attentats de l'Etat islamique ne feront qu’aggraver la situation…

Comment dépasser les débats caricaturaux entre ceux qui font de Medine un idéologue anti-français et dénoncent la stratégie de "culpabilisation"  dans ce cas, et la victimisation ?

L’affaire Médine, un cas parmi tant d’autres, montre à quel point il faudra du temps pour que la France, aujourd’hui islamo-névrosée, décide enfin de se parler à elle-même. Pour l’heure, nous assistons à une véritable bataille de tranchée où chaque camp tente de montrer qu’il a raison sur l’autre. Des français musulmans se plaignent du mauvais traitement qu’il leur ait fait par certains conservateurs-identitaristes et laïcistes-radicaux. Ceux-là, avec une maladresse inouïe, et un sectarisme inquiétant, ne font que jeter de l’huile sur le feu en confortant les premiers dans leur posture victimaire et leur vision sombre de la France. Sans compter les défenseurs chevronnés et sincères du "Vivre-Ensemble" qui ne sont pas toujours exempts de critiques tant ils négligent, parfois, certaines réalités ; en particulier celle liée à l’inquiétude suscitée par la présence de l’altérité musulmane en France ; inquiétude que quelques médias entretiennent, voire amplifient de façon éhontée.  

A termes, le risque c’est la dé-cohésion de notre nation. Un risque que l’on réduira en entamant une psychothérapie nationale ! Certes, la gestion  de l’altérité n’est point une chose aisée. Cela dit, pour que cette altérité (musulmane) cesse de l’être, travaillons collectivement, avec intelligence et pédagogie, non pas pour que celle-ci s’efface et disparaisse, mais pour qu’elle ne soit plus ce pathétique sujet de passion et de discorde nationale.

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