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Les médias ont une autre corde à leur arc, le vocabu­laire, pour évoquer l'insécurité et les crimes et les délits en France.
Les médias ont une autre corde à leur arc, le vocabu­laire, pour évoquer l'insécurité et les crimes et les délits en France.
©Eric CABANIS / AFP

Droit à l'information

Le traitement médiatique des crimes et des délits reflète-t-il réellement la réalité vécue par les Français ?

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Côté médias asservis, la fonction "tout va très bien madame la marquise" était naguère dévo­lue à un hurluberlu qu'en hommage à Michel Polnareff et derrière son dos, ses collègues ap­pelaient "La poupée qui dit non": pas de bandes dans les banlieues, pas de violences non plus, en mode "c'était bien pire avec les Blousons Noirs". Ce comique s'étant noyé dans les eaux fan­geuses du conspiratisme-COVID, il lui fallait un successeur. Or récemment, France-Info, dont la boussole politique oscille entre MM. Mélenchon et Poutou, en dégaine deux, pour plus de sû­reté propagandiste - 25 fusillades rien qu'à Nantes, de janvier à fin mai 2023... Car­nage sans trêve à Marseille... Il faut réagir.

Le commun discours des deux sociologues-édulcorants de France-Info : plus violente, la so­ciété française ? Mais non ! Preuve, de 1993 à 2021, le taux d'homicides en France s'ef­fondre de 3 à 1,4 pour 100 000 habitants. Le problème de ces sociologues actuels - Émile Durkheim, lui, connaissait le sujet (Le crime, phénomène nor­mal, 1894) - est que, face au crime, ils réagis­sent en bobos-libertaires ; donc, disent n'importe quoi. Car cette baisse du taux d'homi­cides n'a rien à voir avec la violence de la so­ciété ; moins encore, avec l'efficacité du système réga­lien police-justice-pénitentiaire.

S'agissant des taux d'homicides en France, ce dernier demi-siècle, la variable décisive est la médecine d'urgence, depuis sa création, ses expérimentations et sa généralisation en France, dans les décennies 1960 et 1970. SAMU (Service d'aide médicale urgente), SMUR (Services mobiles d'urgence et de réanimation) - quand ce maillage est fonctionnel (décennie 1980), prévaut la situation suivante :

- En 1950, qui était poignardé ou percé de balles sur la voie publique, à domicile, etc., encou­rait 7 risques sur 10 de mourir, de la prise en charge aux séquelles opératoires.

- En 1990, ce risque tombe à 3 risques sur 10, du fait de cette médecine urgentiste.

Entre-temps, plus ou moins d'assassins... Diversement habiles ou motivés... De victimes so­lides, veinardes, ou pas - l'essentiel reste ce surplus de survie de blessés graves, du fait d'une mé­de­cine d'urgence inventée en France et au succès mondial. D'où l'absolue impossibilité de com­parer les taux d'homicides des décennies 1950 et 1990 : chaque année entre-temps, des cen­taines de "morts potentiels" passent de la catégorie "homicides" à celle des "tentatives".

Ainsi, le taux d'homicides "réussis" passe en France de (1988) 2,79/100 000 ; à (2019) 1,3/100 000. Phénomène classique de vases communicants, les tentatives d'homicide explo­sent alors : additionner, de 1972 à 2020, "homicides" et "tenta­tives", révèle une forte poussée de + 113%. Exemple : homicides "réussis" en 2020, 863. Ten­tatives en 2020 : 3 331. Total sur l'an 2020 : 4 194 homicides et tentatives. C'était la moitié voilà trois dé­cennies. CQFD.

Attendons - sans espoir excessif - le "Fact Checking" de France-Info sur les allégations de ses sociologues-maison.

Hormis la sociologie courtisane, les médias asservis ont une autre corde à leur arc : le vocabu­laire qui, bien trituré, permet de gommer en douce ce qu'ils jugent "inapproprié". Ainsi, de­puis le début du XXIe siècle et par petites touches, ces médias ont entrepris d'éliminer séman­tiquement le négatif : les mots brutaux comme "vol", "mort" "crime" y sont bannis ; après le CV ano­nyme, le fait-divers est anonymisé, "gentrifié".

Un ravalement sémantique bien sûr californien. Nom de code : Person-Centered-Lan­guage. Sur un moteur de recherche, les lecteurs anglophones trouveront aisément la for­mule par la­quelle neu­traliser, par usage de l'unique mot "per­sonne", ce qui qualifie ou désigne ("homme", "femme", Noir ou Blanc, valide ou in­firme, bandit ou sauveteur, vic­time ou bour­reau... etc.). Dans l'idéologie-GAFAM, nommer laisse place à l'hyp­notique, au répétitif matra­quage du seul mot "personne", variante de l'ancestrale pensée magique, qui croit que nom­mer le diable, c'est l'invo­quer - à ses risques et périls.

De là, des ersatz sémantiques submergent les faits divers, les rendant quasi-incompréhen­sibles, ou condamnant le lecteur à un pénible décodage :

Agresser, attaquer, assaillir : "en découdre" (comme dans Les trois mousquetaires),

Assassin, cambrioleur, etc. : "auteur" (comme à l'Académie Goncourt),

Bandes, gangs : "réseaux" (comme France Télécom), "Trios" ou "quatuors" (comme à Pleyel), "Équipe" (comme au foot),

Bandit, tueur : "personne",

Cadavre : "corps sans vie" (comme pain sans gluten),

Mourir, tuer : "perdre" (comme ses clés) ou "prendre la vie", (comme le bus),

Nuit d'émeute : "émaillée de..." (comme la vaisselle de Sèvres),

Policier : "fonctionnaire",

Toxicomane : "consommateur" (comme au supermarché).

Pour contraindre la piétaille médiatique à l'usage du Person-Centered-Language, les rédac­tions ont même pondu de bienséants "codes d'éthique" prohibant le réel criminel ; surtout, les ori­gines ou l'apparence des malfaiteurs. Codes piétinant la norme du droit, qui n'interdit de nommer le mal­faiteur que s'il est mi­neur.

Prévenons gentiment ces adoucisseurs : ce qu'ils font revient à comprimer tou­jours plus un ressort ; à visser plus fort le couvercle d'une cocotte-minute ; exercices parfois pé­rilleux.

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